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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 24 mars 2010 à 21h30
Réforme du crédit à la consommation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi portant réforme du crédit à la consommation est un texte « sensible » car il concerne la plupart des Français, en tant que consommateurs et agents économiques.

Sa signification est d'autant plus grande qu'il vient en discussion à un moment où le pouvoir d'achat des plus modestes reste désespérément limité et que nombre d'entre eux ont recours au crédit à la consommation non pour investir, mais tout simplement pour boucler leurs fins de mois et acheter des produits de première nécessité.

Alors qu'une loi de protection pourrait changer un peu la vie quotidienne de nombre d'entre eux, le Gouvernement a choisi volontairement d'en limiter le caractère protecteur. Ce projet appelle donc des modifications que les députés socialistes entendent bien faire valoir.

Mon intervention s'articulera autour de trois points.

En premier lieu, le crédit à la consommation a longtemps servi à financer des achats importants dont on ne pouvait assurer le financement en une seule fois, ce qui nécessitait que la banque dont on était client en avance le prix et en fasse payer le coût. Aujourd'hui, le crédit permet de financer quasiment tout achat et apparaît facilement accessible au plus grand nombre. Il est donc utilisé pour l'achat de biens et de services qui ne requièrent pas automatiquement un échelonnement des paiements : vêtements, petits équipements, voire alimentation. En temps de crise, les familles modestes y ont malheureusement recours pour acheter des produits de consommation courante. Le crédit est donc désormais utilisé, non comme un prêt mais comme une sorte d'avance sur revenu, revenu qu'on ne touchera évidemment jamais, mais qu'il faudra néanmoins rembourser.

La relation qui existe entre la stagnation des revenus du travail, victimes d'un partage inéquitable avec les revenus du capital, et l'augmentation du recours au crédit, si elle est peu étudiée, n'en est pas moins réelle. Ce changement de perspective devrait nous conduire à renforcer drastiquement la protection des consommateurs, d'autant qu'il survient dans un contexte de crise. Malheureusement ce texte ne fait que créer l'illusion d'une relation plus équilibrée entre prêteurs et consommateurs.

Il convient par conséquent, dans le contexte actuel, de défendre les plus faibles, donc les consommateurs. Ce sera mon deuxième point.

Si l'on entend beaucoup parler d'endettement public on entend beaucoup moins parler de l'endettement privé. Pourtant celui-ci est grand et touche souvent de façon dramatique les individus et les familles les plus modestes. Si l'on parle moins de l'endettement privé excessif c'est que, comme le dit l'économiste James Galbraith, certains ont tout intérêt à dire que cette dette est productive et qu'elle est stable, car ils en profitent. Sur ce point, je note que, lors de la discussion en commission, on a évoqué, à tort me semble-t-il, « un outil puissant de soutien de la croissance. »

Je ne donnerai que quelques chiffres sur la situation en France : les établissements de financement spécialisé qui n'ont statutairement le droit de commercialiser que des produits bancaires en rapport direct avec le crédit à la consommation représentent 60 % du marché ; près de 90 % des contrats renouvelables souscrits ont un taux d'intérêt contractuel supérieur à 16 %, et 43 % ont un taux supérieur à 19 %.

C'est donc au regard de cette tendance lourde et dans ce contexte particulier que nous examinons ce texte qui a, certes, le mérite d'exister mais qui n'apporte pas de réponses adaptées.

J'en viens au projet de loi lui-même, que je considère comme limité et timoré.

Sur trois sujets, le projet ne va assez loin au regard des pratiques contestables constatées pour les crédits à la consommation.

D'une part, il ne fait qu'encadrer mollement le recours au crédit renouvelable, alors même que, d'après la Banque de France, en 2007, 85,5 % des ménages en surendettement détenaient au moins un crédit renouvelable et que ces mêmes dossiers comportaient en moyenne cinq comptes de crédit renouvelable, ce qui donne un nombre de trois millions de comptes de crédit renouvelable en surendettement cette année-là c'est-à-dire avant la crise de 2008.

Concrètement le projet de loi n'interdit pas le crédit renouvelable dans les lieux de vente ni n'en limite l'appariement avec une carte de fidélité, facteur de confusion. Ainsi les produits proposés, malgré leur simplicité apparente, atteignent « un niveau de technique financière tel que les consommateurs n'en ont pas la maîtrise » selon un rapport du comité consultatif du secteur financier.

D'autre part, l'obligation de mesurer la solvabilité des emprunteurs est réduite aux maigres acquis d'une pratique professionnelle qui devrait être la norme, à savoir la vérification d'un « nombre suffisant d'informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur », et la consultation du fichier prévu à l'article 27, celui des incidents de paiement liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels. Autrement dit, on va prendre en compte l'absence d'incident survenu sans se préoccuper de la probabilité que le nouveau crédit soit de nature à en créer un !

Enfin, le placement des crédits comme source de rémunération des conseillers-clientèle n'est d'aucune façon encadré, ni limité. À tout le moins, l'interdiction du terme de conseiller-clientèle lorsque le vendeur est rémunéré de la sorte aurait dû être introduite, et le principe de la responsabilité de l'organisme prêteur explicitement posé.

Sur trois sujets au moins, le gouvernement aurait pu faire oeuvre de plus d'innovation, et anticiper un certain nombre de mesures d'ores et déjà discutées au niveau de l'Union européenne.

En premier lieu, tous les risques liés à une offre de crédit concrète devraient être portés à l'attention du consommateur dans une fiche d'information précontractuelle. Le projet de loi ne prévoit que la fourniture des informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l'emprunteur d'appréhender clairement l'étendue de son engagement compte tenu de ses préférences.

En deuxième lieu, un système de consolidation du crédit contenant des données de tous les prêts et crédits aux consommateurs aurait pu être mis en place, géré par la banque centrale avec obligation de toutes les banques de fournir des données sur tous les prêts en cours. Cette proposition est d'ores et déjà soutenue par les associations de consommateurs européennes.

Enfin, l'initiative américaine de créer une agence indépendante de protection financière des consommateurs aurait pu servir de base à la création ou à l'amélioration d'un organe similaire dans notre pays et à la création d'un organe de coordination à l'échelle de l'Union européenne.

Autant de raisons qui font que le projet de loi qui nous est soumis est en retrait de la réalité et des enjeux de protection du consommateur français, ce que je ne peux que regretter ! Et autant de pistes portées à notre discussion pour corriger ce texte lors des débats à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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