Il a été donné pour objectif aux établissements de santé de revenir à l'équilibre financier en 2012. Les quatre-vingts missions d'appui et de conseil effectuées par le Conseil général des établissements de santé depuis quatre ans ont confirmé ce dont m'avait convaincu mon expérience depuis 1972 : il existe, au sein des hôpitaux, une culture traditionnelle qui consiste à expliquer les déficits par l'insuffisance des moyens au regard des exigences du service public. L'introduction de la tarification à l'activité (T2A) a donc représenté une sorte de « big bang ». Nombre d'hôpitaux ont su s'adapter, certains non. Car il serait faux de dire que tous les hôpitaux publics, que tous les centres hospitaliers universitaires sont en déficit : ce qui est vrai, c'est qu'une trentaine d'établissements, dont les plus importants, sont en grande difficulté – sont de « grands malades ».
Le déficit a ordinairement trois causes : tout d'abord, une activité insuffisante, les cliniques privées ayant, après s'être restructurées, conquis une partie du terrain auparavant occupé par l'hôpital public ; or, plus les établissements étaient importants, moins ils se sont préoccupés de cette concurrence.
Deuxième cause : l'inadaptation de l'offre de soins à l'activité réelle, qu'illustre la présence parfois de personnes âgées dans les services de chirurgie où elles n'ont rien à faire. On parle à ce propos de patients « inadéquats », mais ce sont bien évidemment les structures qui sont inadéquates. Aujourd'hui, on ne peut plus redessiner le paysage hospitalier en partant de l'organisation en place : il faut partir des besoins de santé et de l'activité réelle. Si l'on adopte cette logique, l'hôpital idéal auquel on arrive n'a rien à voir avec celui qu'on voit fonctionner. C'est le signe certain que les réorganisations indispensables n'ont pas eu lieu. Y procéder est certes une tâche redoutable : cela implique que des services ou des fonctions disparaissent tandis qu'il faut en développer d'autres : médecine gériatrique, médecine « chronique »… L'expansion des soins ambulatoires casse d'ailleurs déjà l'organisation traditionnelle de l'hospitalisation. On déplore souvent, et moi comme bien d'autres, un manque de personnel auprès des lits des patients, mais le problème est mal posé : il résulte, non d'une insuffisance d'effectifs, mais de l'absence de réorganisation – ainsi que d'une mauvaise gestion des RTT, pour lesquelles on constate des disparités considérables entre établissements : certains accordent 22 jours de congé, d'autres 14, soit une différence équivalant à quatre-vingts postes dans un hôpital de 2 500 salariés !
Dernière source de difficultés : une gestion défaillante. Les établissements en situation périlleuse se distinguent par leur incapacité à fournir des chiffres comparables d'une année à l'autre, des séries statistiques continues. Ils ne disposent même pas d'indicateurs simples comme le nombre de patients, la durée moyenne de séjour, la situation de trésorerie…
Le système s'est complètement délité. Comment y remédier ? Cinq pistes sont à explorer.
En premier lieu, il faut réexaminer les choix faits en matière d'investissements. Des hôpitaux espèrent améliorer leur situation en accroissant leur activité, mais, faute de fonds propres, cela les condamne à emprunter, donc à s'endetter encore davantage. D'autre part, l'activité à laquelle ils songent est souvent exercée par d'autres… Enfin, je doute qu'on puisse reconstruire à échéance de six ans un établissement de 1 200 lits, comme certains le projettent.
Deuxièmement, il faut définir l'offre médicale en tenant compte des besoins du bassin de population et des offres de soins alternatives à celles de l'hôpital, fournies par les cliniques privées et par la médecine ambulatoire, ce afin de combler des manques plutôt que d'affronter une concurrence.
Troisièmement, il faut une meilleure gestion des ressources humaines.
Quatrièmement, il faut rompre avec un système financier permissif qui autorise des établissements en grande difficulté à souscrire des emprunts alors qu'ils ne disposent plus de fonds propres et sont fortement endettés – ce qui entretient une confiance illusoire en l'avenir.
Enfin, « l'écosystème » hospitalier étant très résistant au changement, il faut tenir, depuis le plus haut niveau jusqu'au plus bas, un discours clair sur les finalités des indispensables réorganisations, à savoir une bonne prise en charge des patients et une bonne qualité des soins, faute de quoi on restera prisonnier du discours traditionnel, dont se régale toute une série de lobbies, sur l'insuffisance des moyens.