Le texte, dont Mme la rapporteure et M. le haut-commissaire nous ont rappelé les grandes lignes, n'est pas la grande loi d'orientation que nous aurions pu appeler de nos voeux, une loi de mobilisation de toute la société faisant du service civique universel et obligatoire pour tous les jeunes la pierre angulaire de la construction d'une société solidaire, une loi par laquelle toute une tranche d'âge, 700 000 jeunes, garçons et filles, consacreraient quelques mois de leur vie dans l'intérêt de tous et de chacun.
Cet élément du parcours de vie aurait été considéré comme normal pour tous si, dès le début des années quatre-vingt-dix, nous y avions travaillé ensemble pour préparer le jour où le Président Chirac devait annoncer, en 1996, la professionnalisation de nos armées et la suspension de la conscription obligatoire. Tout le monde aurait trouvé normal, et même positif, que l'on élargisse le service national aux jeunes filles, qu'on passe d'un service militaire à un service civil puis civique, en lui donnant un contenu d'éducation à la citoyenneté.
Ce moment de vie collective aurait pu être l'occasion de dresser l'état des lieux de la santé de notre jeunesse, de faire passer des messages utiles sur la prévention et sur l'hygiène de vie, d'identifier ceux de nos jeunes qui sont victimes de l'illettrisme, leur apprendre le B-A-BA du secourisme, la sécurité routière et la conduite automobile, aiguiller même ceux qui souffrent de carences vers des solutions adaptées ; bref, de faire une pause de remise à niveau pour installer, après l'école républicaine, un pallier recréant les conditions d'une nouvelle égalité des chances, quelque part entre l'adolescence et la vie adulte, entre les études et la vie active. Oui, nous avons, il y a dix ans, lorsque le dernier contingent a quitté les casernes, raté une belle occasion de faire oeuvre utile pour chaque jeune individuellement et pour la société tout entière.
Une telle occasion manquée ne se rattrape pas. Il faut reconstruire, non pas dans la nostalgie de nos vieux souvenirs du service militaire, mais avec l'objectif de répondre aux besoins de notre temps. En dix ans, le service national est sorti de la mémoire collective. Les jeunes de dix-sept ans qui arrivent à la JAPD n'en ont aucune idée. Alors, du regret d'une occasion manquée, construisons une espérance ; mais construisons-la avec les adolescents d'aujourd'hui, pour qu'ils s'approprient cette opportunité que peut constituer pour chacun d'entre eux le service civique.
Comment penser que l'on se trompe quand on écoute les jeunes, trop peu nombreux, qui ont vécu un engagement de service civil volontaire ? Ils en parlent comme d'une chance de découvrir l'autre, de se sentir utile. Ils ont envie de continuer et ils vont revitaliser le volontariat associatif qui se cherchait un nouveau souffle et dont les cadres, comme nous, prennent de l'âge. Surtout, ils se découvrent eux-mêmes, en même temps qu'un monde qu'ils n'auraient jamais découvert si le service civil ne leur avait pas permis de sortir de leur quartier, de rencontrer des gens, parfois plus malheureux qu'eux, tout simplement contents de les voir, d'accueillir leur sourire, comme ces grands-mères, veuves isolées dans des contrées rurales – nous savons de quoi je parle, madame la rapporteure.