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Intervention de John Martin

Réunion du 17 février 2010 à 16h30
Commission des affaires sociales

John Martin, directeur de l'emploi, du travail et des affaires sociales à l'Organisation de coopération et de développement économique, OCDE :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation.

Je voudrais tout d'abord vous présenter mes collaborateurs. Mme Monika Queisser, qui est chef de la division des politiques sociales, est l'un des grands experts de l'OCDE en matière de systèmes de retraite. M. Stefano Carcillo, est expert en matière de marché du travail. Avant de rejoindre l'OCDE, il a fait partie du cabinet de M. Laurent Wauquiez et a travaillé sur l'emploi des seniors.

Comme vous le savez, l'OCDE est un lieu de confrontation des expériences nationales permettant d'évaluer les politiques publiques et de faire apparaître les meilleures pratiques. Je suis donc très heureux que nous puissions contribuer aujourd'hui à éclairer vos débats sur les conditions de sauvegarde du modèle social français dans le contexte financier et démographique – très particulier – que nous connaissons tous. Si vous le permettez, je centrerai mon intervention sur deux thèmes, le financement de la protection sociale et celui des retraites.

Tout d'abord – c'est un point qui, à l'OCDE, nous semble essentiel – le meilleur garant de la pérennité du modèle social français, c'est le retour de la croissance et surtout du plein-emploi.

Certes, pour résorber les déficits à brève échéance, il pourrait sembler a priori plus facile de faire simplement bouger les curseurs des dépenses et des recettes, sans changement structurel – par exemple en prélevant plus de cotisations sociales ou, au contraire, en réduisant le niveau des prestations. Mais, dans un cas comme dans l'autre, ce ne serait là qu'un coup d'épée dans l'eau, qui ne ferait que retarder les changements structurels nécessaires. Pour sortir par le haut des difficultés de financement du modèle social français, il n'y a qu'une seule voie, mettre tout en oeuvre pour augmenter le taux d'emploi. En France, il est en deçà du taux moyen des pays de l'OCDE.

L'expérience comparée des pays de l'OCDE le démontre clairement : les pays qui parviennent à financer sur la durée, et de manière relativement équilibrée, un système social protecteur sont ceux où le taux d'emploi est élevé. C'est le cas de la Suède, du Danemark ou des Pays-Bas, où il est respectivement de 76 %, de 78 % et de 76 %, contre 65 % en France. Les systèmes de prestations sociales et de prélèvements de ces pays sont pourtant globalement assez proches de celui de la France. Mais les jeunes et les seniors, notamment, y sont plus souvent au travail. Le marché du travail français présente, en effet, la particularité bien connue d'avoir des taux peu élevés d'emploi au sein de ces populations. Certaines règles de fonctionnement de ce marché – comme le recours croissant aux contrats courts – pèsent très certainement sur la stabilité et le niveau de l'emploi des catégories de travailleurs les plus fragiles. Or, cette évolution n'est que le reflet d'une réglementation complexe, source d'incertitude sur le coût des embauches et des licenciements, qui mériterait d'être simplifiée. Une telle simplification réduirait aussi la dualité du marché du travail.

Cependant, si les systèmes sociaux des pays que je viens de citer ont été rendus compatibles avec des taux d'emploi élevés, c'est parce qu'y ont également été mises en place, en contrepartie, des incitations très claires en faveur de l'emploi.

En matière de prestations, il faut s'assurer que les dispositifs qui constituent les filets de sécurité sont compatibles avec la reprise d'un emploi. À cet effet, des incitations financières à la reprise d'emploi sont nécessaires. Sur ce point, la logique qui a prévalu lors de la création du revenu de solidarité active (RSA) marque un indéniable progrès.

Cependant, les incitations financières ne sont pas toujours suffisantes. La mise en oeuvre de politiques actives de l'emploi dans une logique stricte de droits et devoirs est également essentielle. Elle nécessite une réforme de l'organisation du service public de l'emploi. Celle-ci, qui est en cours avec la création de Pôle Emploi, doit dépasser la simple mise en commun des moyens existants. À l'exemple du Royaume-Uni, du Danemark et des Pays-Bas, de nouvelles méthodes doivent être mises en oeuvre pour faire du principe d'obligation mutuelle une réalité. Il s'agit pour l'État d'être en mesure d'apporter un véritable accompagnement personnalisé et des solutions adaptées en matière de formation, de garde d'enfants et de toute autre activité favorable à l'amélioration de l'employabilité ou au retour vers l'emploi. Il s'agit pour le bénéficiaire de ne pas refuser systématiquement les offres qui lui sont faites. Toutes ces mesures sont essentielles pour s'assurer que le système de protection sociale bénéficie vraiment à ceux qui en ont le plus besoin et qu'il constitue un tremplin vers l'emploi et non une fin en soi.

