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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 16 février 2010 à 9h30
Organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, sur les questions éthiques et, plus largement, sur toutes les questions de société, si l'avis de spécialistes, d'experts, est évidemment indispensable, faire l'économie du point de vue des citoyens reviendrait à négliger l'essentiel.

En effet, ce sont toujours les peuples qui font l'histoire ; mais, s'ils peuvent la faire bien, ils peuvent aussi la faire mal. Or, pour la faire bien, ils doivent absolument intérioriser la part la plus essentielle du patrimoine culturel accumulé par des siècles d'avancées des connaissances, en particulier la part indispensable au choix de l'humanité que nous voulons être. Cela dépend d'orientations et de décisions politiques relatives à l'éducation, à la formation et au partage des savoirs – qui doit, du reste, aller de pair avec celui des pouvoirs et des avoirs. Ceux qui dominent et possèdent ne s'y résoudront pas facilement, mais des domaines apparaissent où la puissance de cette exigence finit par imposer l'indispensable conjugaison de la démocratie participative et de la démocratie représentative.

Les problèmes liés à ce qu'il est convenu d'appeler la bioéthique en fournissent une belle illustration. Les états généraux de la bioéthique ont ouvert la voie en montrant pratiquement que cela était possible.

En le disant, nous n'ignorons pas les critiques dont ils ont fait l'objet. Les forums citoyens, qui constituaient la composante principale du débat public, réunissaient un panel représentatif de quarante-huit personnes proposé par l'IFOP. Or cet institut de sondage a refusé de détailler précisément, clairement et en toute transparence la procédure qui a guidé le choix du panel. Il est donc normal que ce choix ait fait l'objet d'interrogations. Reconnaissons qu'en confiant à un institut de sondage une telle procédure, on donnait inévitablement l'impression de proposer une opinion plutôt qu'un choix démocratique.

Si fondées soient-elles, ces critiques ne doivent cependant pas nous empêcher d'institutionnaliser une forme de consultation du public, comme l'a proposé la mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, et d'en améliorer sans cesse l'organisation et la dimension démocratique.

La proposition de loi que nous examinons aurait sans doute dû préciser davantage les modalités de constitution des groupes de citoyens participant aux états généraux. Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que ces derniers sont largement inspirés du modèle des forums citoyens réunis dans le cadre des états généraux de la bioéthique et que le panel sera constitué avec le concours d'un institut de sondage. Je ne suis pas certain que l'on ne puisse pas faire mieux.

Cela dit, que le Comité consultatif national d'éthique soit chargé d'organiser ces débats nous paraît constituer une solide garantie. Il lui appartiendra de veiller à ce qu'ils ne tombent pas sous le coup des critiques adressées aux derniers états généraux de la bioéthique. Comme le constatait Pierre Le Coz, participant aux états généraux en tant qu'expert et vice-président du Comité consultatif national d'éthique, il serait en effet regrettable que la sélection des panels de citoyens souffre à nouveau d'une certaine opacité.

Le choix des experts chargés d'assurer la formation préalable des citoyens devrait obéir au même principe de représentativité, afin que cette formation ne puisse donner le sentiment d'orienter les débats. Car pour que ces états généraux aient un sens, soient utiles et pérennes, il est absolument essentiel que la formation préalable des citoyens retenus soit exempte de tout soupçon de subjectivité.

Le Comité consultatif national d'éthique aura donc pour première tâche de garantir une transparence et une objectivité parfaites, sans quoi ces débats perdraient leur crédibilité et, partant, tout intérêt. Il suffit pour cela que ses organisateurs fassent tout simplement confiance à l'intelligence de nos concitoyens. Je ne nourris pas à cet égard d'inquiétudes majeures. Qu'on en juge par ces fortes paroles de l'ancien président du comité consultatif national d'éthique, le professeur Didier Sicard : la réflexion sur les questions éthiques ne doit être monopolisée, insistait-il, ni par les scientifiques, ni par les économistes, ni par le politique, ni même par le comité, car « l'humanité, lorsqu'elle est libre de réfléchir à des questions existentielles sans être embarrassée par des luttes d'influence et de lobbying, en vient nécessairement à poser les bonnes questions ».

Dès lors que ces précautions seront prises, cette proposition emportera notre adhésion et notre soutien. Nous sommes, en effet, les premiers convaincus de la richesse que les citoyens peuvent apporter aux questionnements éthiques, qui mêlent science, philosophie, morale et bon sens.

Il reste que cette proposition de loi n'est qu'une pierre de l'édifice à construire : il faut poursuivre et développer la formation de toute la population aux enjeux éthiques. À propos des questions bioéthiques, Mme Pelluchon, docteur en philosophie, nous invite à agir dans le même sens : « Il faut, dit-elle, réfléchir à la participation du peuple, c'est-à-dire à l'information et à la formation des citoyens, à l'école et dans les universités, l'éducation étant au coeur de ces questions et de leur traitement démocratique. »

En effet, nous ne pouvons dessaisir les citoyens de ces questions essentielles, car elles dessinent la société de demain. Si nous en sommes convaincus, nous devons sans tarder former les plus jeunes de nos citoyens, en incluant dans les programmes scolaires et universitaires un enseignement portant sur les enjeux éthiques auxquels toute société humaine est confrontée. Il s'agit du reste de l'une des propositions du rapport d'information sur la révision des lois de bioéthique.

L'information et la formation de tous les citoyens pourrait revenir aux espaces de réflexion éthique régionaux et interrégionaux, créés par la loi bioéthique de 2004, mais encore dépourvus de statut juridique. Elles devraient, dans ce domaine et à moyen terme, rendre la collectivité publique majeure et lui permettre de se passer de tuteur. Il serait en effet dangereux, comme le souligne fort justement un autre ancien membre du CCNE, le philosophe Lucien Sève, de pratiquer, par défiance envers les capacités du citoyen, une bioéthique d'esprit monarchique.

Nous formons donc l'espoir que le Comité consultatif national d'éthique approfondisse le plus possible la consultation et la formation, en association avec les comités régionaux d'éthique, afin de demeurer fidèle à l'esprit qui a présidé à sa création, en 1983 : comme le professeur Jean Bernard l'expliquait alors, le comité n'avait pas vocation à durer, mais à créer les conditions permettant aux citoyens de juger de ce qui est acceptable d'un point de vue éthique.

Pour conclure, je le rappelle, cette proposition de loi montre qu'il est possible de conjuguer démocratie représentative et démocratie participative. Aujourd'hui, ce sont les problèmes éthiques qui nous réunissent. Il faudrait que, demain, d'autres grandes questions sociales et sociétales fassent l'objet de débats citoyens, peut-être par une extension du champ de compétence de la Commission nationale du débat public.

Vous l'avez compris, en l'état, les députés communistes s'abstiendront sur cette proposition de loi, rappelant ainsi la nécessité d'un débat pluraliste, ouvert grâce à une démocratie renouvelée. Car, en ce domaine, il faut sans cesse faire oeuvre de progrès.

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