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Intervention de Raphaël Hadas-Lebel

Réunion du 3 février 2010 à 10h00
Commission des affaires sociales

Raphaël Hadas-Lebel :

Le Conseil d'orientation des retraites répond tout naturellement aux invitations du Parlement et il le fait régulièrement. Mais c'est la première fois qu'il répond, en tant qu'organisme indépendant pourtant rattaché au Premier ministre, à une commande spécifique du Parlement sur un thème tout à fait circonscrit. L'ancien professeur de Sciences-po que je suis veut y voir l'une des conséquences non écrites de la réforme constitutionnelle de 2008, qui a renforcé les pouvoirs du Parlement.

Ce rapport est donc sans lien direct avec le rendez-vous sur les retraites de 2010. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 (loi du 17 décembre 2008) prévoyait qu'avant le 1er février 2010, le COR remettrait aux commissions compétentes un rapport sur les modalités techniques de remplacement du calcul actuel des pensions personnelles servies par les régimes de base d'assurance vieillesse légalement obligatoires, soit par un régime en points, soit par un régime en comptes notionnels, fonctionnant l'un et l'autre par répartition.

Nous espérons avoir rempli ce contrat, qui nous a occupés durant toute l'année 2009. Certains de vos collègues, membres du COR ont assisté aux séances des 20 et 27 janvier, lors desquelles ce rapport a été longuement débattu, parfois vivement.

C'est donc le contenu de ce rapport que je me propose de vous présenter.

La première partie est consacrée à un état des lieux du système actuel. Il est, en effet, indispensable, quand on se demande s'il faut ou non en changer, de s'interroger sur ce qui ne vas pas dans le système actuel et ce qui justifierait le changement. En premier lieu, nous sommes en face d'un système complexe. Celui-ci est l'aboutissement d'un long processus historique et politique, qui remonte au moins à la Libération, qui a accompagné l'extension du champ de la couverture vieillesse. Il se caractérise par un ensemble de régimes multiples et par des modes de calcul des pensions très divers.

C'est une de ses spécificités, la France compte plus d'une vingtaine de régimes de base couvant les trois grandes catégories d'assurés – salariés du secteur privé, non salariés, fonctionnaires et salariés des entreprises publiques – et un grand nombre de régimes complémentaires, obligatoires depuis les années 1970, fonctionnant par répartition.

A cela s'ajoutent des règles différentes d'acquisition et de valorisation des droits à retraite, principalement entre régimes de base et régimes complémentaires. Tandis que la plupart des régimes de base sont des régimes en annuités – à l'exception de ceux des professions libérales et des non-salariés agricoles –, les régimes complémentaires sont tous des régimes en points.

Les paramètres de calcul des pensions, en particulier le salaire de référence, les âges de départ à la retraite, le taux de liquidation, la revalorisation des droits, sont très divers d'un régime à l'autre. Les dispositifs de solidarité présents dans tous les régimes – règles de majoration de durée d'activité, notamment – diffèrent également. Dans ces conditions, le calcul du montant des pensions est complexe, chaque retraite étant la somme des droits acquis dans les régimes de base et les régimes complémentaires auxquels chacun a cotisé.

Il est vrai que depuis plusieurs années, on assiste à un certain mouvement de convergence. Les réformes de 2003 et de 2008 ont ainsi opéré un rapprochement des règles de calcul des pensions dans la plupart des régimes de base, en alignant les durées d'assurance requises, en harmonisant les mécanismes de décote et de surcote et en indexant l'ensemble des pensions sur les prix. Les régimes complémentaires, généralisés depuis 2004 dans le privé, ont ajusté leurs paramètres en cohérence avec ce qui s'est fait dans les régimes de base.

Certains membres du COR ont reproché au rapport d'insister trop sur la complexité et de prendre ainsi position pour une réforme profonde. D'autres ont souligné les avantages de la complexité qui permet de répondre à la diversité de situation. Le COR se borne à constater les faits ; il ne lui appartient pas de tirer les conclusions de cet état des lieux, cela relève du choix du décideur politique.

