La situation actuelle se caractérise par deux chocs démographiques qui ne sont pas de même nature et ne touchent pas les mêmes personnes : le premier résulte de l'accroissement régulier de l'espérance de vie, qui profite aux jeunes générations qui toucheront leurs retraites pendant plus longtemps, le second de l'arrivée à l'âge de la retraite des générations nombreuses du baby boom. À ce propos, ces générations auraient pu constituer des réserves financières pour couvrir leurs retraites et elles ne l'ont pas fait – sans doute le Fonds de réserve des retraites (FRR) a-t-il été créé un peu tardivement. Les jeunes générations vont donc devoir assumer le surcoût induit par le grand nombre des départs. Le choc du baby boom est un choc transitoire mais long, qui doit être considéré comme l'héritage d'une dette passée.
Par ailleurs, la complexité et l'opacité de notre système ne manquent pas de créer des angoisses. Chez les seniors d'abord, qui découvrent au moment de quitter la vie active un, deux ou trois régimes complémentaires aux règles différentes – ce qui accroît la crainte des réformes, comme en atteste le pic de départs précoces à la retraite avant le vote de la loi de 2003. Chez les jeunes générations, qui n'ont aucune confiance dans le fait que leurs cotisations permettront de garantir leur future retraite – ce qui suffit d'ailleurs à remettre en cause la crédibilité du système par répartition, qui est fondé avant tout sur un lien de solidarité entre les générations.
De surcroît, la redistribution n'est pas aussi équitable que l'on pourrait le penser pour ceux dont les carrières ont été longues et difficiles. On a ainsi beaucoup de mal à savoir si les avantages non-contributifs sont efficaces en termes de redistribution. Ainsi, le système général a été fondé sur les dix, puis les vingt-cinq meilleures années de vie professionnelle ; il s'agissait d'exclure du calcul de la pension les plus mauvaises années. Or, le ratio entre ces dernières et les cotisations d'un smicard tout le long de sa carrière sera beaucoup plus faible que celui d'un cadre, qui connaît une carrière ascendante en matière de salaires. De ce point de vue-là, le rapport du COR, que je vous invite à regarder de près, est fort éloquent. Le minimum contributif, quant à lui, a été créé dans les années 1980 lorsque des personnes ayant cotisé 45 ans se sont retrouvées avec des pensions inférieures au minimum vieillesse. Vingt-cinq ans plus tard, et même si ce dispositif a été plafonné en 2006, il apparaît que la moitié de celles qui en bénéficient disposent déjà de pensions élevées dans un autre régime que le régime général. On a constaté que l'on attribuait donc la moitié du coût de ce dispositif à des personnes qui avaient des pensions supérieures à la moyenne.
C'est parce que nous considérons, avec Thomas Piketty, qu'une amélioration de la redistribution est possible que nous proposons de remettre à plat l'ensemble du système et d'unifier les régimes de retraite sous un système public, obligatoire, par répartition, contributif et redistributif, c'est-à-dire les principes confirmés par les lois successives.
Ce système reposerait sur deux principes fondamentaux : la contributivité – transférer des revenus des actifs vers les retraités – et la redistribution au profit de ceux qui ont des carrières difficiles.
D'une part, le compte notionnel permet de calculer la pension possible en tenant compte de l'ensemble des cotisations versées sans que le principe de la répartition soit remis en cause. Ce compte est revalorisé en fonction de l'augmentation annuelle des salaires, de manière à ce que les contributions versées en début de carrière professionnelle conservent leur valeur. Le salarié disposera en fin de carrière d'une évaluation de son patrimoine « notionnel » de retraite, lequel sera converti en rente. Cette conversion se fera en fonction de l'espérance de vie de chaque génération. On est, en effet, obligé de tenir compte, sur le montant des pensions, de l'allongement de l'espérance de vie. Je crois que les jeunes générations en sont bien conscientes.
