Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de colonel Jean-François Martini

Réunion du 10 février 2010 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

colonel Jean-François Martini :

Je suis particulièrement honoré d'être appelé à témoigner devant vous au titre de mon engagement au sein des OMLT en 2009. Il est toujours agréable pour un chef de voir mis en valeur le travail de ses hommes. Je m'appuierai sur quelques cartes, la géographie de l'Afghanistan étant très importante pour comprendre la mission des OMLT.

Je retiens trois points saillants concernant la période de mai à novembre 2009 : une très forte tension et de nombreux engagements qui ne nous ont pas surpris, l'été étant toujours propice à cela ; une période électorale au mois d'août, qui a induit de nombreux problèmes sur le plan sécuritaire ; enfin, un changement de zone et de brigade, nos OMLT ayant rejoint la zone française en Kapisa-Surobi.

Les équipes OMLT ont été créées pour aider l'ANA à acquérir son autonomie. Pour ce faire, notre mission comprend deux volets : d'une part, l'instruction et l'entraînement sur le terrain – qui représentent 70 % de l'activité – d'autre part, les liaisons – 30 % de l'activité – tant au sein de l'ANA qu'entre l'ANA et les troupes de la coalition afin de mettre en oeuvre des moyens d'appui nécessaires dont ne disposent pas les Afghans – moyens aériens, d'évacuation sanitaire, appui feu par exemple. L'accompagnement au combat n'est pas un but en soi ; il est conçu comme la conséquence des deux volets précédents, mais avec le souci de laisser les Afghans mener eux-mêmes les combats.

L'ANA est une jeune armée – sept à huit ans d'ancienneté – dont la montée en puissance s'est faite progressivement. Composée au départ d'un simple bataillon (kandak), elle compte actuellement cinq corps d'armée. Ses effectifs augmentent régulièrement. L'objectif est d'atteindre 260 000 hommes en 2014, ce qui est conséquent pour un pays de 34 millions d'habitants. Elle est totalement impliquée dans la sécurisation du pays et, à ce titre, elle assure le commandement de plus de la moitié des opérations conjointes menées avec les troupes de la coalition.

Les militaires qui intègrent les OMLT sont des soldats particuliers, volontaires, sélectionnés sur des critères de maturité, de calme, de sens pédagogique et d'aptitude au combat et à la vie en milieu hostile. Sortis de leurs unités, ils sont regroupés par équipes de 6 et suivent une formation spécifique de six mois. Celle-ci comporte aussi bien un entraînement physique que des cours d'anglais, une formation technique couvrant un large spectre depuis l'utilisation de l'armement afghan jusqu'au guidage des avions américains en passant par la connaissance des engins explosifs improvisés ou le secourisme de combat. La maîtrise des missions types des unités de l'ANA occupe également une large place. À l'arrivée sur le théâtre, les 15 premiers jours sont réservés à une mise en condition idéale tenant compte des dernières évolutions de la situation sur le terrain. N'ayant pas de restriction d'emploi, ils sont autonomes et susceptibles d'être déployés sur l'ensemble du territoire afghan, ce qui n'est pas le cas de toutes les OMLT fournies par les autres pays de la coalition. Les équipes françaises peuvent ainsi accompagner les unités afghanes avec lesquelles elles travaillent sur l'ensemble du territoire.

Les OMLT françaises, avec un effectif de 220 hommes environ, sont attachées à une brigade de l'ANA, qui compte 2 600 hommes, et réparties au sein des régiments qui la composent. Chaque régiment est supervisé par un groupe de cinquante OMLT français, qui sont répartis en équipes de six hommes par compagnie de 90 à 100 soldats afghans avec lesquels ils vivent en permanence pendant les 6 mois de leur projection. Chaque équipe de six hommes, qui constitue le coeur des OMLT, est dotée de deux véhicules. Elle se compose d'un chef de section, lieutenant ou capitaine, d'un adjoint, sous-officier expérimenté, et de soldats ayant chacun sa spécialité (transmission, génie, santé, armes collectives). Un septième homme a une grande importance : l'interprète. Il fait partie intégrante de l'équipe, vit avec elle pendant toute la durée de la mission, va au combat avec l'unité et s'investit totalement dans sa mission. Une équipe de 50 OMLT assiste l'état-major de la brigade.

Nous avons travaillé dans deux zones relevant du 201e corps d'armée afghan, unité d'élite dont la mission est de protéger Kaboul et qui compte les meilleurs généraux et les meilleurs officiers de l'ANA : dans un premier temps, dans un environnement américain, dans le Wardak, le Logar et le Bamyan et, dans un second temps, en environnement français, dans les vallées de la Kapisa et de Surobi, avec la Task Force Lafayette.

