Avec mon collègue Guy Lefrand, qui rapportera cette proposition de loi au nom de la commission des finances, saisie au fond, nous avons travaillé de longs mois en étroite collaboration. Nous avons reçu des représentants des multiples acteurs de l'indemnisation des dommages corporels à la suite d'accidents de la circulation. Notre objectif était que la situation des victimes soit mieux prise en compte, non qu'elle ne le fût pas déjà, grâce à la loi dite Badinter du 5 juillet 1985, mais après vingt-cinq ans, la pratique avait fait que certains points étaient moins bien traités. En application du nouvel article 39 de la Constitution, nous avons sollicité l'avis du Conseil d'État sur cette proposition de loi. Je présenterai tout à l'heure quelques amendements reprenant certaines des remarques qu'il a formulées.
Les victimes de dommages corporels, notamment à la suite d'accidents de la circulation, rencontrent aujourd'hui des difficultés d'indemnisation, en dépit de textes très protecteurs, comme la loi Badinter de 1985. Pour permettre une réparation intégrale des dommages corporels, cette loi a prévu des règles dérogatoires au droit commun en matière de responsabilité civile, de façon que l'indemnisation des victimes soit quasiment systématique. Et pour éviter des contentieux longs et coûteux, toujours préjudiciables aux victimes, elle a rendu obligatoire une procédure de règlement amiable des litiges.
Les principales difficultés qui subsistent sont au nombre de trois. Tout d'abord, l'évaluation et l'indemnisation des dommages corporels sont réalisées de manière extrêmement disparate selon que la victime saisit la justice ou s'en tient à une transaction avec l'assureur de la partie adverse, ou encore selon son lieu de résidence et donc le tribunal qui se prononce. Cela heurte notre sens de l'équité.
Avant toute indemnisation, il convient de s'entendre sur ce qui peut ou non constituer un préjudice. La précieuse nomenclature des chefs de préjudices corporels, établie par M. Dintilhac en 2005, n'a, hélas, pas force contraignante. Si de nombreux assureurs et tribunaux s'y réfèrent, ils n'y sont pas obligés, d'où les disparités constatées. Nous proposons donc, de façon à garantir une certaine homogénéité, de rendre obligatoire une nouvelle nomenclature, reposant pour une large part sur celle de M. Dintilhac, tout en l'améliorant. Elle ne sera bien sûr pas limitative, afin de ne brider ni le pouvoir d'appréciation du juge, ni les possibilités de transaction des parties.
Ensuite, pour un même dommage, le pourcentage d'incapacité retenu varie considérablement selon le barème médical utilisé pour l'évaluer. Nous ne toucherons pas aux barèmes particuliers utilisés dans le cas des accidents du travail ou pour l'établissement des pensions militaires, qui permettent d'aboutir à des indemnisations « sur mesure », ayant apporté la preuve de leur équité. En revanche, pour les accidents de la circulation et d'une manière générale, dans le cadre du droit commun de la responsabilité civile, plusieurs barèmes officieux, dont certains ont la préférence des assureurs, d'autres celle des avocats, peuvent être aujourd'hui appliqués, et cela entraîne d'autres disparités, potentiellement préjudiciables aux victimes. Nous proposons donc de mettre en chantier un nouveau barème médical, officiel et élaboré en toute transparence.
Enfin, le montant des indemnités allouées, pour des préjudices comparables, varie beaucoup. Le principe de la réparation intégrale du dommage suppose certes d'individualiser le montant de l'indemnité afin de tenir compte de la situation spécifique de chaque victime. Mais les juges comme les assureurs nous ont dit manquer de références pour y procéder de manière parfaitement équitable. Nous avions donc initialement proposé de créer d'une part, une base de données recensant pour chaque type de préjudice le montant d'indemnité alloué en fonction des circonstances d'autre part, un référentiel national indicatif. Mais si le principe d'une base de données fait l'objet d'un large consensus, il n'en va pas de même d'un référentiel. La réflexion n'est pas mûre et il faut, à l'évidence, poursuivre la concertation pour que celui-ci soit accepté par tous les acteurs. Nous proposons donc de créer une commission nationale, où seront représentés avocats, magistrats, assureurs, élus, afin d'élaborer ce référentiel.
La deuxième difficulté tient à l'impartialité des expertises médicales, laquelle n'est pas toujours garantie. Sans mettre en doute la probité des médecins, force est de constater que la pratique expertale n'est pas reconnue par le code de la santé publique, qu'elle n'est donc pas contrôlée, et qu'il peut exister des conflits d'intérêts, notamment lorsque le médecin conseil d'une victime travaille par ailleurs régulièrement pour l'assureur de la partie adverse. Il nous paraît donc nécessaire de mieux encadrer les expertises. Nous proposons de donner aux instances ordinales un rôle prépondérant dans cette tâche. Le conseil national de l'Ordre définira les critères de compétence pour l'exercice de l'expertise, tandis que les conseils départementaux tiendront à la disposition du public la liste des praticiens déclarés compétents, qui devront leur faire connaître le nom des compagnies d'assurance pour lesquelles ils travaillent. Parallèlement, les compagnies devront communiquer aux victimes la liste des médecins auxquels elles font régulièrement appel, de façon que les victimes puissent choisir leur médecin conseil de manière parfaitement éclairée et que les expertises soient vraiment contradictoires.
Enfin, plusieurs points de la procédure d'indemnisation nous paraissent devoir être rééquilibrés dans un sens plus favorable aux victimes. Afin qu'elles soient mieux informées de leurs droits, l'assureur devra leur remettre une notice d'information conforme à un modèle-type. Pour qu'elles ne soient pas lésées par des tables de capitalisation devenues obsolètes, un nouveau système d'évaluation des préjudices futurs et de conversion des rentes en capital sera proposé. Pour leur permettre de faire face aux dépenses nécessaires par exemple à l'adaptation de leur logement ou de leur véhicule, les victimes pourront obtenir de plein droit le versement d'une provision sur indemnité. Enfin, le délai de dénonciation par la victime d'une procédure amiable sera porté de quinze jours à un mois, ce qui est de nature à éviter toute transaction hâtive.