D'autre part, chaque redistribution effectuée en raison d'un temps de chômage ou de maladie entraîne le crédit, sur le compte notionnel, de l'équivalent du montant qui aurait été cotisé si la personne avait travaillé. De la sorte, l'ensemble des salariés seront plus équitablement protégés, et surtout de manière beaucoup plus transparente.
Enfin, parce que la mise en place d'un tel système est elle-même complexe – il convient à la fois d'assurer une transition garantissant de bonnes conditions de départ dans le système actuel pour les générations qui sont à l'orée de la retraite et le basculement des jeunes générations dans le nouveau dispositif –, une graduation d'une dizaine d'années nous semblerait de bonne politique. J'ajoute que, selon une simulation dont le COR s'est fait l'écho, une telle organisation réduirait les inégalités de pension, car ceux qui perdraient le plus et à qui l'on demanderait le plus d'efforts seraient ceux qui ont de hauts revenus, c'est-à-dire les cadres.
Henry Sterdyniak. Le système de retraite français est l'un des plus généreux au monde. Or, comme en attestent de nombreuses études réalisées par le COR, il est menacé de déséquilibres financiers pour des raisons structurelles – allongement de l'espérance de vie et arrivée à l'âge de la retraite des baby boomers – mais, également, conjoncturelles avec la crise financière que nous avons connue ces deux dernières années.
Par ailleurs, je note qui si des rendez-vous sur les retraites étaient prévus en 2008 et 2012, le rendez-vous de 2010 ne l'était pas et semble quant à lui fort incongru : la réforme de 2003 initiée par M. Fillon ne devait-elle pas sauver notre système ?
De surcroît, si le déficit des systèmes de retraite et de chômage s'élève à 20 milliards d'euros en 2010, il s'inscrit plus globalement dans les 160 milliards de déficit public : dans ces conditions, on comprend mal pourquoi le sauvetage des retraites serait plus urgent que celui de l'Éducation nationale ou de l'armée. En fait, je crains qu'une réforme bâclée ne se mette en place sous la pression des marchés financiers qui oeuvrent, à l'échelle européenne et mondiale, pour diminuer le montant des dépenses publiques et sociales. Ne se dirige-t-on pas vers une alliance entre la Commission européenne, les classes dominantes des pays européens et lesdits marchés excipant de la crise pour mettre en cause les dépenses sociales et parvenir à réaliser leur rêve : inviter les ménages à financer sur les marchés financiers leur retraite ou leur santé, quand ce sont précisément ces derniers qui portent la responsabilité de la crise ?
En outre, en 2007, le COR a fait état de projections jusqu'en 2050 montrant que notre système n'est pas foncièrement déséquilibré, puisqu'à cette date le déficit représenterait un point du PIB. Je ne pense donc pas qu'il soit de bonne politique de réviser en catastrophe la stratégie adoptée en 2003. Je rappelle que cette stratégie ne touchait pas l'âge légal de départ de retraite et visait à allonger la durée des carrières, ce qui est plus juste socialement. Elle permettait par exemple aux cadres – qui entrent plus tard sur le marché du travail – de travailler plus longtemps et aux autres salariés qui ont commencé à travailler tôt de partir tôt. Cela compense les différences d'espérance de vie et les différences de capacité à travailler après 60 ans. J'ajoute, à ce propos, que s'il est encore possible d'améliorer le dispositif actuel, il est en revanche stupide de permettre aux cadres de racheter leurs années d'études et qu'il conviendrait également de mettre en place un mécanisme permettant aux jeunes chômeurs n'ayant encore jamais travaillé d'accumuler des points pour leur retraite. Il ne faut pas, en catastrophe, changer le fusil d'épaule.
