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Intervention de Patrick Labaune

Réunion du 3 février 2010 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Labaune :

Le Soudan, c'est 2,5 millions de km2, soit cinq fois la France, le dixième pays au monde par sa superficie, géographiquement situé à la charnière des mondes noir et arabe, entre désert au nord et forêt tropicale au sud. Avec 40 millions d'habitants, le Soudan est partagé entre une population musulmane au nord, animiste et chrétienne au sud. Dans ce bloc Nord désertique, arabo-musulman, on constate des modes de production différents entre agriculteurs sédentaires le long du Nil (Ja'aliyin) et les nomades de bovins ou chameliers au Kordofan, au Darfour et dans les régions de l'Est.

A ces divisions économico-sociales viennent s'ajouter les divisions ethniques (on compte 57 groupes ethniques) et tribales (quelque 570 tribus).

Mais ces clivages sociologiques ne sont que des instruments, des alibis, des outils.

A voir cette immensité géographique allant du désert à la forêt tropicale, traversée par de nombreux clivages (noirarabe ; musulmanschrétiensanimistes ; sédentairesnomades) et des divisions ethniques et tribales, on comprend tout de suite que le Soudan est un pays multiple et que les éléments centrifuges dominent. Le Soudan en tant qu'Etat-nation n'existe pas. Face à un pouvoir central des périphéries existent qui tentent soit de résister aux tentatives de Khartoum de nationaliser son autorité, soit d'accaparer une parcelle de pouvoir politique ou économique, comme ce fut le cas, au Sud Soudan, du MPLS de John Garang.

Toute l'histoire politique du Soudan depuis son indépendance en 1956 va connaître une instabilité au sein du pouvoir central marquée par une succession de coups d'Etat interrompant des épisodes civils et des conflits à répétition entre ce pouvoir central et ses périphéries : avec le Sud-Soudan depuis quasiment l'indépendance en 1956 jusqu'à 1972, lors de la première guerre sudiste, puis de 1983 à 2005, la seconde guerre, en fait la plus longue guerre civile africaine, qui se terminera par la signature du Comprehensive peace agreement (CPA) ; avec le Darfour ensuite, depuis 1987-1989 années du premier conflit avec les Four et jusqu'à maintenant ; avec les populations des monts Nouba, où en 1983 un clivage ethnique transformé en conflit religieux et foncier a duré jusqu'au cessez-le-feu de janvier 2002 ; enfin, avec l'Est du Soudan où le conflit, moins violent, s'est déroulé du début des années 1990 jusqu'à l'accord d'Asmara le 19 juin 2006.

Revenons quelques instants sur ces conflits pour tenter d'en déterminer les causes.

Au sud du Kordofan, la population des monts Nouba est composée à 90% de Nouba noirs, africains – islamisés et chrétiens- et 10% de tribus Baggara, arabes, islamisés, qui ont cohabité pendant deux siècles avec des hauts et des bas mais avec une incontestable interpénétration culturelle.

C'est la question foncière qui va être au coeur du conflit. Elle est très clairement l'élément déclencheur. Dès les années 1960, les Nouba sont inexorablement dépossédés de leurs terres, confisquées au profit de l'expansion de l'agriculture mécanisée, au bénéfice non tant des Baggara que des Jellaba (riches marchands du Nord, hauts fonctionnaires centraux, officiers supérieurs, élites) expulsant les Nouba de leurs petites exploitations familiales traditionnelles. Ce sont les « lois de septembre » en d'autres termes l'imposition, par le gouvernement du général Nimeyri à partir de 1983, de la charia à des populations chrétiennes ou animistes, qui vont exacerber les antagonismes.

Les tentatives par le pouvoir central d'abolir l'administration tribale, de détruire leurs pratiques socio-culturelles ancestrales (ex : leur nudité), ou encore l'interdiction de leur langue dans les écoles expliquent en troisième lieu ce conflit qui, conjuguant l'ensemble de ces facteurs : foncier, religieux, coutumier, devient explosif dès 1985.

En effet, c'est à cette date qu'un autre acteur politique périphérique, le MPLS du Sud-Soudan, vient aider les Nouba contre le pouvoir central et intervient en territoire Nouba contre un village arabe Baggara. La spirale de la guerre est enclenchée.

En ce qui concerne le Darfour, il faut tout d'abord indiquer que les considérations religieuses ne peuvent entrer en ligne de compte pour la crise du Darfour puisque l'ensemble de la population est musulmane. Le Darfour, à l'instar des autres périphéries du Soudan, a souffert de l'accaparement par la capitale de l'ensemble des ressources au seul profit de cette dernière et d'une politique de domination absolue. Ce processus n'est pas nouveau : dès l'indépendance le pouvoir central s'est désintéressé du Darfour et n'a entrepris aucun développement économique.

