Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir invité pour dialoguer avec les membres de votre Commission sur cette deuxième loi de réforme territoriale.
Cette réforme, très attendue, a fait l'objet d'un riche débat au Sénat car elle cristallise à la fois les espoirs et les inquiétudes. Je m'exprime devant vous en tant que ministre mais, pour pratiquer depuis quarante ans comme élu local toutes formes de collectivités, je connais à la fois leurs acquis et leurs besoins de réforme. Je peux comprendre que le fait de passer à un système nouveau puisse générer des craintes, même si celles-ci portent plus sur les enjeux financiers que sur les changements institutionnels.
Cette réforme, attendue par la population soucieuse d'une plus grande cohérence dans l'action locale, se déclinera en trois projets de loi ordinaires et un projet de loi organique.
Vous avez déjà adopté, au début de cette année, le projet de loi organisant un renouvellement concomitant des conseils généraux et des conseils régionaux. Le projet de loi qui fait l'objet de notre réunion d'aujourd'hui a trait au volet institutionnel de la réforme. Un autre texte précisera les compétences des départements et des régions. Les services du ministère de l'Intérieur travaillent en ce moment à son élaboration, de façon à ce que l'Assemblée nationale puisse disposer, comme le ministre de l'Intérieur s'y est engagé, des ébauches de ce texte avant l'examen du présent projet de loi. Un autre texte précisera le mode d'élection des conseillers territoriaux. Je ne doute pas qu'il suscitera les passions.
Le présent projet a fait l'objet d'un long débat au Sénat – il a duré 66 heures ! Son économie générale a été approuvée, notamment le principe d'un mandat de conseiller territorial, ce qui n'était pas évident au départ. Ce texte, en l'état actuel, est en retrait sur un certain nombre de points par rapport à l'ambition initiale du Gouvernement. Il y a donc matière à débat.
La réforme institutionnelle vise à donner aux élus les moyens de rendre le gouvernement du territoire plus lisible en renforçant la convergence des politiques publiques. Elle permettra d'améliorer la cohérence et la coopération entre les collectivités. Nous souhaitons renforcer les moyens d'une gouvernance pluri-niveaux comme celle qui existe dans la plupart des pays européens.
Cette évolution concerne également l'État, qui devra encore davantage intégrer les collectivités dans la conception et la mise en oeuvre des politiques engagées, notamment à travers des engagements contractuels. Le Gouvernement développe une vision de l'organisation territoriale organisée autour de trois axes complémentaires : des territoires urbains, denses, mieux structurés et plus compétitifs ; une alliance entre départements et régions mieux articulée et complémentaire ; et un binôme entre communes et intercommunalités renforcé.
Nous avons besoin d'un outil pour gérer de façon plus efficace les territoires urbains très denses. Les grandes villes et les agglomérations, pièces essentielles de notre armature territoriale, doivent mieux s'organiser. La mondialisation donne une place centrale aux métropoles. Or la France est insuffisamment dotée de ce point de vue. C'est pourquoi le Gouvernement propose de développer des métropoles fortes, très intégrées sur les plans financier et des compétences.
Lors de l'élaboration du projet de loi, nous avions opté, après de longs débats, pour des métropoles établissements publics de coopération intercommunale. Cela revenait à conserver les communes mais les métropoles devaient être mieux intégrées que les actuels EPCI.
Dans l'esprit du Gouvernement, il ne s'agit pas de couvrir la France de métropoles. Ce n'est pas un problème de prestige ! Une métropole doit répondre à des critères en termes de population et de fonctions – recherche, enseignement supérieur, économie. Si on se laissait aller à créer autant de métropoles qu'il y a de clochers dans ce pays, ce ne serait pas la peine. Les métropoles doivent être des lieux de création de richesses dont puisse bénéficier tout le pays alentour.