La deuxième caractéristique de notre système est qu'il permet d'assurer aujourd'hui une quasi parité de niveau de vie entre les actifs et les retraités, grâce à une composante de solidarité importante. Cette question est controversée. Mais si l'on exclut les revenus du patrimoine, le rapport entre les revenus des retraités et ceux des actifs est de 0,89 – 0,99 si l'on intègre les revenus du patrimoine et 1,02 si l'on prend également en compte les loyers imputés.

Cela est d'ailleurs assez logique. Au-delà des règles de calcul des pensions, cela tient à l'homogénéité de la population des retraités alors que celle des actifs l'est beaucoup moins, en raison du chômage, du travail précaire, … Cela tient également à l'effet « noria » : les générations qui arrivent à la retraite bénéficient de pensions plus élevées que celles précédemment perçues par les personnes qui décèdent, de sorte que le niveau de vie moyen des retraités continue à s'améliorer. Le taux de pauvreté des plus de 60 ans – 9 % – est inférieur à celui de l'ensemble de la population active – 13,5 %. Les conséquences des réformes de 1993 et de 2003, qui pourraient entraîner une érosion du niveau de vie des retraités, ne sont pas encore apparues.C'est pourquoi nous estimons que la situation des retraités, comparée à celles des actifs, ne devrait pas se dégrader dans les années qui viennent.

La situation moyenne des retraités est par ailleurs affectée par des mécanismes de redistribution qui représentent environ 20 % du montant des retraites. Nous distinguons traditionnellement redistribution explicite et redistribution implicie. La redistribution explicite recouvre, par exemple, la prise en compte de périodes validées non cotisées, notamment au titre du chômage ou de la maladie, les droits familiaux et les minima de pensions. Les effets de la redistribution implicite, qui résulte des règles de calcul des pensions, comme la prise en compte des 25 meilleures années pour le calcul du salaire de référence, sont par définition peu lisibles et ne bénéficient pas nécessairement aux assurés qui ont connu des carrières courtes, perçu des bas salaires ou commencé à travailler tôt.

Le mode de pilotage constitue le troisième caractéristique du système. La réforme de 2003 a posé les bases d'un mécanisme clarifié de pilotage, faisant de la durée d'assurance la principale variable : son évolution, désormais, doit être parallèle à celle de l'espérance de vie. Elle a prévu des possibilités d'ajustement par le biais de rendez-vous quadriennaux pour adapter les différents paramètres à l'évolution économique financière ou sociale. Le rendez-vous de 2008 a ainsi prévu d'allonger d'un trimestre par an pendant quatre ans la durée d'assurance et de prendre des mesures concernant l'emploi des séniors. Les résultats de ce rendez-vous ont suscité des appréciations contrastées, si bien que le Gouvernement a annoncé qu'il ferait un point d'étape en 2010. La crise, survenue entre temps, a transformé ce point d'étape en « rendez-vous » véritable.

Les progrès dans le pilotage du système n'ont toutefois pas permis d'éviter une dégradation des comptes. Le déficit de la branche vieillesse du régime général de la sécurité sociale est passé de 5,6 milliards en 2008 – qui s'expliquent en partie par des raisons démographiques et par le coût élevé du dispositif relatif aux carrières longues – à 8,2 milliards en 2009 et pourrait atteindre 10,7 milliards en 2010. Une des mesures envisagées, la compensation de la baisse des cotisations Unedic par la hausse des cotisations retraite, n'a pu être mise en oeuvre en raison de la situation de l'emploi.

La deuxième partie du rapport est consacrée à une étude comparée des typologies des systèmes de retraite par répartition. Je me permettrai d'en rappeler brièvement les principales caractéristiques.

Dans les régimes en annuités, la pension est calculée en prenant en compte le salaire de référence, la durée d'assurance validée – qu'elle ait été cotisée ou non – et un taux d'annuité qui représente le montant de pension acquis pour chaque année validée. La pension ne dépend donc pas directement du montant des cotisations versées.