Le réchauffement climatique, dont les conséquences sont très graves au Nord du Darfour, a entraîné la sécheresse et la désertification dès les années 1970, et constitue un facteur aggravant du conflit. De là surgissent des tensions entre nomades et sédentaires sur des surfaces cultivables réduites, sur fond de famines, comme en 1984-1985. Le pouvoir central, tant le général Nimeyri que Sadeq el Mahdi, se désintéresse de la région, dans ces années 1980, tant du point de vue humanitaire qu'institutionnel ou économique. A la fin des années 1980 (1987-1989), le gouvernement prend partie dans ces conflits inter-tribaux intercommunautaires en soutenant les tribus arabes nomades contre les Four, tribu africaine sédentaire pour un problème de terre.

Le contexte régional, et notamment la crise tchadienne, est aussi déterminant. Les migrations dues aux pressions environnementales, la sécheresse, ont conduit des populations tchadiennes à trouver refuge et à s'installer au Darfour aggravant la situation alimentaire et sanitaire de la région et aussi la violence. De plus, le soutien, à partir de 1982, du colonel Kadhafi à l'opposition tchadienne à Hissene Habré, réfugiée au Darfour, va introduire un nouvel élément de tension. Le gouvernement tchadien quant à lui va aider les Four qui luttent contre l'ennemi commun Zaghawa.

Les germes de l'escalade étaient ainsi semés.

Ces trois causes principales additionnées vont créer l'état de guerre au Darfour mais il ne faut pas négliger les divisions des mouvements rebelles contre Khartoum qui vont faire le jeu du pouvoir central et alimenter le conflit dans sa durée.

Dès le début de l'insurrection en 2003, deux mouvements apparaissent d'un côté le mouvement de libération du Soudan, dirigé par Abdel Wahid al-Nour, de l'ethnie des Four, soutenu par le MPLS de John Garang, de l'autre le JEM, Mouvement pour l'égalité et la justice, dirigé par Khalid Ibrahim, de l'ethnie Zaghawa, soutenu par Hassan al Turabi.

S'agissant du conflit NordSud, la question de la régionalisation en constitue historiquement la première cause. Dès l'indépendance du Soudan, on assiste à un va-et-vient perpétuel et institutionnel entre les décisions décentralisatrices de Khartoum et les phases de reprise en main brutale du pouvoir central pour procéder à une recentralisation, entre fédéralisme et unitarisme, entre promesses de Khartoum et non-respect de ses différents engagements tant sur l'autonomie du Sud, sur un projet fédéral, l'arabisation de l'administration, etc.

Le second facteur de conflit est la question religieuse. La prétention de faire du Soudan une république islamiste est une constante idéologique de toutes les formations politiques du Nord et des différents dirigeants qui se sont succédés. Cette prétention islamiste a toujours joué le rôle d'un chiffon rouge vis-à-vis des sudistes en majorité chrétiens ou animistes. Ainsi la deuxième guerre entre le Nord et le Sud qui redémarre en 1983 n'est pas étrangère aux lois de septembre 1983 qui tendent à instaurer la charia sur l'ensemble du territoire soudanais.

La question des ressources pétrolières est le troisième point de discorde entre le Nord et le Sud. La production de pétrole est estimée aujourd'hui aux alentours de 500 000 barilsjour soit bientôt 1 % de la production mondiale. Mais les lieux de production sont à la frontière entre le Nord et le Sud et l'obsession primordiale du Nord a toujours été d'affaiblir politiquement le Sud pour contrôler ses ressources pétrolières de plus en plus vitales pour le développement du Nord et la survie du régime.

Le charisme, la vision d'homme d'Etat du chef sudiste, John Garang, vont être aussi un facteur de confrontation entre les deux parties. Sa vision du Soudan va s'opposer dès la reprise du conflit en 1983 à celle du Nord : il recherche une solution politique qui intéresserait le Soudan dans son ensemble. Entendons par là une solution qui prendrait en compte les différends entre le Nord et le Sud mais aussi les relations entre Khartoum et les autres périphéries, sur un modèle étatique fédéral ; il met aussi en avant la laïcité du futur Soudan pour faire face à l'islamisation proposée par les élites du Nord.

La redistribution des pouvoirs, l'instauration de la démocratie, mais aussi la répartition des richesses entre les provinces du pays seront des thèmes essentiels. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la plupart de ces demandes d'un Soudan uni, séculier, et d'une autodétermination du Sud, se traduira dans l'accord de paix de 2005 : le CPA.

En conclusion, si les rivalités sur fonds tribaux, ethniques, raciaux, religieux ou de mode de production ont joué un rôle, les racines des conflits internes au Soudan depuis l'indépendance se situent avant tout dans la relation entre le centre et ses périphéries. Autrement dit les différents gouvernements depuis cinquante ans montrent leur refus de régler les questions soulevées par les différentes périphéries du Soudan autrement que par la violence, sauf à y être contraint par la communauté internationale.

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