Il faut avoir en tête que, lorsqu'on envisage une augmentation moyenne de la température mondiale de 2°C, cela signifie une augmentation de 4° C dans le bassin méditerranéen, avec des conséquences dramatiques. Dans cette hypothèse, on ne pourrait probablement plus continuer de cultiver du blé dur dans les zones du Maghreb où on le fait actuellement, sauf peut-être là où il sera possible d'irriguer. Toute une partie de l'agriculture est donc menacée. Et plus l'accord sur le climat tarde, plus la température risque de s'élever. On dit parfois qu'avec le réchauffement climatique, la région bordelaise produira du Sidi Brahim, mais si l'accord intervient trop tard, il ne sera peut-être même plus possible d'en produire !
Le rythme auquel avancent les négociations sur le climat n'est pas neutre sur la sécurité alimentaire. D'où l'exigence d'investir encore davantage et sans retard dans la recherche, notamment pour l'amélioration génétique des variétés et des espèces, ainsi que pour les techniques culturales. Un effort considérable d'adaptation des activités dans les zones rurales est nécessaire : il faut les recentrer sur les productions alimentaires. La question des ressources en eau aussi va devenir cruciale, d'où la nécessité de développer encore plus de projets visant à économiser et à mieux gérer cette ressource. La question de l'énergie sera également déterminante : en Afrique aujourd'hui, 60 % de l'énergie provient du bois de chauffe. Que se passera-t-il quand la température aura augmenté de 4°C ? Les populations qui utilisent ce bois n'auront pas encore accès demain à d'autres énergies.
On mesure donc l'ampleur des investissements nécessaires.
J'avais parié à Bali qu'on enregistrerait à Copenhague de réelles avancées sur l'agriculture. Il n'y en a eu qu'une, très timide, avec la création d'un groupe de travail sur l'agriculture et le changement climatique. Les négociateurs sont en effet essentiellement des forestiers, peu au fait des questions spécifiquement agricoles. La France a essayé de faire entendre un spécialiste, mais c'est très difficile : le sujet inquiète. En ce qui nous concerne, nous pensons depuis longtemps qu'un effort important est nécessaire en matière d'amélioration végétale et que de nouvelles pratiques culturales permettant de préserver la fertilité des sols peuvent être mises en oeuvre. La moitié des terres du Brésil sont maintenant sans labour, dans le cadre certes d'une agriculture mécano-chimique moderne, mais avec des sols dont la fertilité est loin d'égaler celle des nôtres, qui comptent parmi les plus fertiles au monde. Ces pratiques nouvelles commencent à se développer dans notre pays et quelques autres.
Il est possible d'améliorer les rendements sans augmenter les coûts et tout en séquestrant du carbone. La Tunisie, notamment, mène des projets remarquables en la matière. Les travaux du GIEC montrent que la contribution de l'agriculture à la lutte contre le changement climatique réside avant tout dans le stockage du carbone dans les sols, sujet dont on ne parlait pas, ou très peu, il y a dix ou quinze ans. On a là l'opportunité d'une opération gagnant-gagnant de tous points de vue.
La question de la gestion des forêts est montée en puissance dans l'agenda dès la conférence de Montréal, puis encore à Bali, et de réelles avancées ont eu lieu à Copenhague. La question de l'agriculture, elle, ne fait que commencer de monter en puissance. Pour la première fois à Copenhague, on a laissé la parole à des organisations internationales d'agriculteurs et à des agriculteurs. Lors des précédents sommets, on parlait à leur place. Cela étant, on a besoin que le sujet soit repris par des politiques comme vous pour qu'il ne soit pas oublié et pour qu'on ne parle pas seulement de transfert de technologies, d'éoliennes, par exemple.