Préalablement je souhaite vous remercier de votre invitation. Je me présente à vous aujourd'hui avec à l'esprit, une double conviction qui peut paraître antinomique.
D'une part, j'ai le sentiment – que je ne partage pas avec le plus grand nombre de juristes – que, pour l'élection des conseillers territoriaux, l'introduction (à grande dose) d'un scrutin uninominal (en fait d'un scrutin binominal) majoritaire à un tour est un bon système, dès lors qu'il est tempéré par le recours au scrutin proportionnel qui assure une représentation des minorités. J'y suis donc favorable mais sous certaines réserves.
D'autre part, je suis un ardent partisan de la parité. J'ai pu mesurer à quel point la présence des femmes dans le conseil municipal au sein duquel j'ai siégé était un système qui serait appelé à prospérer : les femmes, dans l'action publique sont actives, proches des réalités concrètes et leur force de conviction l'emporte souvent.
Je suis donc par expérience autant que par conviction, résolument favorable à la féminisation des instances élues et par conséquence à la parité.
C'est la raison pour laquelle, je ne vois qu'un avantage à ce que, d'une part, le projet étende l'exigence de parité aux élections municipales dans les communes de 500 à 3500 habitants et pour les élections des délégués communautaires, et d'autre part à ce que les dispositions de la loi du 31 janvier 2007 qui étend, en l'état du droit positif, la parité au sein des instances exécutives municipales et régionales, soit aussi étendue à l'élection des organes exécutifs du département et de la région, dans le nouveau schéma des conseillers territoriaux.
L'analyse juridique de la réforme pose une première question qui est celle de la constitutionnalité du mode de scrutin
Le professeur Guy Carcassonne a développé dans une tribune publiée dans Libération des 10 et 11 novembre 2009, l'opinion selon laquelle le scrutin majoritaire à un tour est contraire à la Constitution, parce qu'il est contraire à un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il estime que les textes de la IIIe République, donc antérieurs à 1946, ayant retenu le scrutin majoritaire à deux tours, il existe un principe assez général permettant de regarder ce mode de scrutin comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Cette thèse est séduisante et si elle était admise, elle contraindrait le gouvernement à revoir sa copie.
Selon moi, cette proposition n'est pas exacte.
En premier lieu, pour qu'un principe soit regardé comme un principe fondamental reconnu par les lois de la république, il faut que son application soit constante. Or, cela n'a pas été le cas pour les élections législatives de 1986, sans parler des élections européennes qui n'ont pas eu lieu au scrutin majoritaire à deux tours.
Deuxièmement, ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ni celle du Conseil d'État n'ont jamais déclaré que le scrutin majoritaire à deux tours était un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Mais, il est exact que, pour autant, on ne peut préjuger qu'il n'en décidera pas ainsi…
Reste le point de savoir si le projet est inconstitutionnel parce qu'il violerait l'article premier, alinéa 2 de la Constitution, d'après lequel : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».
D'abord, favoriser c'est « tendre vers », ce n'est pas garantir. Ensuite, toute la question est de savoir ce qu'il faut exactement entendre par « égal accès ». L'égal accès aux mandats électoraux et fonctions électives, c'est l'égale possibilité faite aux hommes et aux femmes d'accéder à un mandat électif. Et cette égale accession se réalise, par l'égale possibilité faite aux femmes et aux hommes d'être candidats à l'élection. L'égalité d'accès au sens de l'article 1er alinéa 2 de la Constitution, ce n'est pas à l'égalité de la représentation. Il ne s'agit pas de faire en sorte que le nombre d'élues femmes soit égal à celui des élus hommes.
Or, il me semble que, comprise comme il vient d'être dit, cette égale possibilité pour les femmes et les hommes de se porter candidats n'est pas compromise par le projet de loi. En prévoyant expressément, que les dispositions actuelles de l'article L. 210-1 du code électoral demeurent applicables, en droit, la parité est maintenue dans le « ticket », je parlerais plutôt de « couple », ou mieux encore de « binôme », c'est-à-dire au niveau de la candidature dont serait issu 80 % des conseillers régionaux. Évidemment, vous redoutez que dans les faits, dans une forte proportion des cas, le candidat titulaire soit un homme et que son remplaçant soit une femme.
Il ne serait donc pas surprenant qu'il soit jugé que les dispositions critiquées ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte à l'objectif d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives comme le conseil constitutionnel l'a déjà fait en 2003, à propos de la réforme de l'élection des sénateurs.
Il pourrait aussi y avoir un problème de tutelle d'une collectivité sur l'autre, au regard de l'article 72 de la constitution et de la libre administration des collectivités locales. Il devrait y avoir deux assemblées différentes. Or il y a l'exemple du Conseil de Paris, qui se réunit au niveau régional et départemental.
Cela étant, est-il possible d'agir, et si oui sur quels points, pour faciliter l'égale accessibilité des femmes et des hommes aux fonctions de conseiller territorial ?
Plusieurs pistes, dont certaines sont d'ores et déjà connues de vous, peuvent être envisagées. Il est une piste que je laisse de côté, c'est celle du scrutin proportionnel, parce que ce n'est pas le choix fait par le gouvernement dans son projet de loi.
Par contre, on peut agir sur l'attribution, voire la suppression de l'aide publique accordée aux partis politiques.