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Intervention de Jonas Gahr Støre,ministre des affaires étrangères du Royaume de Norvège

Réunion du 27 janvier 2010 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jonas Gahr Støre,ministre des affaires étrangères du Royaume de Norvège :

C'est un grand plaisir pour moi de me présenter devant vous aujourd'hui, mais c'est aussi une épreuve qui n'est pas sans me rappeler le grand oral de Sciences Po… un grand oral qui, du reste, n'est pas un mauvais souvenir et dont l'évocation me donne l'occasion de remercier la France de m'avoir offert cette éducation.

Comme on ne peut dire que la Norvège fasse quotidiennement la une de la presse française, j'introduirai mon propos en vous présentant succinctement mon pays. Vous le savez, la Norvège a refusé par référendum, en 1972 et en 1994, de rejoindre l'Union européenne ; j'appartiens à la minorité favorable à l'adhésion. La Norvège maintient cependant des liens très étroits avec l'Union, à laquelle elle est fortement intégrée par son appartenance au marché intérieur – par le biais de l'espace économique européen – et à l'espace Schengen, et par sa participation à de nombreuses politiques communautaires. Notre politique étrangère tend à trouver un équilibre entre nos intérêts nationaux et des interventions qui nous permettent d'imprimer notre marque.

Dans son tout récent discours, M. Sarkozy a indiqué que la France est la cinquième puissance mondiale. La Norvège, petit pays, ne se place pas à ce rang – mais encore faut-il savoir ce que l'on entend par « petit pays ». Avec ses 4,8 millions d'habitants, le royaume est certes au 135ème rang mondial pour sa population et au 75ème pour sa superficie terrestre. Mais si à ses terres émergées on ajoute ses eaux territoriales, ses zones maritimes économiques et le plateau maritime continental, la Norvège se trouve classée quinzième, et l'on se rend compte que ce n'est pas un petit pays au sens juridique du terme.

La Norvège, pays maritime et constructeur naval, assume ses responsabilités dans l'exploitation et la gestion de ses ressources naturelles. C'est le deuxième pays exportateur mondial de gaz naturel ; en particulier, nous livrons à la France 30 % de sa consommation gazière. Ces relations prolongent une longue tradition de coopération entre la Norvège et la France, qui perdure : sans la technologie française nous n'aurions pu développer l'exploitation en mer du Nord ; maintenant, Statoil et Total vont se lancer dans l'exploitation des réserves de la mer de Barents. La Norvège est par ailleurs le septième pays exportateur de pétrole et le deuxième pays exportateur de poisson au monde. Les énergies renouvelables représentent 65 % de son mix énergétique, un taux plus élevé que celui observé dans n'importe quel pays de l'Union européenne, la France exceptée. La Norvège a créé un fonds public de pensions au profit des générations futures ; c'est, en importance, le deuxième fonds souverain au monde. Tous ces éléments rassemblés montrent que la Norvège n'est pas un « petit pays », et sa politique étrangère doit tenir compte de ses liens avec ses alliés et partenaires.

La Norvège, qui y consacre 1 % de son PIB, est le premier contributeur mondial pour l'aide au développement. En particulier, nous avons pris le parti de la solidarité avec les nouveaux pays membres de l'Union européenne en définissant des projets de développement économique, social et environnemental à leur bénéfice. Pour la période 2009-2014, 1,8 milliard sont affectés à ce dispositif. Parce qu'elle est un pays privilégié, la Norvège estime avoir des responsabilités particulières, celles de l'aide au développement et de l'action en faveur de la paix et de la réconciliation, au Moyen Orient et ailleurs.

La Norvège vous étant désormais plus familière, je me concentrerai sur deux sujets qui sont pour nous d'une importance particulière: le Grand Nord, priorité de notre politique étrangère, et le Moyen Orient.

Des facteurs nouveaux ont fait que le Grand Nord est devenu une région d'intérêt stratégique pour la Norvège et, au-delà, pour l'Europe et le monde. Avec l'ancienne URSS devenue Russie, la Norvège, pays fondateur de l'OTAN, a une frontière commune longue de 196 kilomètres ; nous nous devons de suivre avec attention le développement politique, économique et démocratique de ce pays. Par ailleurs, le changement climatique, en entraînant la fonte des glaces, permettra l'accès à des ressources naturelles jusqu'alors inexploitées, et ouvrira des routes maritimes nouvelles au Nord-Ouest de l'Arctique – le long du Groenland, du Canada et de l'Alaska – et au Nord-Est, le long de la côte septentrionale russe. Il en résulte que la région est l'objet de l'attention croissante d'un grand nombre de pays, et de nouvelles questions se posent. Ainsi, le passage du Nord-Ouest est-il dans les eaux canadiennes ou dans les eaux internationales ? D'autre part, avec le changement climatique, une nouvelle et immense frontière russe, jusqu'à présent protégée par la glace, va s'ouvrir, et la Russie, principale puissance arctique, va devoir faire face à un changement stratégique majeur au cours de ce siècle. Enfin, le passage du Nord-Est diminuerait de quelque 40% la distance entre Rotterdam et Yokohama comparée au trajet par le canal de Suez - et il y a très peu de pirates dans notre région !

Développer des systèmes de gestion et de coopération dans ces eaux est pour nous une priorité. Le Conseil arctique, seule organisation circumpolaire, dont les membres permanents sont le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Suède et la Russie, est ouvert à des observateurs. Ce n'est pas une instance décisionnaire, mais il contribue à la formation des politiques arctiques. Une coopération étroite s'est engagée sur ces questions avec l'envoyé du président de la République française, M. Michel Rocard, qui participe de très près aux projets scientifiques et politiques relatifs à l'Arctique.

Certains considèrent que l'on peut élaborer un traité pour l'Arctique sur le modèle de celui qui a été rédigé pour l'Antarctique. Nous estimons que cette approche n'est pas la bonne car les situations diffèrent : l'Antarctique est un grand rocher isolé dans l'océan alors que l'Arctique est entouré d'Etats qui ont ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Nous avons l'expérience d'une coopération fructueuse avec la Russie. Certes, son arsenal nucléaire est déployé au Nord et elle procède à des exercices militaires en nombre croissant mais elle est aussi plus pragmatique qu'elle ne le fut et elle cherche à mettre au point avec ses voisins des solutions visant à assurer un développement régional équilibré. Nous sommes donc en un lieu où la Russie se montre sous un jour bien différent de ce qu'elle est dans la Baltique ou dans le Caucase – comme souvent, les relations de voisinages dépendent du contexte. Développer la stabilité d'une région qui va susciter un intérêt croissant est l'une des priorités de notre politique étrangère et nous constatons avec satisfaction que la stratégie arctique de l'Union européenne va dans le même sens.

J'en viens au Moyen Orient. Hier soir, j'ai participé au dîner de suivi de la Conférence internationale des donateurs pour l'Etat palestinien, en compagnie de M. Bernard Kouchner, de Mme Catherine Ashton, de M. Tony Blair, du Premier ministre palestinien Salam Fayyad et du ministre égyptien des affaires étrangères Ahmed Aboul Gheit. La Norvège, qui préside le groupe des donateurs, a par son implication dans le processus de paix depuis les Accords d'Oslo, un intérêt direct à le voir aboutir. Certains disent que le processus d'Oslo est mort ; on peut en discuter mais quoi qu'il en soit il n'y a pas d'autre solution durable que la coexistence de deux États ; les Accords d'Oslo visaient à créer les conditions qui la permettraient et nous devons continuer de faire nôtre cet objectif.

Aussi bien M. Abbas que M. Netanyahu hésitent à s'engager. Le premier, vulnérable, est conscient de l'urgence qu'il y a à négocier mais sa marge de manoeuvre est faible. Les Palestiniens veulent des garanties supplémentaires des Etats-Unis et de l'Union européenne pour franchir le pas. M. Netanyahu a quant à lui beaucoup évolué. Il parle maintenant de deux Etats et, selon moi, il s'apprête à faire des pas supplémentaires vers la négociation – et il en faut. Mme Tzipi Livni, chef de l'opposition, ayant aussi évoqué la solution de deux Etats, il faut saisir cette occasion au plus vite. Avec la France et l'Union européenne, la Norvège en a appelé à plus de gestes de bonne volonté pour faciliter cette évolution. Des efforts diplomatiques redoublés des Etats Unis et de l'Union européenne sont nécessaires ; à cet égard, je me félicite des conclusions du Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne du 8 décembre 2009 appelant à la reprise urgente de négociations. Une définition claire de ce que devrait être la solution durable du conflit a été énoncée, que la Norvège approuve. De fait, il n'y a pas d'alternative. L'hypothèse d'un seul État n'est pas recevable ; cela signifierait un apartheid, une solution qui n'est souhaitable pour personne. La Norvège considère que l'essentiel est de soutenir le Gouvernement palestinien et la construction des futures institutions publiques palestiniennes, car nous sommes certains que les Palestiniens se débrouilleront sans aide extérieure le jour où ils auront un Etat.

En conclusion, nous avons le sentiment que les deux parties se préparent à négocier mais que manquent encore des gestes de bonne volonté et une plateforme de négociation. L'Union européenne doit donc soutenir les efforts des Etats-Unis, mais elle doit aussi prendre une part plus politique au processus de paix en élaborant une plateforme de discussion. Jusqu'à présent, l'Union européenne payait mais elle ne parlait pas ; désormais, cela change. L'heure n'est pas encore venue d'organiser une grande conférence internationale sur la paix au Proche-Orient ; pour gagner la confiance des Palestiniens, les Etats-Unis devront s'engager davantage et donner des garanties. Mais je crains que ce qui se passe à Jérusalem-Est ne conduise à un blocage qui réduira les chances de reprise des négociations. On assiste en effet en ce moment à une fermeture stratégique destinée à empêcher définitivement que Jérusalem ne devienne la capitale unique de deux Etats.

On dit souvent qu'au Moyen-Orient les pessimistes ont toujours raison. En ma qualité de ministre des affaires étrangères, je me refuse à accorder quelque crédit à cet aphorisme et, étant donné la situation géopolitique mondiale, avec les positions prises par l'Iran et l'instabilité qui prévaut de l'Afghanistan au Soudan, j'en appelle à un effort soutenu pour régler le conflit israélo-palestinien.

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