J'ai pu effectuer, dans le cadre de mes fonctions ministérielles, un déplacement d'une semaine au Soudan en hiver 2003, au lendemain des accords de sécurité entre le Nord et le Sud et à la veille du vote par le Conseil de sécurité des Nations unies de sa résolution 1564. J'ai eu la chance de rencontrer John Garang, puis je suis allé au Darfour où j'ai pu constater l'usage des doubles discours, du double langage, qui laissaient présager de la suite des événements.
Le rapprochement entre MM. Béchir et Garang doit être replacé dans le contexte de l'affrontement Nord – Sud, qui a causé 2,5 millions de morts. Il est clair qu'il y a eu une volonté de réconciliation, mais entre deux personnes qui ne pouvaient pas s'entendre. Il était évident que l'un des deux devait disparaître, et j'avais pronostiqué celle de John Garang dès mon retour.
L'apaisement entre le Nord et le Sud a provoqué le désastre du Darfour. Quand j'y suis allé, j'ai constaté que la totalité des villages avait été rasée, que tous les hommes avaient été assassinés, ne laissant que les femmes, les enfants et les vieillards, cantonnés dans les camps de peur de devoir affronter la répression féroce des miliciens janjawid envoyés par Khartoum. La question se posait dès lors de savoir si nous étions en présence d'un génocide.
Diplomatiquement, les Etats-Unis étaient présents au Sud par l'intermédiaire d'USAID auprès de M. Garang, la Chine était omniprésente pour récupérer un pétrole principalement situé au centre du pays, d'où il est difficile à exporter car se pose la question logistique de l'emplacement des oléoducs, et une pression islamique très forte était exercée sur les populations du Darfour afin de déstabiliser notre influence au Tchad en renversant le rapport de forces tchadien de l'Ouest vers l'Est.
En réalité, le Soudan est un pays éminemment stratégique, divisé à l'intérieur, soumis à des pressions politiques énormes liées à des intérêts stratégiques et religieux, où les institutions multilatérales, qui pourraient pourtant y défendre une vision propre, ne pèsent plus assez. Je ne puis donc accepter, comme le rapport semble l'indiquer, que l'on tolère que des puissances extérieures se livrent à un dépeçage du Soudan.
Le multilatéral doit reprendre la main et faire respecter les conventions internationales, eu égard aux millions de morts que cette situation a déjà causé. Le président Béchir a un comportement inacceptable au regard des principes démocratiques et des droits de l'homme.