S'agissant des retraites, nous avons tout intérêt à distinguer les questions relatives au court terme et celles portant sur le long terme.
Sur le long terme, je note tout d'abord que la multiplicité des régimes que nous connaissons actuellement est contraire à l'article 1er du code de la sécurité sociale puisque, si cette institution est fondée sur la solidarité nationale, les retraites reposent sur des solidarités catégorielles. Par ailleurs, chacun s'accorde à considérer que les systèmes de compensation démographique ont fait leur temps mais, de plus, il est certain que la multiplicité des régimes est incompatible avec le style de vie moderne, en raison notamment des changements de carrière au cours d'une même vie professionnelle – si 40 % des retraités sont aujourd'hui multi-pensionnés, ce taux ne fera que s'accroître à l'avenir. L'unification des régimes, quant à elle, entraînerait une économie de frais de gestion d'au moins deux milliards d'euros.
De surcroît, la complexité du système actuel – tant pour les intéressés que pour les gestionnaires – génère des coûts de fonctionnement substantiels ainsi qu'un ensemble d'effets pervers. Il existe de nombreux éléments de redistribution qui s'effectuent des pauvres vers les riches et non l'inverse.
Enfin, travaillant depuis 1980 sur la question de la contributivité – l'attribution des droits à pension –, j'ai pu constater combien notre édifice législatif, et la France n'est pas seule en cause loin de là, est en porte-à-faux eu égard à la réalité économique, que décrit si bien le « théorème de Sauvy » : si les enfants d'aujourd'hui paieront les retraites futures, ce sont les cotisations vieillesse qui ouvrent les droits à pension, ce qui n'a aucun sens. Les cotisations sont utilisées pour payer les retraites actuelles, il n'en reste rien pour payer, dans trente ans, les retraites de ceux qui les versent aujourd'hui.
Une réforme systémique à long terme est donc inévitable, mais elle est par définition impossible à réaliser rapidement. Par exemple, les Suédois ont mis une dizaine d'années avant de se mettre d'accord : après avoir voté une loi-cadre en 1994, quatre années supplémentaires ont été nécessaires pour affiner l'ensemble de la réforme sur un plan législatif et réglementaire, puis encore trois années de plus afin d'adapter l'ensemble des systèmes, de former le personnel, de modifier les institutions ainsi que les systèmes informatiques et, enfin, de recalculer les droits acquis selon les anciennes règles.
Nous ne pouvons pas rester l'arme au pied pour une période aussi longue, nous devons donc agir à court terme, et ce de deux manières.
D'une part, alors que la France s'est jusqu'à présent toujours refusée à envisager de façon sérieuse les études visant à réaliser une réforme structurelle – à l'exception notable du rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) publié à la fin du mois de janvier sur le passage aux points ou aux comptes notionnels –, nous nous devons de réaliser des études d'impact et de faisabilité qui, d'ici à 2012, permettraient aux politiques de se déterminer en toute connaissance de cause.
D'autre part, nous avons besoin de mesures à court terme, car les déficits n'attendent pas. S'agissant du régime général, nous serions bien inspirés de mettre en place une retraite à la carte avec neutralité actuarielle ainsi qu'un instrument gestionnaire, et non plus politique, de régulation de l'équilibre financier du système. En effet si, comme l'a dit M. le Président de la République, il faut tout « mettre sur la table », il n'est jamais question du taux des pensions, alors que sa simple régulation annuelle permettrait de procéder aux ajustements nécessaires à la réalisation de cet équilibre, comme la valeur du point dans les régimes par points. Il n'y a pas de raison que le taux de la pension reste indéfiniment fixé à 50 %. En outre, les assurés sociaux doivent avoir la possibilité de travailler plus ou moins longtemps – à partir d'un âge pivot qu'il conviendrait de fixer – selon qu'ils préfèrent avoir des loisirs ou de l'argent. C'est le principe de la retraite à la carte avec neutralité actuarielle.
Une telle réforme suppose de renoncer au méli-mélo entre durée d'assurance et âge de départ à la retraite. Dans les régimes qui fonctionnent correctement, la première intervient à travers le coefficient de proratisation – arrêtons, d'ailleurs, de le plafonner à 1, ce qui aboutit à brimer les carrières longues – et le second à travers le coefficient actuariel. En l'état, le calcul de la pension est extrêmement complexe en raison du mélange de ces deux variables, alors que nous aurions besoin de fonctions à variables séparées. Un tel système aurait alors des effets prévisibles, notamment en matière justice sociale.
Enfin, si un accord de principe intervenait d'ici le mois de septembre, les assemblées parlementaires pourraient s'en saisir dès la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. Ainsi cette réforme structurelle, fût-elle modeste, contribuerait-elle à préparer l'instauration d'un système unifié par points.