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Intervention de Jacques Attali

Réunion du 24 mars 2010 à 17h00
Commission des affaires sociales

Jacques Attali :

Tous ces problèmes illustrent une faible efficacité démocratique, et même parfois l'impossibilité de déterminer avec précision les vraies responsabilités. Les textes ne suffisent pas : il faut désormais réformer les machines chargées de les mettre en oeuvre. Par exemple, il faut choisir entre région et département, rassembler leurs forces afin qu'ils mènent une action cohérente et sans doubles emplois. C'est une action difficile, car l'appareil d'État ne se réforme pas aussi facilement qu'une entreprise.

La conscience de la gravité de la situation existe, mais l'opinion publique reçoit en même temps des signaux contradictoires provenant aussi bien de ces fortunes sans rapport avec une production économique tangible que de ces statuts privilégiés dépourvus de justification. De ce point de vue, nous avons beaucoup de leçons à prendre de l'Allemagne.

S'agissant des « Ecopolis », ces villes écologiques dont la commission a suggéré la construction, celle-ci n'a pas été associée au choix des sites. Le secrétaire d'État au logement est soucieux de faire aboutir ce projet, mais faute des financements requis, il reste pour l'heure théorique.

La question de la réforme des retraites et de la dépendance est liée à celle de la situation financière de la France. En effet, à partir du moment où nous avons annoncé que nous allions traiter ce dossier, les agences de notation vont observer attentivement le résultat de nos discussions. Nous ne pouvons plus faire marche arrière. Même si nous demeurons heureusement éloignés de la situation de la Grèce, nous courons le risque d'une dégradation de notre notation et donc d'une augmentation des taux auxquels nous empruntons. Par parenthèse, nous sommes tous responsables de la situation de la Grèce : nul n'ignorait que ses données budgétaires étaient truquées, sans toutefois le révéler, peut-être parce que certains pays recouraient eux-mêmes aussi à de telles méthodes. À partir du moment où nous avons choisi d'être endettés et de mener des politiques keynésiennes, nous sommes dépendants des marchés financiers, que nous le voulions ou non. Ceux-ci seront d'autant plus vigilants qu'une bataille politique se joue. Les États-Unis s'attachent à éviter que l'euro ne devienne une monnaie de réserve, ce qui les priverait de la facilité de recourir à la planche à billets. Toute la machine médiatique anglo-saxonne est donc mobilisée contre l'euro, parce que c'est fondamental pour permettre aux États-Unis de continuer à vivre aux crochets du reste du monde. Si l'on regardait objectivement les États-Unis, on s'apercevrait que leur situation financière est bien plus mauvaise que celle de l'Europe, qui n'a pas de déficit extérieur.

Dans ces conditions, un renforcement de l'Union européenne serait souhaitable, alors même que le risque actuel est plutôt celui de son affaiblissement : en effet, si le Fonds monétaire international intervient dans la gestion de la crise grecque, bien qu'il n'ait pourtant aucune raison de le faire s'agissant de déficits budgétaires, cela signifiera que l'on a renoncé à avoir une politique européenne et l'euro sera discrédité. Cela voudra dire que la politique budgétaire d'un ou plusieurs États membres serait déterminée par un organisme où les Européens ne sont pas majoritaires. Pourtant, l'Europe dispose d'un budget encore modeste et n'a pas de dette propre. Il existe donc une formidable capacité de financement, à un coût qui serait moindre.

À ce sujet, une grande confusion entoure les chiffres relatifs aux déficits et à la dette. Il n'y a, par exemple, aucun sens à rapporter les déficits au PIB, alors que c'est aux seules dépenses budgétaires qu'ils devraient être comparés. Le vrai chiffre est de 50 %, si l'on tient compte de la charge de la dette. De même, pourquoi comparer un stock (la dette) à un flux (le PIB) ? La dette devrait être rapportée à la valeur de nos actifs, le problème étant que nous sommes incapables de l'évaluer. Ces chiffres peuvent donc inquiéter, mais n'ont qu'une valeur politique car ils ne correspondent à aucune réalité. En outre, il ne faut pas oublier que certains déficits sont utiles, mais nous ne savons hélas pas identifier avec suffisamment de précision parmi les dépenses lesquelles contribuent réellement à l'investissement pour l'avenir. Il y a un important travail pédagogique à accomplir.

De ce point de vue, le grand emprunt peut se révéler très positif s'il favorise de telles dépenses d'avenir, mais il est en même temps porteur d'un danger considérable, si son montant devait être utilisé pour financer des dépenses déjà inscrites au budget, dégageant ainsi des moyens supplémentaires pour des dépenses de fonctionnement improductives. La gouvernance du grand emprunt constitue donc un élément central dans un contexte d'une gestion publique archaïque et manquant de données chiffrées.

Sur la question du salariat et de la sécurité, mon pronostic est que nous serons tous, d'ici dix à vingt ans, salariés de nous-mêmes. Dans la mesure où nous allons de plus en plus vers une fragilisation des statuts, chacun deviendra autoentrepreneur. Il est primordial d'assurer la sécurité de l'autoentrepreneur, d'où l'importance de ce que nous avons appelé le contrat d'évolution, c'est-à-dire une sécurité personnelle indépendante de l'emploi. Je pense que cette sécurité, que l'on soit au travail, en formation ou à la recherche d'un emploi, sera un grand progrès de civilisation. D'une certaine façon, à fiscalité « cohérente », c'est le statut d'intermittent du spectacle qui me paraît être le statut d'avenir. On sait certes qu'avec 70 % de déficit, ce statut n'est pas aujourd'hui équilibré et qu'il mériterait donc d'être revisité, mais philosophiquement parlant c'est vers cela que l'on va aller progressivement.

S'agissant de la question des retraites, on ne peut que constater d'abord que la retraite devra aller vers une augmentation de la durée de cotisation en terme de nombre d'années, même s'il faudra naturellement faire des distinctions très fortes entre les métiers, et qu'il y a également un lien entre le financement des retraites et l'emploi. Moins il y a de chômage, plus il est facile de financer les retraites. Le financement des retraites passe aussi par l'emploi si bien que l'on sera moins obligé d'augmenter la durée de cotisation si on arrive à réduire le chômage.

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