Dans les régimes en points, l'ensemble des cotisations versées au nom de l'assuré est transformé en points en fonction de la valeur d'achat du point ; la pension est calculée en multipliant le nombre de points accumulés au cours de la carrière par la valeur de service fixée chaque année, valeur qui est différente de la valeur d'achat. Le lien entre montant de la pension et montant des cotisations est donc ici très direct.

Dans les régimes en comptes notionnels – en vigueur en Suède, en Italie, en Pologne et en Lettonie – chaque assuré est titulaire d'un compte individuel et les cotisations versées alimentent un capital virtuel. On le qualifie de virtuel, parce qu'il n'est pas placé, comme dans les systèmes par capitalisation, mais fait l'objet d'une revalorisation annuelle, selon un indice – basé sur la masse salariale ou le PIB – fixé par les gestionnaires du régime. Le montant de la pension est égal au montant du capital virtuel multiplié par un coefficient de conversion, qui fait que la pension est d'autant plus faible que l'âge du départ en retraite est précoce. Dans un tel système, le principe est que le montant des cotisations versées par une génération doit être égal au total des prestations qu'elle percevra. On tient compte de l'espérance de vie de la génération à laquelle appartient l'assuré. Il n'est fait aucune distinction en fonction de l'espérance de vie de chaque catégorie professionnelle.

Les systèmes en points ou en comptes notionnels, fondés sur une logique de contributivité, sont associés à des régimes « à contribution définie », par opposition aux régimes « à prestation définie ». Le système en comptes notionnels est vanté pour sa capacité d'autorégulation, puisqu'il implique une égalité actuarielle entre le montant des cotisations d'une génération et celui des prestations. Même si l'équilibre financier instantané n'est pas assuré à tout moment – il arrive que ceux qui cotisent ne soient pas aussi nombreux que ceux qui partent à la retraite –, le système tend à l'équilibre sur le long terme. Au sein du COR, certaines organisations syndicales y sont plutôt favorables, d'autres y sont hostiles. Elles ont, de concert avec les organisations patronales, loué de façon unanime le sérieux et la qualité de notre travail, ce qui ne les empêche pas d'en tirer des conclusions divergentes.

Les systèmes en points et en comptes notionnels encouragent la prolongation d'activité. Ils sont plus lisibles pour les assurés puisque le montant de la pension est directement lié au montant des cotisations, ce qui n'est pas le cas dans les régimes en annuités. Ces derniers comportent des engagements en termes de taux de remplacement, même s'ils peuvent être jugés théoriques, qui n'existent pas dans les systèmes en points et en comptes notionnels.

S'agissant de la solidarité, notre conclusion est que tous les systèmes permettent d'intégrer des mécanismes en ce sens. On pourrait dire que ceux-ci apparaissent de façon plus explicite dans les systèmes en points et en comptes notionnels, parce que si l'on veut augmenter les droits, il faut cotiser, soit l'assuré lui-même, soit un organisme extérieur.

Sur le plan de l'équité intergénérationnelle, le système en comptes notionnels ne prévoit aucune mutualisation des efforts entre générations, chacune assumant les conséquences de l'allongement de son espérance de vie.

Les systèmes en points ou en comptes notionnels sont-ils plus faciles à piloter ? Le système en comptes notionnels permet clairement de contenir les déficits, grâce aux mécanismes d'autorégulation qui peuvent y être greffés. C'est ce qu'a fait la Suède, mais l'application lors de la crise du mécanisme automatique d'équilibre prévu a été jugée trop brutale. A l'inverse, le système en annuités ne prémunit pas contre le risque de déficit, mais la multiplicité des paramètres utilisés permet une plus grande souplesse de gestion.

En soi, aucun système ne permettrait d'assurer un retour à l'équilibre. En revanche, si les mesures nécessaires, agissant sur les trois leviers que sont le niveau des cotisations, le niveau des pensions et l'âge effectif de départ à la retraite, étaient préalablement mises en oeuvre, pour rétablir l'équilibre financier, la pérennité du rétablissement n'est pas assurée de la même façon selon les systèmes.

