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Intervention de Jean-Claude Mignon

Réunion du 10 février 2010 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Mignon, président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe :

Monsieur le Président, je vous remercie tout d'abord chaleureusement pour m'avoir invité à vous faire part des principaux dossiers d'actualité concernant le Conseil de l'Europe. Avant de vous les présenter, permettez-moi de saluer une initiative qui me fait chaud au coeur car elle traduit un intérêt pour une institution aussi utile que méconnue. Je voudrais aussi saluer mes collègues qui composent la délégation française, et qui sont parmi nous.

Par ailleurs, je voudrais rappeler l'honneur que j'ai à présider la délégation française au sein du Conseil de l'Europe, car malgré les différences qui nous opposent ici, lorsque nous nous retrouvons à Strasbourg pour chaque partie de la session plénière, c'est, permettez-moi une image, l'équipe de France qui se retrouve au Conseil de l'Europe. Nous parlons d'une seule et même voix pour défendre, bien sûr, les intérêts de la France, mais aussi ce qui est l'essence même du Conseil de l'Europe, les droits de l'homme.

Le Conseil de l'Europe est la plus veille des institutions paneuropéenne. Il vient de fêter ces soixante ans et il n'a pas à rougir de l'oeuvre accomplie. Dans les années 90 s'est opéré un véritable tournant avec l'adhésion massive des pays qui étaient auparavant sous la tutelle soviétique. Les années 90 sont aussi un tournant car c'est la période pendant laquelle la France a joué un rôle particulièrement important en termes d'influence. Catherine Lalumière était la secrétaire générale du Conseil de l'Europe. Depuis, le rôle relatif de la France a diminué au sein de l'institution, même si Jean-Paul Costa préside la Cour européenne des droits de l'homme.

Les Français ont été très critiqués pour n'avoir pas su accorder suffisamment d'importance au Conseil de l'Europe, pour l'avoir délaissé. Au sein de la délégation française nous avons cherché à modifier cette image. Le Conseil de l'Europe fait un décompte de la présence des parlementaires au sein des commissions. La France y a longtemps été mal classée, elle se situait dans les cinq derniers rangs ; aujourd'hui, elle est parmi les douze premiers.

Nous souhaitons participer à la réforme du Conseil de l'Europe. Nous avons la chance d'avoir élu un nouveau secrétaire général, M. Thorbjørn Jagland qui est un homme politique norvégien remarquable. Il a présidé le Parlement norvégien et occupe des fonctions au sein du Comité Nobel. Son élection s'est faite à une large majorité car il était porteur d'une réforme d'envergure du Conseil de l'Europe.

Le Conseil de l'Europe joue un rôle très important dans différents domaines. Par exemple, au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la Commission de suivi est chargée de vérifier que les pays qui ont adhéré respectent bien les engagements qu'ils ont pris lors de leur adhésion. La direction de la qualité du médicament, la Pharmacopée, définit le contenu des médicaments et en contrôle le respect, l'essentiel étant d'ailleurs produit en Asie. Et c'est en outre le seul exemple de coopération positive avec l'Union européenne. Le Comité de prévention de la torture contrôle tous les lieux de privation de liberté en Europe et a édicté des règles pénitentiaires européennes qui servent de référentiel : sujet d'actualité s'il en est, puisque la question des gardes à vue en France est à nouveau à la une. Son action a inspiré la création en France du contrôleur général des lieux de privation de liberté. L'action du Conseil de l'Europe concerne donc tout ce qui est relatif à la démocratie et à la protection des droits de l'homme.

Mais surtout, le Conseil de l'Europe c'est une assemblée parlementaire paneuropéenne, au sein de laquelle siègent 47 pays, dont les 27 pays membres de l'Union européenne. Le nouveau président de l'Assemblée parlementaire, M. Mevlüt Çavusoglu, est turc. Un des rôles essentiels de l'assemblée parlementaire, c'est la diplomatie parlementaire. Pour prendre un exemple tiré de l'actualité récente, la Russie et la Géorgie sont toutes deux membres du Conseil de l'Europe ce qui a permis un véritable dialogue entre ces deux pays lors du conflit qui les embrasait.

Pour autant, le budget du Conseil de l'Europe est une question préoccupante. Pour l'ensemble de ces activités, le Conseil de l'Europe ne dispose que de 205 millions d'euros alors que 200 millions d'euros sont consacrés aux aller-retours entre les deux pôles du Parlement européen que sont Strasbourg et Bruxelles ! Entre 2004 et 2009, les effectifs des agences européennes ont augmenté de 160 %. A même été créée une Agence des droits fondamentaux qui venait directement concurrencer le Conseil de l'Europe sur son coeur de métier, alors que son existence n'apparaissait pas comme une priorité absolue pour l'Union européenne. Le nouveau secrétaire général a donc décidé de faire de la question du budget un sujet prioritaire.

