Mon diagnostic de la dynamique générationnelle des politiques publiques en France se divisera en quatre parties : une analyse du pessimisme social ; les causes de la crise de transmission générationnelle en France ; les difficultés léguées aux générations futures ; la comparaison internationale des politiques sociales. Je terminerai en énumérant les réponses qui me paraissent les plus appropriées pour faire face à la crise.
Une réalité s'impose aujourd'hui : la France, mais aussi un grand nombre de pays latins et du sud de l'Europe, connaissent des difficultés profondes de transmission du pacte social intergénérationnel – transmission dont l'exigence a été développée par Hans Jonas, entre autres. En termes de prospective sociale, les faits dont je vais vous faire part sont très lourds de conséquences pour la France des années 2020.
Nos politiques sociales à la française ont consisté – mais c'est aussi le cas en Italie, en Espagne et en Grèce – à accumuler de profonds déséquilibres avec une dynamique très inquiétante à la fois en termes de coûts et de protection des parties fragiles de la population, notamment des nouvelles générations. Ces éléments de prospective sociale doivent, me semble-t-il, être revus de toute urgence.
Mon diagnostic complet de 1998, que j'ai formulé dans mon livre Le destin des générations, Structures sociales et cohortes en France au XXe siècle, n'a pas été pris en considération au cours des quinze dernières années, comme le montre la troisième édition à paraître dans les mois prochains aux Presses universitaires de France. Je fais donc mon mea culpa : en tant qu'expert, je ne suis pas parvenu à favoriser la prise de conscience des difficultés sociales dans ce pays.
Depuis quinze ans en France, on n'a pas agi pour l'avenir de nos propres enfants. Ainsi, nos concitoyens sont clairement conscients du problème de dynamique sociale dans ce pays.
La situation est cependant paradoxale. D'un côté, la comptabilité nationale comparée, les tables d'Angus Maddison ou encore les travaux macro-économiques de M. Cotis montrent que la France fait toujours partie des pays en tête. Notre produit intérieur brut par tête, par exemple, a considérablement progressé par rapport à l'Argentine à partir des années 1950 où il était au même niveau, et est aujourd'hui proche de celui du Japon. Bref, nous avons l'image d'une France qui va bien. Mais, de l'autre côté, l'analyse des retraites et des salaires, du bien-être du troisième âge et de celui des nouvelles générations entrant dans le monde du travail révèle un clivage croissant dans notre pays entre seniors et nouveaux entrants dans le monde du travail.
Ainsi, le dénivelé entre le revenu d'un trentenaire et celui d'un quinquagénaire est passé d'environ 12 % en 1977 à 25 % en 2000, pour ensuite se stabiliser. Mais entre 2000 et aujourd'hui, les quinquagénaires ont à leur tour connu des difficultés salariales. Ainsi, l'indicateur salaires des quinquagénaires versus salaires des trentenaires n'est plus pertinent depuis une dizaine d'années pour repérer les difficultés des générations arrivées trop tard dans le monde du travail.
Contrairement aux salariés seniors, les quinquagénaires de 2009 sont en cours de paupérisation. Ces générations nées à partir de 1955 – autrement dit celles qui ont eu vingt ans en 1975 au moment du ralentissement économique – seront les retraités de la fin des années 2010.
L'analyse par catégorie socioprofessionnelle de l'évolution des niveaux de salaires moyens depuis les années 1975-1980 montre une parfaite stagnation, voire un recul pour les professions intermédiaires. Certes, l'écart entre ouvriers et employés, d'une part, et professions intermédiaires, d'autre part, entre 1 et 2 % en 1975, a été ramené entre 1 et 1,35 % aujourd'hui. Mais autant il existait une dynamique salariale très porteuse pendant les Trente glorieuses, autant – malgré le constat de la comptabilité nationale d'un enrichissement de la population – on observe une stagnation des niveaux de salaires beaucoup plus concentrée dans les catégories B. Ainsi, les jeunes entrent sur le marché du travail dans un contexte, et pour toutes les catégories, de stagnation salariale – je parle des emplois à temps plein toute l'année. Autrement dit, la stabilité des employés et ouvriers dissimule une expansion du chômage de masse dans les catégories populaires, dont les professions intermédiaires ne sont cependant pas exemptes.