Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, en 1903, Jean Jaurès prononçait son célèbre « Discours à la jeunesse » et déclarait : « Instituer la République, c'est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d'esprit pour s'occuper de la chose commune. »
Jusqu'en 1997, ce temps libéré pour la chose commune a pris la forme du service national, qui permettait de réaffirmer les valeurs républicaines de fraternité et de laïcité. Nous mesurons aujourd'hui que sa disparition a eu des conséquences dommageables, non seulement pour la transmission des valeurs républicaines, mais aussi pour ce brassage social et culturel que le service national favorisait, au moins en théorie et malgré toutes ses imperfections – non-mixité et caractère très relatif de l'universalité.
Depuis lors, le besoin de préserver la cohésion nationale s'est fait à ce point ressentir que l'on a institué une multitude de dispositifs – censés remplacer le service national en tant que pierre angulaire de notre engagement citoyen – pour permettre aux jeunes de s'investir en tant que volontaires. Or force est de constater que, si le projet de service civique proposé aujourd'hui rassemble au-delà des frontières partisanes, si chacun s'accorde à considérer qu'il pourrait permettre de recréer les conditions du brassage de toute une classe d'âge, d'améliorer le sens du civisme et de renforcer la cohésion nationale, il vaut mieux le prendre pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il aurait pu être.
Il semble en effet difficile de parler de projet structurant pour l'ensemble de la société quand l'ambition affichée est de ne toucher que 10 % d'une classe d'âge. Je crains, de plus, que toutes les leçons de l'échec relatif du service civil n'aient pas été tirées. Il faudrait ainsi prendre en considération les problématiques de financement. Celles de communication ne sont pas moins importantes : quelques annonces en cours d'instruction civique ou lors de la journée de défense et de citoyenneté ne feront, au mieux, que placer les jeunes dans l'état passif de celui qui reçoit une foule d'informations. Le risque reste grand de n'attirer vers ce nouveau dispositif qu'une certaine catégorie de jeunes : les mieux informés, les mieux conseillés, les plus diplômés, ceux-là mêmes qui furent concernés par le service civil volontaire.
À défaut de pouvoir parler de réussite quantitative, nous allons donc devoir mettre l'accent sur l'aspect qualitatif et veiller à ce que le choix des projets par l'Agence du service civique se fasse dans les conditions les plus strictes. À cet égard, je ne peux que me féliciter que les domaines de la défense, de la sécurité, de la prévention et de la sécurité civile fassent partie des champs du service civique.
Il faudra aussi veiller à ce que les modalités d'emploi de ces jeunes, hors du cadre du droit du travail, se déroulent dans des conditions d'exercice professionnel sécurisé, bien sûr, mais aussi d'un intérêt constant pendant toute la durée d'affectation.
Quelles que soient les bonnes intentions qui sous-tendent ce projet, nous devons l'aborder avec une certaine modestie. S'il est vrai que les deux candidats au second tour de l'élection présidentielle de 2007 s'étaient prononcés pour un service civique, celui-ci était alors envisagé dans une dimension mixte et universelle. Tel avait été, auparavant, le sens de la proposition de loi Ayrault-Vaillant rejetée par la majorité de droite en 2003. Tel était aussi le sens du rapport d'étape remis par M. Kouchner à Mme Royal en février 2007, dans la perspective de la campagne présidentielle. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)