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Intervention de Jacques Attali

Réunion du 24 mars 2010 à 17h00
Commission des affaires sociales

Jacques Attali :

Je remercie votre commission d'avoir initié ce dialogue qui pour nous est très important. Je souhaite rappeler à titre liminaire que nous n'avons jamais cessé, depuis la publication du rapport, de nous réunir pour suivre sa mise en oeuvre et de travailler avec les parlementaires, les ministres et les services concernés.

Le rapport me semble toujours d'actualité, et ce à double titre. Tout d'abord, un grand nombre de ses propositions ont d'ores et déjà été mises en oeuvre. Par ailleurs, lors de sa publication en octobre 2007, nous évoquions déjà la possibilité d'une crise financière majeure comparable à celle de 1929. Le rapport n'est donc absolument pas dépassé. Au contraire, la crise nous invite à accélérer la mise en oeuvre de nos préconisations.

Trois idées majeures avaient guidé les travaux de la commission : faire de la France une économie du savoir, de l'école maternelle aux entreprises de pointe ; développer la mobilité, qu'elle soit géographique ou sociale, y compris pour les professions réglementées ; moderniser la gouvernance de l'appareil public. Ces trois principes me semblent, plus que jamais, adaptés aux circonstances actuelles.

La commission, dans la même composition, a commencé à se réunir. Une trentaine de rapporteurs, issus pour moitié de l'administration et pour l'autre de grands cabinets de conseil, se réunissent quotidiennement pour auditionner tous les grands responsables politiques, administratifs, économiques, sociaux, susceptibles de nous éclairer. Par exemple, nous avons reçu dernièrement le secrétaire général de l'OCDE et nous avons invité prochainement la première secrétaire du Parti socialiste. En d'autres termes, nos travaux se poursuivent et nous nous tenons à votre entière disposition pour en discuter. En effet, nous avons vocation à être utile au Parlement et non l'inverse.

Le 15 mai prochain, nous publierons un bilan de la mise en oeuvre des propositions du premier rapport. Pour cela, les travaux parlementaires lancés à l'initiative du Président Bernard Accoyer, visant à analyser les traductions législatives de nos propositions, nous seront très précieux. Nous donnerons également notre vision de l'économie française à l'horizon 2020, car nous pensons qu'il nous appartient de donner un cadre qui ne soit pas contraint par les échéances politiques futures. Puis, au début du mois de juillet, nous ferons le point sur nos préconisations qui n'ont pas été mises en oeuvre et nous en y ajouterons les nouvelles qui nous sembleraient opportunes.

Sur la situation économique du pays, et je m'exprime en partie à titre personnel, puisque le travail collectif ne fait que commencer, il me semble que l'équation qui se présente en 2020 est impossible à résoudre. Dans un contexte de crise économique mondiale qui est loin d'être terminée et dont l'évolution est imprévisible, seuls les pays en développement auront dans les années à venir une croissance forte. Alors que les pays développés doivent s'attendre à une situation difficile, en termes de taux de croissance, d'endettement ou d'emploi. Nous ne sommes pas à l'abri d'une rechute de l'économie mondiale et cette situation chaotique peut remettre en cause l'existence même de l'Union européenne. Le dollar et l'économie américaine sont quant à eux très fragiles et sensibles au moindre choc. L'endettement des pays riches augmente de manière inquiétante. À titre d'exemple, les États-Unis empruntent l'équivalent de 50 % de leur PIB pour renouveler leur dette et il n'est pas exclu que, en 2020 ce taux atteigne 100 %. La dette du Japon est égale à 230 % de son PIB. En Europe, ce chiffre devrait bientôt atteindre les 100 %. Ces prévisions ne sont pas, en tant que telles, catastrophiques car nous avons connu des situations pires dans le passé. Rappelons que l'endettement du monde occidental était considérable en 1950. Mais, une croissance de l'ordre de 5 % avait permis de l' « avaler ». Or, aujourd'hui, la croissance potentielle de l'Union européenne est de moins de 2 %. L'équation semble d'autant plus impossible que nous n'avons plus la possibilité d'augmenter les impôts ni de recourir à l'inflation, car la dette est davantage à court terme et les taux d'intérêt s'ajustent plus rapidement. Aucune solution à la crise actuelle ne pourra donc être trouvée dans les réponses du passé.