Quant au terrain, quelle que soit la zone, le principe – toujours le même – consiste à tenir les axes logistiques qui ravitaillent Kaboul, ou la contournent au nord. Ces axes empruntent des vallées. Les zones refuges des insurgés se situent dans les montagnes ou les vallées adjacentes. Cette topographie explique que les zones d'affrontement soient concentrées le long de ces axes où nous voulons notre liberté d'action dont les insurgés entendent nous priver.

Il est difficile d'établir une typologie générale des insurgés : nous sommes confrontés à plusieurs types d'insurrections, qui mêlent étroitement délinquants et talibans. Pour dix insurgés, au sens large, on compte deux vrais talibans, convaincus et formés, et huit combattants intermittents ou contractuels qui viennent prêter main-forte contre rétribution ; la participation à la pose d'un IED par exemple est rémunérée entre 100 et 200 dollars, soit largement plus d'un mois de salaire. Les insurgés, constitués en groupes de 3 à 20 personnes, connaissent parfaitement le terrain qu'ils arpentent pour certains depuis plus de trente ans. Ils nous observent et connaissent bien nos techniques auxquelles ils s'adaptent très rapidement, ce qui nous contraint à des évolutions permanentes.

Il est évident qu'en les empêchant d'agir sur notre enjeu commun, la population, nous générons une activité plus importante de leur part : l'ANA, avec l'aide des OMLT, cherche à redonner confiance à la population, la sécuriser ; cela explique en grande partie l'activisme des talibans.

Notre première zone d'affectation, le Wardak, était sous commandement américain ; on y dénombrait cinq bataillons américains, positionnés le long des axes, auxquels s'ajoutaient six bataillons de l'ANA, sur les mêmes positions et chargés des mêmes missions ainsi qu'un bataillon jordanien et les équipes de reconstruction provinciale (PRT) chargées du volet reconstruction, développement, sécurité et gouvernance. La coordination entre tous ces éléments, par les OMLT, est évidemment primordiale. Dans le Nord-Wardak, les postes américains et ceux de l'ANA étaient le plus souvent colocalisés et les OMLT assuraient la coordination. Il arrivait cependant que des unités de l'ANA et leurs OMLT soient isolées.

Le poste de combat avancé (COP) est un camp fortifié derrière des remblais de terre, qui comprend une zone de vie et une zone de combat. Les Français des OMLT et les Afghans de l'ANA vivent ensemble, six mois d'affilée, dans un COP la plupart du temps isolé et peu facile à ravitailler, sauf par hélicoptère et souvent de nuit. Ils sont installés dans les vallées, le long des axes à défendre, et peuvent être protégés des risques venant des hauteurs qui les entourent par des petits postes d'observation empêchant l'ennemi de s'infiltrer. Pendant la période des élections, des postes mobiles ont été montés ; ils ont été harcelés en permanence par les insurgés.

Aux trois-quarts de notre mandat, nous avons déménagé des régions Wardak et Logar vers la Kapisa et la Surobi. Ce déménagement présentait une difficulté particulière : il devait se faire sans rupture dans la supervision des brigades de l'ANA qui passaient sous responsabilités croisées des américains et des français en plein milieu du ramadan.

La zone de la Kapisa-Surobi comprend un axe majeur dont l'ouverture est l'enjeu actuel important pour créer autour de Kaboul une rocade permettant de rejoindre le tunnel de Salang, dans le Nord, sans passer par la capitale. Nous y avons retrouvé la même topographie d'axes stratégiques empruntant des vallées, celles adjacentes servant de refuge aux insurgés. Leurs noms reviennent souvent dans l'actualité comme celle d'Alasai. Dans cette zone, plus d'équipes OMLT sont seules avec les Afghans et non colocalisées avec des forces de la coalition. Les COP sont établis sur le même principe que celui déjà décrit. En Surobi, le dispositif est identique, avec en plus de nombreux petits postes occupés de façon intermittente par l'ANA.

Au quotidien, les OMLT relèvent de quatre structures de commandement : la chaîne française, sous l'autorité du chef d'état-major des armées, celle de la coalition, c'est-à-dire la chaîne de la FIAS, la chaîne spécifique traitant de l'instruction appelée Training control – dont l'objet est de contrôler la façon dont l'enseignement est dispensé - et enfin la chaîne de commandement afghane. Contrairement à nos pratiques, les ministres afghans de l'intérieur et de la défense n'hésitent pas activer directement les unités, court-circuitant la procédure hiérarchique ordinaire.

