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Intervention de Jean-Michel Debrat

Réunion du 20 janvier 2010 à 16h15
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Jean-Michel Debrat, directeur général adjoint de l'AFD :

Merci tout d'abord de votre invitation. Je suis venu avec toute l'équipe « climat » de l'AFD, de façon à pouvoir répondre à toutes vos questions sur un sujet aussi vaste et complexe.

Si l'AFD s'investit autant dans la lutte contre le changement climatique, c'est que le climat, au-delà des stricts aspects scientifiques qui sont l'affaire des climatologues, touche de très près au développement dès lors qu'on étudie les causes et les conséquences de son évolution, et qu'on réfléchit aux solutions possibles. Sont en effet directement concernés les domaines de l'énergie, des transports, de l'aménagement du territoire, la politique agricole, forestière, urbaine, tous domaines d'intervention privilégiés des grandes agences de développement, parmi lesquelles l'AFD, banque internationale de la France pour le développement depuis plus d'un demi-siècle.

Je présenterai tout d'abord l'action de l'AFD en matière de lutte contre le changement climatique. Puis, je décrirai plus en détail un instrument innovant, très prometteur, que nous avons développé depuis deux ans au profit des États étrangers, le « prêt sectoriel climat ». Je dirai enfin un mot de l'après-Copenhague.

L'AFD a fait le choix délibéré, pleinement appuyé par l'État, d'affecter une part importante de ses moyens à la lutte contre le changement climatique – il est important de souligner ici que les actions en faveur du climat ne prennent pas la place d'autres actions, le budget de l'Agence étant en augmentation. Nous consacrons d'importants moyens tant à l'atténuation de l'impact des activités humaines sur la concentration en carbone de l'atmosphère, et donc sur le climat, qu'à l'adaptation des différents pays au changement climatique. Les deux volets vont en effet de pair même si le premier peut paraître au premier abord plus important.

L'AFD n'est pas le seul organisme de financement bilatéral à avoir choisi d'intervenir largement en matière climatique. Bien au contraire, l'Agence et ses homologues étrangères ont, les premières, compris tout l'intérêt d'agir dans ce domaine qui touche notamment à l'aménagement du territoire, à l'industrie et à l'agriculture, et qui est aussi un thème géopolitique. Elles s'y taillent aujourd'hui la part du lion, avec les deux tiers de l'effort total. L'AFD, à elle seule, représente 10 % du total des financements publics mondiaux consacrés à la lutte contre le changement climatique – la JICA japonaise, avec laquelle nous collaborons en Asie, en représente 36 %, la KfW allemande 14 %, la Banque européenne d'investissement, qui peut être considérée comme un organe bilatéral, 6 %. Les organismes multilatéraux interviennent également, mais dans des proportions moindres.

Les engagements de l'AFD, tant en atténuation du changement climatique qu'en adaptation à ses effets, ont fortement augmenté, surtout depuis 2007, non que nous fassions preuve d'un volontarisme politique forcené, mais, en sus de nos propres efforts, nous sommes « tirés » par la demande. Ayant, comme nos homologues, pris en temps utile la mesure de la force de celle-ci, nous nous efforçons d'y répondre. Cette demande vient de nos grandes zones géographiques d'intervention, en premier lieu l'Afrique, qui demeure notre coeur de cible, mais aussi l'Asie et la Méditerranée. Chacune de ces zones représente en gros 30 % de nos financements, le reste se répartissant entre l'Amérique latine et l'outre-mer – non que ce dernier soit moins important à nos yeux, mais il pèse moins sur le plan quantitatif au niveau mondial pour le climat. Nous intervenons dans les grands métiers classiques de l'Agence : l'énergie en matière d'adaptation, l'eau en matière d'atténuation. Quarante-quatre %de nos projets se situent en Afrique subsaharienne, 22 % outre-mer – proportion qui ne se retrouve pas dans le montant des financements, ce qui signifie que nous y finançons des projets plus modestes.

Attachée à évaluer l'effet de ses actions, l'AFD a souhaité se doter au plus vite d'un outil performant de mesure. S'il est parfois difficile d'évaluer l'impact socio-économique d'un projet de développement, il est beaucoup plus simple de mesurer combien de tonnes de CO2 un projet a permis d'économiser. L'Agence a ainsi mis au point un outil, développé avec Jean-Marc Jancovici, qui lui permet d'affirmer aujourd'hui que les projets à impact positif sur le climat qu'elle a financés en 2009 ont pu éviter le rejet dans l'atmosphère de 5 millions de tonnes d'équivalent CO2, soit les émissions annuelles de 1,5 million de voitures neuves aux normes européennes. Le résultat est donc significatif, même si bien entendu cet effort doit être démultiplié pour relever le défi climatique mondial.

Le « prêt sectoriel climat » (climate change policy loan), outil particulièrement innovant, s'adresse à des États souhaitant mettre en oeuvre une politique active de lutte contre le changement climatique, ce qui entraîne nécessairement pour eux des dépenses supplémentaires. Nous l'associons à une série de réformes que nous cherchons à obtenir comme résultats.