Vous avez souhaité, M. le Président, que je m'exprime plus particulièrement au sujet de la Cour européenne des droits de l'homme. C'est le fleuron du Conseil de l'Europe. Celui-ci est composé du Comité des ministres, d'un Secrétaire général, de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ainsi que du Comité de prévention de la torture que j'ai cité tout à l'heure. Les liens avec la société civile sont établis à travers la représentation des organisations non gouvernementales (ONG).

La Cour européenne des droits de l'homme a été victime de son succès, et, il faut bien le dire, des insuffisances des systèmes judiciaires de quelques Etats. Depuis l'adhésion de la Russie le nombre de requêtes déposées a crû de telle manière qu'il crée un véritable encombrement de son prétoire. La conférence qui se tiendra à Interlaken les 18 et 19 février, conférence interministérielle où Jean-Marie Bockel représentera la France, a pour objet notamment de répondre à cette préoccupation.

Il y a environ 120 000 affaires pendantes devant la Cour dont 57 % des recours concernent quatre pays (Fédération de Russie, Turquie, Ukraine et Roumanie). Le délai moyen de jugement est en augmentation constante, et ce, en dépit d'un accroissement significatif des moyens de la Cour lors des dernières années. En 2009, il y a eu 57 000 nouvelles requêtes, à savoir un accroissement de 14 % par rapport à 2008. Sur l'ensemble des requêtes adressées à la Cour, 20 % sont irrecevables, la moitié des 10 % des requêtes recevables sont des requêtes répétitives.

La Cour européenne des droits de l'homme court le risque de devenir un quatrième degré de juridiction, ce qui n'est pas sa vocation.

Il faut souligner un autre problème, celui de la bonne exécution des arrêts de la Cour. Le nombre d'arrêts relevant de la surveillance du Comité des ministres, c'est-à-dire posant un problème d'exécution, n'a cessé de croître : ce chiffre est passé de 2 298 au 31 décembre 2000 à 6 614 en 2008.

Face à ces difficultés, une première approche « technique » réside dans le Protocole 14 amendant la Convention européenne des droits de l'homme. L'autorisation de ratification donnée par les deux chambres du Parlement russe devrait maintenant permettre son entrée en vigueur rapide. Il prévoit, notamment, un filtrage des requêtes par un juge unique ; la création d'une formation réduite à 3 juges pour les affaires répétitives ; la possibilité, en cas d'inexécution par un État membre d'un arrêt, de saisir la Cour d'une procédure en manquement ou le recours à un traitement différencié des affaires en fonction du préjudice subi : seraient ainsi jugées en premier lieu les affaires qui sont les plus préjudiciables en termes de droits fondamentaux.

Force est de constater que la délégation française au sein de l'APCE n'est pas étrangère au changement de position de la Russie sur sa décision de finalement ratifier le Protocole 14. J'ai eu de nombreux échanges à ce sujet avec le Président de la délégation russe M. Kosachev. Il importe de rappeler que c'est l'Assemblée parlementaire qui élit les juges qui siègent à la Cour européenne des droits de l'homme sur le principe d'un juge par pays, soit 47 juges.

La Conférence d'Interlaken ne règlera pas tout. Au-delà de ces mesures techniques, il faut aller plus loin et jusqu'au coeur du problème, c'est-à-dire améliorer les systèmes judiciaires des Etats membres.

D'aucuns reprochent à la Cour une interprétation trop extensive de la Convention, une interprétation trop souple des critères de recevabilité ou l'octroi de dommages et intérêts trop importants. En réponse, la Cour fait généralement valoir que 90 % des requêtes sont déclarées irrecevables et que des critères trop stricts de recevabilité pénaliseraient des requérants en situation difficile, comme les prisonniers politiques.

Se pose alors la question du financement de la Cour, sachant que le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, M. Jagland, a bien indiqué qu'à l'avenir, les financements supplémentaires ne s'effectueraient plus au détriment des autres institutions du Conseil de l'Europe. Faut-il créer un tribunal de première instance pour décharger la Cour, comme ce fut le cas avec la Cour de Justice de l'Union européenne ? Faut-il donner son autonomie administrative à la Cour ? Comment améliorer le processus de sélection des juges ? La première partie de session a été instructive de ce point de vue : de fortes pressions ont été faites pour influencer la désignation du juge italien par l'Assemblée parlementaire, pressions auxquelles l'assemblée a su résister.

Faut-il donner une portée normative aux arrêts de la Cour, qui ne trancheraient alors plus seulement des cas d'espèce, mais auraient en quelque sorte la valeur d'une règle de droit ? Une telle solution constituerait évidemment un bouleversement de l'ordre juridique européen.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe propose de renforcer le rôle des parlements nationaux dans l'exécution des arrêts de la Cour. A titre d'exemple, les Pays Bas disposent d'un mécanisme modèle de notification au Parlement des décisions de la Cour et des mesures prises pour les mettre en oeuvre.

Autre question fondamentale pour l'avenir de la Cour européenne des droits de l'homme : l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.

Au niveau de l'Union européenne, l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a donné une pleine valeur juridique à la Charte des droits fondamentaux, jusque-là déclarative, lui conférant une valeur identique à celle des traités. Le protocole n° 30 sur l'application de la Charte en écarte l'application à la Pologne et au Royaume Uni, en prévoyant qu'aucune juridiction ne pourra s'en prévaloir dans ces deux États. En pratique, cela revient à ne pas les obliger à appliquer les droits non couverts par la Convention, c'est-à-dire pour l'essentiel des droits sociaux.

Le même article 6 du Traité modifié sur l'Union européenne prévoit que « l'Union européenne adhère à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». L'article 218 du Traité de l'Union européenne précise que l'accord ne peut être conclu qu'après approbation du Parlement européen. L'article 218-8 stipule qu'à titre dérogatoire le Conseil statuera à l'unanimité sur cet accord. Or, le Conseil intervient à quatre étapes de la procédure : il autorise l'ouverture des négociations, arrête les directives de négociation, autorise la signature et conclut les accords.

Enfin, « la décision portant conclusion de cet accord entre en vigueur après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ». En d'autres termes, les 27 États membres de l'Union européenne doivent ratifier cet accord.

Au niveau du Conseil de l'Europe, l'article 17 du Protocole 14 à la Convention européenne des droits de l'homme du 13 mai 2004 modifiera son article 59 qui sera ainsi rédigé : « l'Union européenne peut adhérer à la présente Convention ».

Le rapport explicatif souligne que « des modifications additionnelles à la Convention seront nécessaires afin de rendre une telle adhésion possible d'un point de vue juridique et technique ».

Les modifications nécessaires, qu'elles soient contenues dans un Protocole amendant la Convention ou dans un Traité d'adhésion de l'Union européenne, devront faire l'objet d'une ratification par les 47 États membres.

Le Comité directeur pour les droits de l'homme du Conseil de l'Europe a procédé à une analyse détaillée du processus d'adhésion de l'Union européenne. Au-delà de la pure technique juridique, ce document s'interrogeait sur la manière d'éviter une contrariété de jurisprudence entre la Cour de Justice des communautés européennes et la Cour européenne des droits de l'homme, qui est le problème fondamental posé potentiellement par cette adhésion.

Dans un discours le Président de la Cour de justice des communautés européennes, M. Gil Carlos Rodriguez Iglésias soulignait que si « la Charte se voyait conférer formellement une valeur normative et même constitutionnelle, il pourrait en découler un risque accru de contradictions entre la jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de Justice, compte tenu notamment des différences de contenu et de formulation qui distinguent la Charte et la Convention ». C'est désormais le cas.

L'Union européenne a engagé la préparation de cette adhésion. Quelques questions se posent : faut-il ou non que l'Union européenne adhère aux protocoles à la Convention ratifiés par tous les États membres ? Comment éviter que la Cour européenne des droits de l'homme puisse juger une disposition des traités communautaires, qui serait incompatible avec la convention ?

La commission européenne a sur ce point indiqué que la Cour européenne des droits de l'homme s'était déjà prononcée sur ce point dans l'affaire Mathews et qu'une sécurité absolue était impossible. Dans cet arrêt du 18 février 1999, relatif à une plainte d'une habitante de Gibraltar privée du droit de vote aux élections européennes du fait de son lieu de résidence, la Cour européenne des droits de l'homme ne s'est pas déclarée par nature incompétente sur les questions mettant en cause le droit primaire de l'Union européenne. En l'espèce, elle a jugé que le fait de ne pas organiser d'élections au Parlement européen était contraire à « l'essence même du droit de vote » tel que garanti par le protocole n° 1 à la convention.

Il est intéressant de noter qu'elle relevait que « les actes de la Communauté européenne ne peuvent être attaqués en tant que tels devant la Cour, car la Communauté en tant que telle n'est pas partie contractante », ce qui ne sera plus le cas demain.

La Conférence d'Interlaken ne pourra pas à l'évidence résoudre toutes ces questions. Nous rencontrons tout à l'heure M. Jean-Marie Bockel et nous pourrons lui faire part des questions qui seront soulevées par la suite.

Monsieur le Président, je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer devant la Commission ce matin. Vous aurez compris que nous sommes tous passionnés par le travail que nous faisons au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. J'y siège depuis 1993 et j'ai appris au contact des autres délégations parlementaires la modestie, la tolérance et le respect de l'autre. Le travail que j'effectue au sein de la commission de suivi permet, tout en restant ferme en termes de respect des engagements pris, de comprendre le fonctionnement des institutions des autres pays. Le Comité de prévention de la torture, au sein duquel siège un Français, effectue un travail formidable dont la France pourrait s'inspirer notamment sur la question des gardes à vue.

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