Les OMLT ont été déployées durant deux ans au sein de la première brigade du 201e corps d'armée de l'ANA, l'amenant au plus haut niveau opérationnel (CM 1) qui lui permet d'agir en totale autonomie. Les Afghans sont très fiers d'avoir obtenu cette qualification ; ils se félicitent en outre que ces résultats aient été obtenus grâce au soutien des militaires français qu'ils apprécient tout particulièrement. L'évolution a peut-être été moins immédiatement visible pour la troisième brigade : à notre arrivée, elle avait déjà un niveau opérationnel significatif.

Au final, je suis intimement convaincu de l'intérêt et de l'efficacité de cette mission de supervision. Je crois que c'est dû en grande partie à la relation de confiance qui existe entre les Français et les Afghans. Les soldats mangent ensemble, se battent ensemble, apprennent à se connaître… Mes hommes manifestaient la même émotion lors de la mort d'un soldat afghan que lors de celle d'un soldat français, preuve s'il en est qu'ils ne font pas de différence entre les combattants. C'est une affaire de confiance : lorsque je me déplaçais avec le général Razik, je m'en remettais complètement à lui ; il me présentait à nos interlocuteurs comme « son frère », terme très fort dans la culture afghane. Les soldats afghans sont des hommes de grande valeur, d'excellents combattants avec beaucoup de courage et une très grande réactivité. Je veux aussi souligner que les résultats engrangés sont possibles parce que ces soldats sont indépendants de tout impératif tribal et qu'ils sont fidèles à l'État.

Bien évidemment, l'armée afghane doit encore faire beaucoup de progrès notamment en matière de commandement, ses officiers devant évoluer du concept de chef de bande vers celui de chef militaire. De même, la dimension interarmes est encore très lacunaire : ils peinent à utiliser leurs canons, leur génie ou encore leur aviation naissante. Au niveau des états-majors, la planification est quasi inexistante.

Les missions assurées par les OMLT couvrent l'ensemble du champ allant de la coopération civilo-militaire au ravitaillement en passant par la reconnaissance. Le format des forces engagées est très variable et adapté à chaque opération. Les OMLT interviennent parfois seules pour des missions internes. La plupart des opérations sont en revanche organisées en coordination avec la force de la coalition en charge de la zone (battleforce space owner).

Quelques mots sur l'avenir et sur les enjeux pour les OMLT en Afghanistan. Pour mener une lutte contre-insurrectionnelle efficace, on considère qu'il faut disposer d'un soldat pour 50 habitants. Dans les régions du Wardak et du Logar, le ratio n'était que de 0,45 soldat pour 50 habitants. Faute de moyens, nous étions contraints de faire des choix en nous concentrant sur certaines zones de population. La montée en puissance de l'ANA devrait permettre de mieux couvrir le territoire et d'occuper physiquement le terrain.

Le deuxième enjeu tient au renseignement. L'ANA n'a pas de culture du renseignement, se contentant souvent d'informations achetées à des indicateurs à la crédibilité très variable. Nous avons amélioré le partage du renseignement avec les forces déployées au point que les échanges se font désormais en temps réel, ce qui nous confère souvent un avantage décisif.

Notre engagement au sein d'une zone contrôlée par des forces françaises a facilité notre travail puisque nous connaissons parfaitement les méthodes et les procédures et que nous pouvions travailler dans la même langue. La collaboration était tout aussi satisfaisante avec les autres alliés mais il nous fallait un temps d'adaptation supplémentaire.

En conclusion, je veux rappeler que les missions des OMLT sont difficiles, les soldats étant soumis à une pression constante dans des conditions extrêmes. Souvent isolés, ils doivent réagir à des prises à partie quasi quotidiennes. Malgré ces difficultés, nous pouvons nous féliciter de résultats concrets. Je suis un fervent défenseur de notre méthode qui permet à l'ANA de gagner en compétence. Les Afghans sont en train d'acquérir leur autonomie et s'impliquent véritablement pour atteindre cet objectif. Je tiens enfin à souligner que les moyens mis à notre disposition sont très conséquents : c'est la première fois que je dispose d'autant de ressources et nous ne manquons de rien pour accomplir nos missions. Au-delà de ces éléments, je dois vous dire que mon engagement en Afghanistan a été une expérience humaine hors du commun qui m'a énormément apporté.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion