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Intervention de Marina Glamotchak

Réunion du 20 janvier 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Marina Glamotchak, chercheur associé à l'Institut des Sciences sociales du politique, IEPCNRSNanterre-Paris X :

Je me propose d'analyser le souhait d'intégration européenne de la Serbie à travers le prisme des relations économiques russo-serbes. Cette dimension est en effet essentielle à l'heure où se développe la compétition économique dans les Balkans, notamment dans le domaine de l'énergie, et où la Russie déploie dans ce même domaine une véritable diplomatie économique.

La Russie renforce en effet sa position au sein des relations énergétiques internationales et l'énergie est aujourd'hui un enjeu stratégique de la relation qu'elle entretient avec l'Union européenne. Des projets de gazoducs en provenance de la Mer noire et de la Caspienne, South Stream et Nabucco, qui concernent directement l'Union européenne, s'entrecroisent dans les Balkans. Ainsi, la Russie, établit une nouvelle relation avec cette région – notamment la Serbie – reposant sur des intérêts énergétiques : le premier sommet de l'énergie de l'Europe du Sud-Est s'est tenu à Zagreb le 25 juin 2007, sous l'égide de la Russie.

Dans le contexte de l'affirmation de la présence de la Russie dans les Balkans, on constate que les entreprises russes du secteur de l'énergie font des acquisitions à un prix fixé à l'avance lors de négociations directes, et qu'elles assortissent ces acquisitions de promesses mirifiques à propos d'investissements futurs ou de programmes d'exploitation ambitieux. Il faut noter que ces entreprises ne visent pas seulement le marché serbe, trop étroit à l'échelle des magnats russes, mais l'ensemble des pays balkaniques.

Avec ces nouvelles acquisitions russes dans le domaine de l'énergie, il faut clairement compter désormais sur le retour durable de la Russie dans sa zone d'influence balkanique. Or comme l'a évoqué M. Mirel, les États des Balkans sont engagés à des degrés divers dans le processus d'intégration européenne. Pour la Serbie, l'adhésion à l'Union est un objectif stratégique. Je ne répète pas ce qui vient d'être dit quant à sa situation juridique et politique à cet égard.

Sur le plan énergétique, il faut parler de prise de contrôle du pétrole et du gaz serbes par la Russie. En effet, aux termes de l'accord stratégique sur l'énergie conclu le 24 décembre 2008 entre la Russie et la Serbie – qui garantit la place de cette dernière sur la carte de l'énergie en Europe –, quatre engagements sont pris : la vente de 51 % du capital de l'industrie pétrolière de Serbie (NIS) à la compagnie russe Gazprom pour 400 millions d'euros, des investissements russes dans NIS de 500 millions d'euros d'ici à 2012, la construction d'un gazoduc à travers la Serbie d'ici la fin de 2015 – projet pour l'instant repoussé –, et enfin la modernisation et l'agrandissement du dépôt de gaz à Banastki Dvor, en Voïvodine.

Très souvent, la relation russo-serbe est réduite à une « amitié slave » plus ou moins fantasmée. Il ne faut pas confondre le panslavisme historique, qui est un sentiment de solidarité entre les populations, avec le néo-panslavisme actuel qui se définit plutôt par un soutien entre gouvernements. Je citerai à cet égard ce mot récent de l'ambassadeur russe à Belgrade : « Nous pouvons avons beau acheter vos entreprises ; vous n'achetez pas nos produits ». Le deuxième point de fixation dans la relation russo-serbe est évidemment la question du Kosovo. Le soutien de la Russie à la Serbie sur ce sujet est en effet à l'origine d'un partenariat dissymétrique : pour prix de sa position diplomatique (avant tout hostile à l'OTAN), la Russie a obtenu de la Serbie une participation majoritaire au capital de NIS pour la moitié de sa valeur.

Les autres accords russo-serbes ont été conçus pour faciliter les échanges entre les deux pays. Mais qui se souvient encore de l'accord de 1999 qui a créé l'Union slave entre la Russie et la Biélorussie, à laquelle la Serbie participe comme observateur ? Il existe également un protocole russo-serbe de libre échange et la Serbie demeure l'unique pays qui bénéfice du libre commerce avec la Russie. Les entreprises étrangères implantées en Serbie, y compris françaises, profitent également de cette conjoncture économique. Enfin, les intérêts russes en Serbie concernent d'autres secteurs que les hydrocarbures et ces projets ont pris une ampleur nouvelle lors de la visité officielle du Président Medvedev, du 20 octobre 2009, en Serbie. En effet, le président russe a accordé un prêt à la Serbie pour un montant d'un milliard de dollars afin de réaliser des projets d'investissements, stabiliser le budget serbe et lancer des projets d'infrastructures.

Par le biais de la diplomatie énergétique, la politique étrangère russe confronte l'Union européenne à deux défis : il s'agit, premièrement, de la construction d'une politique étrangère commune, étant donné la diversité des liens qu'entretiennent les États membres avec la Russie – la Slovénie a par exemple signé un accord bilatéral avec la Russie en novembre dernier pour devenir le cinquième État membre de l'Union à rejoindre le projet de gazoduc South Stream. Le second défi réside pour l'Union dans l'articulation entre ses différents instruments de politique étrangère, à l'égard de ses voisins et de ses partenaires stratégiques. Vue de l'Union européenne, la politique étrangère russe appliquée au secteur de l'énergie prend davantage en compte les considérations géopolitiques que les règles du marché, même si les observateurs européens ne sont pas tous d'accord sur ce point.

En conclusion, il n'y a pas de dilemme serbe entre Ouest ou Est. En effet, on peut résumer les objectifs du gouvernement serbe en quatre points : l'objectif stratégique d'adhésion à l'UE, les relations privilégiées à entretenir avec l'Union mais aussi la Russie, la Turquie et la Chine, l'affirmation sur la scène internationale – en particulier en saisissant la Cour internationale de justice de la licéité de la proclamation d'indépendance du Kosovo – et enfin la relance du Mouvement des Non-alignés, en tant que successeur légitime de la Yougoslavie, question tout à fait digne d'intérêt.

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