S'agissant des prélèvements qui financent cette protection sociale, il faut également éviter de peser sur l'emploi. Le système de protection sociale français est essentiellement financé par les cotisations sociales et les impôts sur les salaires. La France est l'un des rares pays de l'OCDE où le « coin fiscal et social » – c'est-à-dire la différence entre le coût du travail et le salaire net – a augmenté au cours des dix dernières années, et cela alors que le coût du travail y est l'un des plus élevés, notamment en bas de l'échelle des salaires. En France aujourd'hui, le travail coûte en moyenne deux fois plus cher que ce que représente le salaire net ; la raison principale en est un niveau de cotisations sociales patronales sans équivalent parmi les pays de l'OCDE. Dans ce contexte, résorber les déficits en alourdissant encore les cotisations patronales ferait peser un risque important sur l'emploi.

Le législateur devrait, au contraire, chercher à diminuer la charge qui pèse sur les revenus du travail. Une telle action favoriserait la création d'emplois, et, en même temps, augmenterait le revenu net disponible des ménages. Si une politique d'allégement général des cotisations sociales ciblée sur les bas salaires répond à cette préoccupation, elle n'est pas exclusive d'une réforme plus ambitieuse, qui ferait basculer une partie des charges vers d'autres impôts.

Le débat de 2007 relatif à la TVA dite « sociale » est au coeur de cet enjeu. Par rapport aux autres pays de l'OCDE, le taux normal de TVA en France est relativement élevé. En revanche – et c'est une forte caractéristique de votre pays –, nombre de produits sont taxés non pas à ce taux normal mais à un taux réduit qui, lui, au contraire, est très bas. Une voie possible de réforme pourrait ainsi consister, plutôt qu'à procéder à une hausse du taux normal de TVA, à en élargir l'assiette.

Le débat que vous conduisez régulièrement sur les niches fiscales est également essentiel. Je sais, monsieur le président, que vous serez sensible à cette question. Avec 33,33 %, le taux d'imposition sur les bénéfices des sociétés apparaît élevé ; cependant, du fait de règles d'amortissement ou de déduction des provisions très avantageuses par rapport aux autres pays, la base de l'impôt est très réduite.

Dans le contexte du vieillissement de la population, l'exigence d'augmenter le taux d'emploi afin de préserver le modèle social français prend un relief tout particulier. Cette exigence se reflète également dans les difficultés grandissantes de financement du système des retraites.

Les dépenses publiques de la France en 2007 en faveur des pensions de retraite représentaient 12,5 % de son revenu national, contre environ 7,2 % à 7,5 % en moyenne au sein de l'OCDE. De plus, en 2050, il y aura deux fois moins d'actifs par retraité qu'actuellement. La pression va donc continuer à s'accroître.

D'ores et déjà, dans de nombreux pays de l'OCDE dont la France, les possibilités de recours aux dispositifs publics de préretraites ainsi qu'aux retraites anticipées ont été fortement restreintes. Je m'en réjouis : en effet, les systèmes de préretraites mis en oeuvre dans les années 1970 et 1980 ont été très coûteux et ont laissé un héritage très néfaste pour le marché du travail.

Ensuite, il n'existe guère que trois manières de résoudre les difficultés de financement des retraites liquidées à l'âge normal : augmenter les cotisations qui pèsent sur les salaires, diminuer le niveau des pensions ou augmenter la durée normale requise de cotisation.

La première solution, l'augmentation des cotisations, est difficile à assumer sauf, comme je viens de l'expliquer, à vouloir prendre le risque de peser sur l'emploi.

Si la deuxième solution – diminuer le niveau des pensions – est toujours praticable, elle est sans doute peu compatible à terme avec l'un des aspects fondamentaux du modèle social français, l'objectif de sauvegarde d'un bon niveau de remplacement des revenus. Pourtant, quelques pays de l'OCDE ont suivi cette voie. Ainsi, huit pays – dont l'Allemagne, l'Autriche, la Corée du Sud, la Finlande, l'Italie, le Portugal et la Turquie – ont uniformément diminué les prestations. D'autres – comme le Mexique ou la Suède – ont également réduit les prestations, mais en protégeant les faibles revenus. Enfin, des pays comme la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie ont, au contraire, renforcé le lien entre pension et revenu du travail, avec pour conséquence des effets de redistribution du nouveau système de pensions beaucoup plus faibles que dans le système précédent. En France aussi, des ajustements importants ont déjà eu lieu avec les réformes Balladur et Fillon, ce qui a notamment conduit à améliorer le filet de sécurité. Ces réformes étaient nécessaires. Il faut maintenant agir surtout sur la durée d'activité.

Cette troisième solution, qui consiste à allonger la durée de cotisation, a d'ailleurs été la voie la plus souvent utilisée. Dans ce domaine, le paramètre le plus simple à comprendre, et dont l'impact sur l'équilibre des régimes de retraite est le plus rapide, est celui de l'âge normal de départ à la retraite. Ainsi, entre 2004 et 2009, l'Allemagne, le Danemark et le Royaume-Uni ont légiféré en vue de relever progressivement cet âge à 67 ou 68 ans. La République tchèque va le fixer à 65 ans. Le gouvernement néerlandais a proposé de le porter de 65 à 67 ans. Le gouvernement espagnol propose en ce moment de le relever à 67 ans. Bien qu'elle ait augmenté le nombre d'années de cotisation nécessaires à l'obtention d'une retraite à taux plein, la France est le seul pays de l'OCDE où l'âge légal de départ reste maintenu à 60 ans – même si l'âge effectif de départ est plus proche de 61 ans.

Mais, dans bon nombre de pays, avec l'augmentation de l'âge normal de la retraite, la question de la pénibilité ou de l'incapacité professionnelle a ressurgi. C'est évident, tout le monde ne peut pas travailler jusqu'à 65, 67, voire éventuellement 70 ans. Pour l'OCDE, les problèmes de santé, qui peuvent résulter de l'activité professionnelle, doivent être pris très au sérieux. Cependant, ils doivent être réglés indépendamment des systèmes de retraites, à l'aide de dispositifs d'assurance contre le handicap ou l'invalidité, mieux adaptés, à notre avis, à la situation de chaque métier ou de chaque individu. En effet, aboutir à une définition consensuelle des situations de pénibilité ou de dangerosité professionnelles est extrêmement compliqué. De surcroît, il n'est pas évident de faire prendre en compte par un système de retraite des épisodes individuels de travail plus ou moins pénibles ou dangereux, et plus ou moins longs au cours d'une carrière. Il est donc préférable de séparer le système de retraite de celui qui vise à indemniser des situations de travail pénible ou d'invalidité, tout en cherchant à réduire au minimum l'exposition prolongée des salariés à ces situations. L'OCDE a beaucoup travaillé sur ce sujet. Elle lance actuellement une nouvelle étude sur le stress lié au travail et la dépression ; dans de nombreux pays, celui-ci est en effet bel et bien la cause fondamentale des entrées dans les systèmes de prise en charge de l'invalidité.

Enfin, quelques pays de l'OCDE ont complètement remis à plat la logique de leurs systèmes de retraites pour aboutir, parfois, à des systèmes à points ou à comptes notionnels. L'idée est de renforcer le lien entre les contributions et les retraites versées et, dans le même temps, de tenir compte de l'espérance de vie afin que le régime soit automatiquement équilibré. Cependant, l'expérience démontre que, même avec ce type de système, en situation de crise économique, le niveau des retraites peut baisser d'une manière parfois peu acceptable. Des ajustements sont donc toujours nécessaires. C'est ce qui s'est passé en Allemagne ou en Suède, par exemple. Il n'en reste pas moins que ce type de système offre une plus grande flexibilité dans la gestion du système de retraite.

Pour conclure, il me semble que toute réforme visant à favoriser l'emploi – notamment pour les jeunes et les seniors, qui sont les deux groupes les plus défavorisés dans ce domaine en France – sera favorable à la sauvegarde du modèle social français. Cela passe par des réformes ambitieuses du marché du travail, du mode de financement de la protection sociale, et du régime des retraites. Je sais que, depuis plusieurs années déjà, sur toutes ces questions, vous travaillez et vous recherchez des solutions. L'OCDE est à votre disposition pour accompagner votre réflexion.

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