Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de soumettre à votre examen deux projets de loi organique : l'un vise à mettre en oeuvre la modernisation du CSM prévue par la réforme constitutionnelle de juillet 2008 ; l'autre, plus récent, vise à proroger le mandat des membres actuels du Conseil supérieur de la magistrature.
Le projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution a été adopté par le Sénat le 15 octobre dernier en première lecture ; le second texte en est le complément.
Je veux d'abord saluer le travail réalisé par votre commission des lois et notamment par votre rapporteur : il aura permis d'aboutir à un texte équilibré et à la hauteur de l'ambition qui lui a été attribuée.
Je l'ai souvent dit : la justice est un des piliers essentiels de nos institutions et de l'unité de notre pays. La confiance des Français en l'autorité judiciaire est l'une des premières conditions de la vie en commun.
Renforcer la confiance et adapter la justice aux exigences d'une démocratie moderne, c'est bien l'enjeu de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
M. Houillon ayant décliné de façon très complète les dispositions de ces deux projets de lois, j'insisterai pour ma part sur l'esprit des trois objectifs qui sont au coeur de ces textes : apporter de nouvelles garanties d'indépendance à l'autorité judiciaire avec l'évolution des attributions et de la composition du Conseil supérieur de la magistrature ; rapprocher la justice du citoyen en permettant la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature dans le domaine disciplinaire par un citoyen ; garantir la continuité de l'institution en prorogeant le mandat des membres actuels du CSM, afin d'avoir le temps de voter la réforme.
Premier objectif : apporter de nouvelles garanties d'indépendance à l'autorité judiciaire. Le projet de loi organique précise les dispositions constitutionnelles en matière d'attribution et de composition du Conseil supérieur. Les mesures rappelées par le rapporteur répondent à trois principes : indépendance, ouverture et transparence.
L'indépendance d'abord : le Président de la République cesse de présider le Conseil supérieur de la magistrature et le garde des sceaux perd sa qualité de vice-président. La présidence des deux formations est assurée par le Premier président de la Cour de cassation et par le procureur général de la Cour de Cassation pour le parquet.
L'ouverture ensuite : il est nécessaire de prendre en compte les évolutions de notre société. La composition du Conseil supérieur de la magistrature intègre cette exigence. Six personnalités qualifiées seront nommées par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. Rappelons que ces nominations seront soumises à la procédure de l'article 13 de la Constitution : c'est là une avancée majeure dont on ne mesure peut-être pas encore toute l'importance.
La Constitution a également prévu la désignation d'un avocat membre du Conseil supérieur de la magistrature, mettant bien en exergue l'unité de tous ceux qui contribuent à rendre la justice.
La transparence, enfin : les attributions du Conseil supérieur de la magistrature dans le domaine des nominations sont élargies. Toutes les nominations des magistrats aux parquets feront désormais l'objet d'un avis du CSM, y compris les nominations en Conseil des ministres : procureur général près la Cour de cassation, procureurs généraux près les cours d'appel. C'est là aussi un élément supplémentaire de l'indépendance des magistrats du parquet.
Deuxième objectif : rapprocher la justice du citoyen. Le texte institue une saisine directe du Conseil supérieur par le justiciable qui veut dénoncer des manquements aux obligations de comportement des magistrats.
Cette saisine directe du Conseil supérieur constitue une nouveauté importante dans le droit français. Certes, des recours existent pour contester les décisions juridictionnelles ou le fonctionnement défectueux de la justice : appel et cassation d'un côté, action contentieuse sur le fondement de la responsabilité de l'État de l'autre. En revanche, en matière disciplinaire, seuls le garde des sceaux et les chefs des cours d'appel pouvaient jusqu'à présent dénoncer à l'instance disciplinaire les manquements des magistrats. Désormais, tout citoyen pourra directement saisir le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu'il estimera qu'à l'occasion d'une procédure judiciaire, le comportement d'un magistrat doit faire l'objet d'une qualification disciplinaire. Je m'arrêterai un instant sur ce point qui constitue une réelle nouveauté.
Pour assurer le rapprochement entre le citoyen et la justice, il est bien évident que le droit de saisine doit être accessible. Mais il doit aussi être encadré si l'on veut disposer d'une protection contre des actions injustifiées, voire dilatoires et qui porteraient atteinte à l'honorabilité ou au fonctionnement normal de la justice. C'est cet équilibre qui est l'esprit même de la loi constitutionnelle.
