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Intervention de Irina Bokova

Réunion du 10 février 2010 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Irina Bokova, directrice générale de l'UNESCO :

Il convient de distinguer l'audit extérieur auquel l'UNESCO se soumet depuis des années et l'évaluation que j'ai lancée. Ces dernières années, c'est la Cour des comptes française qui auditait l'Organisation. Je saisis cette occasion pour rendre hommage à la mémoire de Philippe Séguin, et pour dire tout l'intérêt des observations et des recommandations formulées par la Cour des comptes sous sa présidence. Ces remarques ont concerné en particulier la rénovation du siège ; à l'époque, je ne dirigeais pas encore l'UNESCO, mais j'ai bien entendu pris connaissance du dossier.

À mon arrivée, j'ai lancé d'autre part une évaluation de l'Organisation. Elle a commencé il y a deux mois, après que la décision a été prise par la Conférence générale sur proposition du conseil exécutif. L'évaluation est conduite par une équipe internationale extérieure à l'UNESCO. L'objectif est d'analyser la place de l'UNESCO au sein de l'ONU ; de déterminer si l'action de l'Organisation correspond bien à son mandat ; de définir si elle répond aux exigences des pays membres ; d'apprécier comment les résolutions et les décisions de la Conférence générale et du conseil exécutif sont mises en oeuvre par le secrétariat général. J'attends avec une grande impatience les conclusions de cette évaluation ; elles me permettront de renforcer ma stratégie de réforme de l'Organisation, pour la mettre mieux en adéquation avec son temps. Les experts désignés pour procéder à l'évaluation ont commencé leurs travaux au siège ; ils vont maintenant se rendre dans nos bureaux hors siège.

Pour l'UNESCO, l'impact de la crise financière est avéré. Notre budget bisannuel, approuvé par la Conférence générale en octobre 2009, n'est même pas fondé sur une croissance zéro : il a diminué, et s'établit à quelque 650 millions de dollars pour deux ans, ce qui est très modeste au regard de nos ambitions et de nos projets et de la taille de l'Organisation, qui compte 63 bureaux hors siège, 7 grands instituts et un grand réseau d'activités. Mais le réalisme nous impose d'admettre qu'il ne nous est pas possible en ce moment de demander aux Etats membres un budget plus étoffé.

Une autre raison explique la modestie de notre budget, c'est que 44 % seulement des contributions versées par les États membres au budget de l'UNESCO sont considérés comme constituant de l'aide publique au développement. Je tiens cette proportion pour insuffisante, et je me suis déjà entretenue de cette question avec le Secrétaire général de l'OCDE, car c'est le Comité d'aide au développement de cette organisation qui détermine ce pourcentage.

Le financement de nos programmes se fait aussi par des ressources extrabudgétaires, qui s'élèvent à environ 300 millions de dollars par an, mais l'accroissement des financements extrabudgétaires exerce une pression à la baisse sur le budget ordinaire. Dans ces circonstances, il faut réduire les coûts administratifs de l'Organisation pour transférer des ressources vers les programmes d'action. C'est ce que souhaitent les pays membres. J'ai déjà engagé des efforts en ce sens et je continuerai de réformer l'UNESCO.

Sans aucun doute, la crise financière a des conséquences très négatives sur l'éducation et la scolarisation. Le rapport mondial de suivi sur l'éducation pour tous était intitulé cette année « Atteindre les marginalisés ». Les données qu'il met en lumière sont très alarmantes pour ce qui concerne l'éducation des filles. Il convient de concentrer les efforts en direction des populations les plus vulnérables que sont les minorités et les enfants des familles pauvres. Mais les plus vulnérables des vulnérables sont les filles, et ce sont elles qui souffrent le plus de la crise. Je vais donc lancer une nouvelle initiative en faveur de l'éducation des filles, pour laquelle j'ai déjà reçu le soutien de plusieurs États. J'ai en particulier abordé la question avec Mme Hillary Clinton. Il me semble très important que la nouvelle administration américaine s'implique davantage dans les travaux de l'UNESCO qu'elle ne l'a fait au cours de la décennie écoulée.