Dans sa troisième partie, le rapport conclut à la possibilité technique d'un changement de système, intégrant des mécanismes de solidarité. Même si une sécurité juridique totale ne peut être garantie, le passage à un autre système ne fait pas apparaître d'obstacles particuliers. Le COR a plus précisément étudié le problème juridique : les droits à la retraite ne sont acquis définitivement qu'à la liquidation de la pension. Le législateur dispose donc d'une certaine marge de manoeuvre, dans la mesure où le Conseil constitutionnel considère que le principe d'intangibilité des droits liquidés n'est pas un principe constitutionnel et où la Cour européenne des droits de l'Homme admet qu'il peut réglementer l'usage des biens – les pensions étant considérées comme tels – conformément à l'intérêt général.

Une telle réforme, si elle était décidée, devrait être soigneusement préparée. Elle impliquerait, en effet, de disposer de données parfaitement fiables pour reconstituer l'ensemble des historiques de cotisations – ce qui n'est pas forcément fait aujourd'hui –, un effort de formation des gestionnaires, une harmonisation des systèmes d'information des régimes et un accompagnement des assurés.

Si cette réforme devait être menée, plusieurs possibilités s'ouvriraient aux autorités pour organiser la transition de l'ancien vers le nouveau système. L'application de la réforme aux seuls nouveaux entrants ne semble pas souhaitable, car elle étalerait sa mise en oeuvre sur cinquante ans. La transition immédiate, qui revient à fermer l'ancien système et à tout recalculer dans le nouveau, a été choisie par la Lettonie, qui ne compte que deux millions d'habitants. Si elle apparaît plus simple, puisqu'elle évite de gérer deux systèmes à la fois, il n'est pas évident qu'elle soit envisageable pour un pays de la taille de la France.

Si les autorités devaient retenir le principe d'une transition progressive, deux modalités pourraient être envisagées. La Suède et la Pologne ont choisi d'affilier simultanément les générations de transition à l'ancien et au nouveau système, afin de reconstituer leurs droits en fin de carrière, le poids du nouveau système étant de plus en plus important au fil du temps. A l'inverse, l'Italie a prévu une affiliation successive des générations de transition dans l'ancien et le nouveau système.

La décision de passer à un autre système de retraite repose en définitive sur des choix plus politiques que techniques. Le premier choix politique est l'architecture globale du système. Il semble logique que le changement de système s'accompagne d'un recul de la complexité. Deux schémas sont envisageables : soit appliquer le nouveau système à tous les régimes de base, tout en conservant la diversité des régimes complémentaires, soit l'appliquer à l'ensemble des salariés du secteur privé, ce qui supposerait une fusion des régimes de base et des régimes complémentaires. Les régimes complémentaires étant aujourd'hui gérés par les partenaires sociaux, cette dernière option suppose de s'interroger au préalable sur le système de gouvernance à mettre en oeuvre.

Pour opérer un choix entre les systèmes et élaborer une architecture globale, les responsables politiques devront définir les priorités entre les différents objectifs assignés à un système de retraite : la pérennité financière – placée en tête car c'est la condition de suivie du système – , la lisibilité, l'équité intergénérationnelle, la solidarité intragénérationnelle, et l'articulation avec d'autres objectifs économiques (compétitivité, endettement public).

Il leur appartiendra également de décider des paramètres qu'il conviendra d'intégrer au nouveau système, étant entendu qu'un changement entraînera forcément une modification des droits individuels des assurés. De la même façon, il reviendra aux responsables politiques de décider du degré de solidarité.

En nous appuyant sur les exemples étrangers, nous avons analysé l'ensemble des caractéristiques techniques des systèmes et les modalités de passage à un nouveau système. Ce faisant, nous avons souligné l'importance des choix politiques. Même si le COR est un lieu de débat, il ne lui appartient pas de se prononcer plus avant ; son seul rôle est d'éclairer les décideurs.

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