Madame la ministre, il y a, dans le débat amorcé depuis quelques heures, deux éléments partagés qui pourraient paraître contradictoires, mais qui sont au coeur du débat qui nous anime.
Le premier, c'est la reconnaissance du principe du crédit comme porteur de croissance économique, outil indispensable à certains ménages pour l'acquisition de biens de première nécessité ou de biens de loisirs.
Le deuxième, c'est la nécessité de réguler ce crédit pour éviter de se trouver dans les situations difficiles rappelées par les orateurs précédents.
Pour parvenir à cette régulation, nous devons savoir de quoi nous parlons. Nous sommes passés, en quelques décennies, d'une vertu qui voulait qu'on épargnât d'abord pour n'acheter qu'après, à la généralisation massive de l'emprunt. Nous sommes dans une société complexe. Comment ne pas emprunter lorsque posséder est la norme sociale ? Comment rester au bord de la société de loisirs lorsqu'il suffit pour y accéder de s'endetter ?
Mais si ce constat a marqué les années passées, nous n'en sommes plus là aujourd'hui. Pour beaucoup, le recours au crédit n'est plus cette mécanique permettant de réduire l'attente avant d'accéder à un bien ou à la position sociale qu'il octroie. Les années 90 ont vu le crédit à la consommation se transformer, pour les ménages les plus précaires, en crédit de soudure.
Parallèlement à ce mouvement dans lequel les débiteurs cherchaient ainsi le financement de leur fin de mois, des établissements se spécialisaient dans le développement d'un crédit générateur de profits. L'activité de prêteur s'autonomisait de celle du banquier et du commerçant. Le crédit pour le crédit était né.
C'est sur ce crédit-là que nous devons nous attarder, travailler. C'est celui qu'il nous faut encadrer, ce crédit devenu un produit à part entière, celui pour l'octroi duquel un vendeur est commissionné alors même que sa fonction affichée est de vendre le produit acquis grâce au crédit.
Le premier article du texte que vous nous proposez, madame la ministre, est emblématique du reste. Pourquoi fonder les seuils de l'usure sur des tranches par montants ? Vous faites deux calculs.
En espérant augmenter le nombre d'opérateurs, vous pensez que le réseau bancaire consentira à se pencher sur les prêts dits populaires et que, la concurrence aidant, certains taux baisseront.
En étendant le périmètre auquel s'applique le taux d'usure à 20 %, en allant jusqu'à des prêts de 3 000 euros, au lieu de 1 524 euros comme le code de la consommation l'autorise aujourd'hui, on pourrait imaginer que des prêteurs feraient accéder financièrement des personnes plus faibles à des prêts plus importants. Ces intentions sont sans aucun doute louables. Mais, concrètement, que va-t-il se passer ?
Sans préjuger d'ententes illicites entre les opérateurs, il faut concevoir que les acteurs du crédit à la consommation se sont répartis la clientèle de façon parfaitement rationalisée. Leur processus de segmentation utilise une terminologie précise. Les candidats au crédit à faible capacité de remboursement s'appellent des near prime ou des subprime. Ceux qui montrent une forte capacité de remboursement sont des prime, voire des upper prime. Imaginer que les réseaux bancaires vont se positionner sur les premières catégories, c'est ignorer le cloisonnement social qui s'opère au moment du choix du prêteur par l'emprunteur.
Les pratiques d'endettement diffèrent en effet selon la position sociale des emprunteurs. Il ne s'agit pas que d'une question de montant. Les ménages les plus précaires choisissent, nous le savons, des établissements spécialisés de crédit sans domiciliation de comptes personnels, sans relation durable, avec les modes de souscription les plus impersonnels, exigeant le moins de justificatifs. Des établissements dans lesquels ils paient très cher, sans le savoir, la liberté de ne pas avouer des fins de mois difficiles ou des dépenses exceptionnelles. L'absence de jugement moral et d'obligation de justifier la légitimité de leurs dépenses est décisive dans leur choix.
Si nous prenons en compte cet élément, que restera-t-il de cette réforme de l'usure ? Un élément particulièrement inquiétant : les consommateurs qui payaient un taux d'usure de 10 % pour des prêts compris entre 1 524 euros et 3 000 euros paieront dorénavant, eux aussi, un taux d'usure de 20 % d'intérêt. Au lieu de plafonner le taux de l'usure à un seuil acceptable, ce texte va augmenter le nombre de crédits qui lui sont soumis.
On sait pourtant que le Médiateur de la République – plusieurs orateurs l'ont rappelé – fixe à 10 % le seuil d'intérêt au-dessus duquel les ménages ne parviennent plus à rembourser. Il faut cesser de faire peser tout le risque sur les clients.
Notre deuxième point d'achoppement est évidemment le crédit renouvelable : 21 % des encours de crédit à la consommation en 2007, très majoritairement souscrits par une clientèle populaire, représentant, avec les découverts bancaires, 70 % de l'ensemble des crédits dénombrés dans les dossiers de surendettement en 2009, contre 26 % pour les crédits affectés et les prêts personnels.
La majorité de cette assemblée a refusé de voter une proposition de loi du groupe socialiste relative à la suppression du crédit revolving et voilà qu'aujourd'hui ce projet de loi vise à encadrer ce type de crédit et à désamorcer les risques de surendettement qu'il porte. On peut très sincèrement se réjouir qu'une fraction d'amortissement et une durée dans le temps viennent contrecarrer la mécanique retorse du crédit renouvelable. Pour autant, rembourser une part des intérêts et limiter le crédit renouvelable à trois ou cinq ans ne résoudra pas le problème du surendettement si ce crédit est rechargeable.