Le nouveau droit vise à protéger les libertés des citoyens ; de ce point de vue, des exigences de forme peu contraignantes garantissent l'accessibilité du droit de saisine. Il suffira au justiciable d'écrire une simple lettre décrivant de façon détaillée les faits et griefs allégués ; il n'aura pas besoin de recourir aux services d'un avocat.
Pour autant, cela ne doit pas conduire à la déstabilisation des magistrats et de l'institution judiciaire. Il faut empêcher les dénonciations intempestives qui porteraient atteinte à la sérénité du travail des magistrats. C'est pourquoi le projet de loi organique prévoit un filtrage à deux niveaux.
Premier niveau de filtrage : la recevabilité. Les commissions d'admission des requêtes créées par la loi organique se livreront à un premier examen consistant à vérifier une série de conditions que j'appellerai « extérieures » – la qualité du requérant, le justiciable devant être concerné par la procédure l'objet de la plainte, celle-ci ne pouvant viser que le comportement d'un magistrat dans l'exercice de ses fonctions, le moment de la plainte enfin, qui ne peut intervenir que lorsque le magistrat du siège n'est plus saisi de la procédure en cause, ou lorsque le parquet n'est plus en charge du dossier, hormis quelques cas exceptionnels correspondant à des procédures particulièrement longues, comme les procédures d'assistance éducative ou de tutelle, où le CSM doit pouvoir être saisi au cours de la procédure. À cet égard, votre rapporteur a effectué un gros travail de clarification tout à fait bienvenu.
Les présidents des commissions pourront ainsi rejeter les plaintes manifestement infondées ou irrecevables.
Deuxième niveau de filtrage : la plainte doit viser un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, ce qui suppose des vérification et investigations supplémentaires : des informations et des observations seront recueillies par la section du Conseil supérieur auprès des chefs de cours.
Pour dissiper les doutes éventuels sur les qualités du magistrat, la procédure doit trouver une issue rapide. Un délai de deux mois est donc imparti aux chefs de cours pour répondre aux demandes d'information.
Troisième objectif : garantir la continuité de l'institution et la sécurité juridique – et du coup la sérénité du débat parlementaire, ce qui me conduit à vous proposer des mesures transitoires.
Le mandat des membres actuels du Conseil supérieur de la magistrature vient à expiration le 3 juin prochain, ce qui supposerait d'organiser d'ici là les opérations électorales visant à désigner leurs successeurs. Celles-ci durent généralement quatre mois pour les membres issus du corps judiciaire. Étant donné qu'une deuxième lecture du texte sera a priori nécessaire dans la mesure où vous n'êtes pas appelé à vous prononcer sur un texte conforme, il n'est pas possible de respecter ces échéances. Nous risquerions de nous retrouver dans un vide juridique, l'actuel Conseil supérieur ne pouvant plus siéger à partir du 3 juin alors que le nouveau ne serait pas encore composé. C'est pourquoi il vous est proposé, dans un second projet de loi organique, de proroger le mandat des membres actuels du CSM pour une durée maximale de six mois à compter de la promulgation du projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65.
Ce nouveau texte nous permettra de garantir la stabilité du Conseil en évitant de nouvelles désignations, par nature provisoires. J'espère que le vote définitif de la réforme interviendra d'ici au mois de juin, que nous pourrons dès lors organiser les élections et que le nouveau CSM sera opérationnel au mois de septembre ; élire le 3 juin un Conseil qui ne serait valable que jusqu'au début septembre ne serait pas très raisonnable, sous peine de porter atteinte à la stabilité même de l'institution.
Le projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil supérieur de la magistrature vise également à assurer la continuité du fonctionnement du Conseil. Le délai de six mois permettra d'achever sereinement la discussion parlementaire, puis d'organiser les opérations électorales dans de bonnes conditions. La prorogation du mandat des membres du Conseil s'articulera avec les dispositions transitoires inclues dans le projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65, qui prévoient le maintien des compétences antérieures du Conseil supérieur de la magistrature jusqu'à la première réunion du Conseil dans sa nouvelle composition.
Mesdames, messieurs les députés, j'ai souhaité, après l'excellente présentation de M. Houillon, insister sur l'esprit dans lequel cette réforme était mise en oeuvre. Elle nous permettra de présenter aux Français une justice fière de ses missions et de ses valeurs, au fonctionnement moderne et irréprochable, proche enfin des préoccupations des Français, mais aussi de leur volonté d'avoir une connaissance approfondie sur les procédures et la façon dont se déroule la vie de nos institutions.
Tels sont les enjeux des deux projets de loi organique que j'ai l'honneur de soumettre à votre examen. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)