Après l'examen par le Sénat, les métropoles ont été réduites à des communautés de communes dont on a changé le nom. Nous sommes bien loin de l'objectif du Gouvernement. Certes, nous n'étions pas allés jusqu'à retenir le modèle, proposé par M. Balladur, d'une métropole qui aurait absorbé les communes et le département. Mais nous avions conçu des métropoles fortes et très intégrées à qui nous souhaitions confier certaines compétences du département, voire de la région. Il y a donc là matière à discussion et à progrès.
La deuxième innovation du texte est de proposer une alliance départementsrégion qui se concrétise par la création d'un mandat de conseiller territorial, ce qui signifie les mêmes élus pour le département et la région. Ce renforcement est justifié par le fait que ces collectivités, même si elles ont des champs de compétences obligatoires distincts – plus sociales pour le département, plus économiques pour la région –, ont des domaines d'action communs.
Nous nous sommes interrogés longtemps sur l'opportunité de supprimer un niveau. Des spécialistes des collectivités locales se plaignent régulièrement qu'il y ait trop d'échelons dans le système français. Mais, quand on compare la France avec les autres pays européens, même si cette comparaison a ses limites puisque notre pays est le moins tenté de tous par le fédéralisme, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de grandes différences.
Pouvait-on supprimer les départements ? C'est très difficile parce qu'ils sont ancrés dans la vie des gens au point que l'on s'identifie à travers le numéro d'immatriculation de son véhicule. Nous nous sommes aperçus que le département était entré, au fil de l'histoire, dans les esprits et qu'il était très difficile de le supprimer.
Pouvait-on supprimer les régions ? À tort ou a raison, elles apparaissent comme modernes et, pour ce motif, ne peuvent pas non plus être supprimées.
Devant ce double constat, le Gouvernement a décidé de garder la région comme le département et de les rapprocher par la création du conseiller territorial. Je ne doute pas qu'il y aura de nombreuses questions à ce sujet. C'est pourquoi je passe à l'innovation suivante du texte, qui est le renforcement de l'intercommunalité.
Celle-ci a été un succès. Elle a permis de passer un cap en obligeant les communes à travailler et à mener des projets ensemble. Elle a cependant besoin d'être améliorée.
Premièrement, elle doit être généralisée sur l'ensemble du territoire car il reste encore des espaces restés à l'écart.
Deuxièmement, elle doit être plus démocratique. Elle est, en effet, devenue un peu trop technocratique. On a créé des chargés de mission, qui font bien leur travail, mais qui sont déconnectés des citoyens. Il me paraît donc bien que les citoyens puissent élire et contrôler les délégués qui gérent ces intercommunalités. Pour susciter encore plus de questions, j'ajoute, avec une pointe de provocation, que l'augmentation des impôts des collectivités locales est essentiellement due à l'intercommunalité. Je tiens à votre disposition les chiffres qui le prouvent.
Nous proposons également de revoir les périmètres dans le cadre de la conférence départementale de coopération intercommunale et en donnant aux préfets des pouvoirs particuliers à cet effet.
Nous nous sommes demandé s'il fallait aller plus loin et traiter d'un sujet hautement tabou, à savoir du nombre de communes en France. Y en a-t-il trop ? La réponse est probablement oui. Faut-il les fusionner ? La réponse est plus difficile.
Le projet de loi ne prévoit donc pas de fusions autoritaires, mais il offre aux communes qui le souhaitent la possibilité de se regrouper en supprimant un aspect rebutant de la loi Marcellin. Celle-ci présente en effet l'inconvénient pratique que seule la commune centre peut choisir le maire : comme c'est le conseil municipal qui l'élit, celui-ci est forcément issu de la commune la plus importante. Il est proposé que les maires des communes déléguées conservent un certain nombre de compétences, un peu sur le modèle des maires d'arrondissement à Marseille, Lyon et à Paris.
Tel est l'essentiel de l'organisation institutionnelle du projet de loi après son passage au Sénat.