Par ailleurs, il n'est pas possible de demander aux salariés de continuer à travailler jusqu'à 70 ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein, en situation de crise et alors que les seniors redoutent de ne pas trouver d'emploi ! La seule stratégie possible, celle qui a été définie en 2003, consiste à tout faire pour faciliter le travail de ces derniers – comme le montre l'exemple des pays scandinaves – et convaincre les syndicats de travailler en ce sens. Dans chaque entreprise, un examen de chacune des carrières devrait permettre d'évaluer la pénibilité des métiers, une éventuelle reconversion sur un poste différent à 45 ou 50 ans ainsi que la possibilité, selon les situations, de travailler jusqu'à 60 ou 65 ans : si, par exemple, des professeurs des écoles estiment ne plus pouvoir faire cours à partir de 55 ans, pourquoi ne pas leur permettre de devenir agent administratif ?
Autre idée fausse partout répandue : la réforme du système de retraite des fonctionnaires entraînerait plusieurs milliards d'économies. Certes, les règles sont différentes de celles des salariés du privé. Mais non seulement ces derniers bénéficient à peu près du même taux de remplacement que les salariés du secteur privé mais, de plus, un changement des règles en vigueur impliquerait la remise en cause du fait qu'il n'y a pas de cotisations sur les primes ainsi que la non-indexation du point d'indice sur les salaires. Aussi, comme pour les régimes spéciaux, une telle réforme coûterait autant qu'elle rapporterait.
Jusqu'à présent, le système de retraite avait un caractère social. Celui-ci, je le rappelle, consiste à assurer aux retraités les plus modestes un niveau de vie équivalent à celui de leur vie active sans effort d'épargne de leur part, et de leur permettre de partir au moment où ces entreprises ne sont plus prêtes à les employer. Dans cette situation, il y a deux remèdes miracles qui ont été proposés. Tout le monde est d'accord sur le fait qu'un système unifié serait préférable, même si la multiplicité des régimes est le fruit de l'histoire. Quel que soit le système, on ne pourra faire l'économie d'un arbitrage entre la hausse des cotisations, l'augmentation de la durée du temps de travail ou la baisse des pensions.
MM. Bichot, Madelin ainsi que le sénateur Leclerc préconisent un passage à un système par points – lequel serait équilibré par la baisse du niveau des retraites en fonction de la conjoncture et des difficultés financières, comme cela est d'ailleurs le cas des régimes complémentaires qui ont baissé de 20 % le montant des pensions depuis 1995. Or, cela est inacceptable faute de garantir aux salariés un niveau de pension et de rompre avec l'objectif de la parité de niveaux de vie entre actifs et retraités.
Avec le système des comptes notionnels, le niveau de retraite résulte quant à lui de l'âge du départ. Si à aucun moment le projet Bozio-Piketty ne précise le niveau effectif du taux de remplacement pour les salariés qui partiront à 60 ans, c'est que ce taux sera extrêmement faible ! Un professeur d'université ou un chercheur de l'Institute for fiscal studies, qui prendront leur retraite à l'âge de 67 ans, seront bien mieux lotis qu'un maçon dont la retraite sera particulièrement minable ! Là encore, il est inacceptable que le montant de la retraite dépende de manière excessive de l'âge de départ compte tenu des différences d'espérance de vie entre catégories socio-professionnelles et des possibilités de travailler ou non après 60 ans. Les carrières longues dont vous vous préoccupez, monsieur Bozio, ce sont celles des cadres !
La réforme de 2003 doit être poursuivie. Il convient de dire clairement que la durée d'activité sera allongée de façon différentielle : les cadres devront partir à la retraite à l'âge de 65 ans sans disposer de pensions faramineuses et les ouvriers pourront quant à eux cesser de travailler dès 60 ans. Il convient, en échange, de donner aux syndicats la possibilité de négocier des accords sur la pénibilité du travail ainsi que sur la stabilisation des taux de remplacement, une légère augmentation des taux de cotisations des salariés étant par ailleurs socialement envisageable : leur hausse de trois à quatre points ainsi qu'une augmentation de deux ans à deux ans et demi de la durée moyenne d'activité permettrait de passer le cap.