Travailler au niveau des États a plusieurs implications. Tout d'abord, il faut bien choisir les pays bénéficiaires. Nos choix ne sont pas le fruit du hasard : nous avons choisi des pays émergents n'étant pas partie au protocole de Kyoto, mais appelés à jouer un rôle dans les négociations climatiques, comme l'Indonésie, le Brésil ou le Mexique. Ce sont ces pays-là qui nous intéressent pour l'influence de la France. Une autre conséquence est que nous apportons notre savoir-faire technique sans être intrusifs : nous prêtons aux États, sans les enserrer ensuite dans des contraintes ni faire pression sur eux pour la mise en oeuvre de leurs politiques. L'Indonésie est le premier pays à avoir bénéficié de ce type de prêt. Nous n'avons pas la prétention de penser que c'est à grâce à nos prêts, d'un montant total de 500 millions d'euros, que ce pays a adopté une position originale, tout à fait en pointe, à Copenhague : il avait simplement une volonté politique, que nous avons accompagnée. Le Mexique, qui accueillera dans six mois le prochain round de négociations sur le climat, négocie actuellement un prêt de même type. Le Vietnam est également demandeur. Dans le cas de l'Indonésie, un comité stratégique (steering committee) se réunit trois à quatre fois par an pour définir les axes de la politique voulue par l'État indonésien ; il est relayé par un comité technique qui entre dans le détail des mesures à prendre. Puis, une équipe de suivi, constituée des bailleurs de fonds, en l'espèce la JICA et l'AFD, supervise les études techniques, fournit de la matière grise, donne des avis. Il y a en fait une co-élaboration de la politique indonésienne en faveur du climat.

Quelles sont pour la France les retombées de cet appui financier de l'AFD ? Tout d'abord, au fil des réunions, nous l'avons constaté, l'Indonésie a largement infléchi sa propre politique publique de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Ensuite, elle a joué un rôle non négligeable à Copenhague, à nos côtés. Enfin, alors qu'antérieurement aux grands projets qu'a permis de mener l'AFD, la France était tenue en Indonésie pour un pays assez lointain, sans nette visibilité économique, à l'exception de quelques grandes entreprises comme Lafarge, son image a changé. Les entreprises françaises qui y sont implantées ont d'un coup ressenti ce changement. Ce type de retombées ne se mesure peut-être pas sur le plan quantitatif, mais n'en est pas moins de première importance. Nous faisons en réalité d'une pierre deux coups.

J'en viens au sommet de Copenhague. Force est de constater que les résultats ont été en deçà des attentes, notamment celle, largement relayée par la presse, de l'engagement formel des parties d'abaisser de moitié les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Pour autant, quantité de dispositions prises vont dans le bon sens et le texte final, s'il ne contient pas cet objectif clé, comporte néanmoins beaucoup d'avancées. La nécessité d'une politique mondiale d'adaptation aux changements climatiques a été clairement reconnue. Le rôle de la forêt, sur lequel insistait beaucoup la France, en particulier le Président de la République, a été souligné. Enfin, des progrès concrets ont été enregistrés sur les questions de financement, des chiffres précis ayant été avancés. Même si aucun mécanisme contraignant n'a été prévu pour les atteindre, il n'est pas anodin qu'il ait été dit à Copenhague qu'il faudrait dépenser au moins 30 milliards de dollars dans les trois années à venir, et qu'en 2020 ce seront 100 milliards par an qui seront nécessaires. Les ordres de grandeur ont au moins été donnés, et la communauté internationale a pris conscience de l'ampleur de l'effort à fournir.

Le principe d'un appui aux politiques nationales a aussi été clairement souligné. Il ne faut rien imposer d'en haut, mais au contraire partir d'en bas, c'est-à-dire des problèmes et des souhaits des États. Toute autre solution ne serait d'ailleurs pas acceptée, à commencer par la Chine, qui ne saurait tolérer, fût-ce au motif de la lutte contre le changement politique, qu'on lui dicte une politique, et elle n'est pas la seule à penser ainsi.

C'est sur le sujet de la forêt que les avancées ont été les plus nettes à Copenhague. Un réel climat de confiance s'est instauré et le communiqué final du sommet mentionne explicitement parmi les priorités la prise en compte de l'ensemble des activités la concernant – déforestation, dégradation, gestion durable, reboisement, conservation des stocks de carbone, tous sujets sur lesquels l'AFD en particulier a beaucoup travaillé, notamment dans le bassin du Congo. La forêt constitue une part importante du financement fast start de la France, avec 180 millions d'euros prévus sur trois ans, conformément à la volonté exprimée par le président de la République. Restent à préciser le mécanisme financier et à déterminer sur quel fonds s'appuyer. Nous pensons que ce doit être le FCPF (Forest Carbon Partnership Facility).

Des avancées ont eu lieu également sur l'« architecture financière climat », dont le problème a au moins été posé. Chacun a perçu le danger d'un magistère mondial, que refusent d'ailleurs tous les États émergents. On n'a pas voulu d'une politique mondiale financée par un fonds mondial, guichet unique omnipotent déterminant les politiques à conduire au niveau national. En revanche le souhait a été exprimé de mettre certains moyens en commun, dont des fonds, parmi lesquels le Copenhagen Green Climate Fund, lequel n'en exclut aucun autre et dont les clés de répartition n'ont pas encore été précisées. Pour un pays comme la France, il est important de savoir si les futures règles du jeu lui laisseront sa visibilité, lui permettront encore d'agir et de défendre ses intérêts, ou si elle risque de se retrouver dans une vaste mécanique mondiale. Cela pose aussi la question du rôle de l'Europe vis-à-vis de cette architecture mondiale. Ce qui est certain, c'est que le Copenhagen Green Climate Fund sera créé. Il reste à le mettre en place, mais l'AFD a fait des propositions extrêmement précises sur ce point, qui n'ont pas été discutées à Copenhague car c'était sans doute prématuré. Cependant, c'est volontairement que nous les avons formulées afin que l'on commence d'en parler et que l'on puisse en discuter lord du round de négociations suivant.

Quelles sont les idées de l'AFD qu'a défendues la délégation française ? La première, qui n'est d'ailleurs pas de nous, est que le sujet du climat doit demeurer de la compétence de la « conférence des parties », c'est-à-dire des États. Il n'est pas concevable de dessaisir les États souverains au profit d'une autre instance que cette « conférence des parties » les représentant et où s'appliquent les règles de vote en vigueur de l'ONU. Cette conférence doit s'appuyer sur un comité d'experts, disposant des compétences techniques, notamment pour évaluer les effets des politiques et garantir l'équilibre des projets entre pays, avec la hauteur de vue et l'impartialité nécessaires. Il faut aussi, à ce stade, alimenter une base de données documentaire et chiffrée.

Au niveau de chaque pays, et bien sûr tout particulièrement pour les pays en développement, il importe de coordonner les actions, d'apporter les savoir-faire, d'aider à l'élaboration des politiques nationales de lutte contre le changement climatique. Il faut pour cela faire mettre à contribution tous les organes, notamment les banques nationales, les banques bilatérales, les banques multilatérales, les fonds thématiques et surtout le secteur privé. Nous avons eu l'impression à Copenhague, ce qui était somme toute logique dans la mesure où le sommet réunissait gouvernants et diplomates, que le secteur privé était sous-représenté alors qu'il est appelé à financer l'essentiel des actions. Il faut trouver le lieu où, par pays, on définit les politiques et, par secteur, les programmes d'adaptation, autour desquels puissent se rassembler les principaux opérateurs financiers. Ainsi, pour un État d'Amérique latine, on peut imaginer un pool associant la Banque interaméricaine, la Corporation andine de développement, la KfW, l'AFD et la Banque mondiale, définissant, en coordination avec les autorités nationales, les moyens de financer les programmes.

Demeurent les questions de financement. D'où, à côté du « comité des sages », un « comité de crédit », avec le fameux Copenhagen Green Climate Fund. Pour nous, ce fonds doit « mixer » toutes les ressources disponibles, à commencer par celles en provenance du marché, et les bonifier au niveau pertinent pour chaque pays. Il faut garder présent à l'esprit que certains domaines, comme celui de l'assistance technique, ne pourront être financés que par des subventions.

En résumé, l'AFD est devenue l'un des plus gros bailleurs de fonds en matière de climat. Elle renforce la capacité d'action de la France dans les négociations internationales grâce à son expertise technique et au savoir-faire qu'elle a acquis dans les projets qu'elle finance depuis déjà longtemps. Elle sera un opérateur majeur dans la mise en oeuvre des engagements futurs de notre pays pour le financement de la lutte contre le changement climatique. Enfin, elle est un vecteur de l'influence française, laquelle se marque concrètement dans les comités financiers, les conseils d'administration des banques multilatérales et les pools de cofinancement. C'est là que se mesure le poids, pas seulement financier d'ailleurs, de notre pays. Il y va de notre capacité à être là où les choses se décident, en un mot à garder la main.

Je terminerai cette présentation en vous montrant une photo d'archive, datant d'une quarantaine d'années, où une firme américaine vantait sa capacité de production d'énergie en indiquant qu'elle pouvait en produire assez chaque jour pour faire fondre un glacier de 7 millions de tonnes ! Les concepteurs de cette publicité n'imaginaient certainement pas l'écho qu'elle trouverait aujourd'hui. C'est dire combien les esprits peuvent évoluer et les repères changer rapidement !

Notre conviction est que nous sommes à une croisée des chemins. Avec un objectif de 100 milliards de dollars par an, le montant de l'aide publique au développement (APD) va doubler. Financer la lutte contre le changement climatique, c'est financer des infrastructures, donc le développement. C'est pourquoi l'AFD, agence de développement, se trouve être aux premières loges pour la question du climat.

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