S'agissant de la France, je rappelle que selon les projections du FMI et du programme de stabilité du Gouvernement, qui est légèrement plus optimiste, la dette publique en France devrait atteindre en 2013 respectivement 91 % ou 86 % du PIB. La croissance potentielle serait, quant à elle, de 1,5 % ou de 2,5 %. Personnellement, je pense qu'elle sera encore plus faible. Il s'agit de la croissance du PIB global, pas celle du PIB par habitant. Dans ce contexte, il est inévitable que les inégalités se creusent, que le chômage augmente et que la charge de la dette soit de moins en moins soutenable, car la probabilité que les taux d'intérêt augmentent dans les dix années qui viennent est forte.

C'est pourquoi nous devons à tout prix améliorer notre compétitivité – nous sommes en train de la perdre – , protéger les personnes en situation de perte d'emploi et contenir les déficits publics dans des limites raisonnables.

Certes, un grand nombre des mesures préconisées par la commission ont été mises en place, telles que la création de Pôle emploi, la réforme de la formation professionnelle, la création du contrat unique d'insertion, la rupture conventionnelle et le revenu de solidarité active (RSA), le développement de l'emploi des seniors avec l'assouplissement des conditions de cumul emploi-retraite et la signature d'accords de branches et d'entreprises, la modernisation du dialogue social, de la représentativité syndicale, et enfin le vote de la loi relative au travail dominical.

Cependant, un grand nombre de mesures proposées sont encore d'actualité. Je citerai principalement la réforme de l'organisation de l'État, la démocratisation de la gestion de la sécurité sociale, la fiscalisation du financement de la protection sociale ainsi qu'une plus grande justice de ce financement, la formation professionnelle au sujet de laquelle de nombreux progrès sont encore à accomplir, l'amélioration de la représentativité des syndicats patronaux et plus généralement le développement de l'offre de services des syndicats, et enfin l'amélioration des conditions de rupture du contrat de travail.

Il existe un sujet qui nous tenait particulièrement à coeur et sur lequel aucun progrès n'a été accompli, c'est celui du contrat d'évolution, mesure qui s'inscrivait dans la thématique de la flexisécurité, même si je n'aime pas trop ce mot. Il s'agissait de proposer aux personnes au chômage ou menacées de perdre leur emploi un contrat de travail spécifique, leur permettant de se former et ainsi d'acquérir de nouvelles compétences professionnelles. Certes, il existe le contrat de transition professionnelle, mais celui-ci ne concerne que 20 000 personnes et il est nécessaire d'aller beaucoup plus loin.

Ce qui est surprenant, c'est que parmi l'ensemble de nos propositions c'est la seule qui n'ait jamais été étudiée sérieusement par le Gouvernement, peut-être parce que personne, ni les syndicats, ni l'État n'a vraiment un intérêt propre à défendre dans ce dossier. Pourtant, il est indispensable de garantir une certaine sécurité dans la flexibilité qu'exige la compétitivité des entreprises.

S'agissant des déficits publics, des dossiers importants vont être traités à court et moyen terme, qu'il s'agisse des retraites ou de la dépendance. Sur ces deux dossiers, nous serons très heureux de travailler avec le Parlement.

J'ai eu l'occasion de dire récemment que le France devait subir un triple choc : un choc de vérité sur les nombreux dangers que recèlent les dix années qui viennent ; un choc de légitimité, car les réformes ne pourront être acceptées que si elles s'accompagnent d'une réduction des inégalités et donc d'une plus grande justice fiscale ; et enfin un choc de compétitivité, afin d'enrayer le déclin qui nous menace. Voilà les trois pistes sur lesquelles nous allons travailler et sur lesquelles nous serons heureux d'échanger avec vous.

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