J'en viens à la réforme de l'Organisation. Vous avez indiqué que sa réputation est perfectible ; il importe donc de la rendre plus efficace, plus ouverte et plus transparente et de la recentrer sur les quatre domaines d'activité qui constituent son mandat. Pour cela, il faut réformer l'administration. C'est une tâche difficile et de grande envergure. J'ai déjà créé plusieurs task forces à cet effet. La plus importante se concentre sur la gestion, l'administration, les opérations et les ressources humaines. Une adresse électronique a été créée, vers laquelle convergent les suggestions des membres du personnel, qui sont nombreux à vouloir favoriser l'efficacité de l'Organisation. Nous analyserons tout ce qui nous sera soumis et je soumettrai des propositions de réforme de l'administration au conseil exécutif lors de sa prochaine réunion, début avril. Je souhaite mettre l'administration en ordre de marche et, en particulier, obtenir de tous une mobilité qui n'est pas dans la culture actuelle de l'institution. Ainsi, certains fonctionnaires en poste depuis vingt ans à l'UNESCO ne se sont jamais rendus dans aucun des pays dans lesquels nous intervenons. Il est indispensable que nous nous rapprochions du terrain, ce qui suppose un changement d'état d'esprit.

L'éducation est, pour moi, la priorité absolue. Or, si l'on entend un grand nombre de déclarations à ce sujet, il manque une volonté politique forte, comme on le constate à la lecture de l'ordre du jour des grandes réunions internationales. De fait, l'éducation n'apparaît pas au nombre des priorités du G20. Il en résulte qu'au moment où se prépare la réunion de septembre 2010 destinée à passer en revue les progrès réalisés vers les objectifs du millénaire pour le développement, force est de constater que nous ne parviendrons pas, en 2015, au résultat que se sont fixé les Etats : assurer l'éducation primaire pour tous. D'une part, certains pays qui accusent un grand retard en ce domaine sont maintenant frappés par les effets de la crise ; d'autre part, nous sommes absents d'autres pays qui font de grands efforts.

L'UNESCO et la Banque mondiale ont mis au point la Fast track initiative pour l'éducation pour tous. Nous entendions recueillir des ressources très importantes pour créer un fonds mondial en faveur de l'éducation ; malheureusement, ce résultat n'a pas été atteint. Il faut impérativement mobiliser toutes les énergies et je m'y emploie. Ainsi, lorsque je me suis rendue à Washington, j'en ai eu des entretiens à ce sujet avec la Banque mondiale, le FMI et de nombreux dirigeants. L'éducation est cruciale pour le développement. Comment peut-on s'attendre à ce que des populations majoritairement analphabètes – les femmes particulièrement – puissent prendre conscience des changements nécessaires pour parvenir au développement durable ? Les problèmes auxquels nous devons faire face sont multiples, mais nous devons impérativement nous concentrer sur cet objectif.

J'en viens à Haïti, dont le malheur est celui de toute l'humanité. C'est aussi un grand malheur pour l'UNESCO, très impliquée à Haïti, pays qui participe par ailleurs au projet « La Route de l'esclave ». Trois projets destinés à remettre sur pied les services d'éducation ont été lancés au sein de l'ONU à l'initiative de l'UNESCO. Le ministère de l'éducation d'Haïti fonctionne grâce à l'UNESCO qui lui a offert ses locaux et toute l'infrastructure nécessaire. Nous avons aussi dépêché dix experts chargés d'évaluer l'état du patrimoine historique haïtien, des objets culturels, des musées et des sites inscrits au patrimoine mondial en Haïti. J'ai demandé à M. Ban Ki-moon de favoriser le vote par le Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution interdisant temporairement le commerce ou le transfert des biens culturels haïtiens, et grâce à nous, les forces des Nations Unies protègent les sites culturels du pillage. Le 16 février, j'organise au siège de l'UNESCO une réunion d'experts pour la création d'un comité international de coordination destiné à définir un programme de réhabilitation du patrimoine culturel haïtien. Mme la ministre de la culture d'Haïti y participera ; je m'en félicite, car c'est par le biais de la coopération avec les autorités haïtiennes que nous travaillerons le plus efficacement.

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