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Intervention de Joseph Maïla

Réunion du 13 janvier 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Joseph Maïla :

Monsieur Ferrand, les chrétiens sionistes constituent une petite secte, issue de l'évangélisme. Ils considèrent que la reconstruction du Temple détruit par Titus en 70 marquera le début de la fin des temps. Activer la présence sioniste et reconstruire le Temple, c'est donc pour eux travailler à une oeuvre divine d'accélération de l'histoire. Bien que minoritaire, cette secte a pignon sur rue aux États-Unis et elle est très active.

Je souscris à votre remarque concernant la proximité. Les génocides sont d'abord le fait du voisin : les communautés ont vécu ensemble pendant des siècles, les familles ou les villages se connaissent depuis toujours. On l'a vu au Rwanda – 800 000 morts en quatre semaines –, mais aussi en Bosnie. De même, la guerre civile algérienne a été un massacre entre musulmans.

A propos de l'Irlande du Nord, permettez-moi d'illustrer par une anecdote la différence qu'il convient de faire entre croyance et religion.

Un homme est arrêté à un barrage. Le milicien lui demande s'il est catholique ou protestant. Pensant que c'est la réponse la plus opportune, l'homme affirme qu'il est athée. « Soit, mais athée catholique, ou athée protestant ? » rétorque le milicien.

Ici, comme vous le constatez, la religion n'est plus qu'un support de l'identité. Il ne s'agit pas de croyance mais d'appartenance. La violence religieuse n'est pas aujourd'hui une violence de conversion, c'est une violence de suppression, d'éradication, de nettoyage ethnique, oserais-je dire. Ce qu'elle signifie est le refus de vivre avec autrui, ce qu'elle veut dire, c'est « je ne veux pas vivre avec toi ».

La question de l'enseignement du fait religieux revêt donc une importance particulière, comme l'a montré l'excellent rapport Debray. Il s'agit de prodiguer en la matière la culture du pluralisme. Le vrai défi que doivent relever les religions confrontées à une situation de crise est l'aménagement de leur différence. L'immense majorité des sociétés n'ont pas fait comme nous le choix de la laïcité ; le problème est donc de savoir comment organiser le pluralisme religieux dans un contexte non laïque.

Monsieur Julia, l'Union pour la Méditerranée se développe pour l'instant sans volet culturel et religieux. M. Debray avait cependant, à la demande du président Chirac, animé une série d'« ateliers culturels méditerranéens ». Cette initiative reste pour le moment sans suite mais il n'est pas impossible que la dimension religieuse soit prise en compte ultérieurement. Je vous remercie pour votre message, que je relaierai.

Si la pauvreté est bien entendu un ferment de l'extrémisme, il n'existe pas de causalité mécanique : en Inde, par exemple, l'extrême pauvreté n'a pas conduit à des guerres civiles communautaires.

J'en viens à l'Algérie, évoquée par M. Bouvard. Depuis une vingtaine d'années, la communauté chrétienne s'est organisée notamment en Kabylie mais l'exercice du culte devient de plus en plus difficile, du fait d'une visibilité croissante et d'une réaction de l'Etat au prosélytisme. La question des cimetières chrétiens est évidemment très douloureuse. Le rôle de notre pôle est d'alerter sur ces phénomènes et de les suivre. La mondialisation a libéré les religions et les fait circuler dans le monde, si bien que des concurrences interviennent dans des sociétés qui ne sont pas accoutumées au pluralisme religieux. La présence de religions autres est alors ressentie comme une menace pour l'identité nationale. Je pense que le cas algérien se retrouvera dans de nombreuses régions du monde. L'ouvrage de René Guitton tire la sonnette d'alarme à ce sujet.

Monsieur Cocquempot, la question de l'Iran passionne la structure que j'anime car derrière la confrontation entre réformateurs et conservateurs, nous voyons le débat interne au clergé chiite. Celui-ci reste largement ignoré ; j'espère que les analyses du pôle auront apporté un éclairage utile.

L'ayatollah Montazeri, récemment disparu, était le porte-parole de la contestation religieuse. Il faut replacer celle-ci dans le contexte du velayet-e faqih, doctrine élaborée par l'ayatollah Khomeini en 1963-1964 à Nadjaf et à Kerbala et introduite en 1979, qui a établi la tutelle du jurisconsulte ou docteur de la loi sur la vie politique. C'est à l'origine une doctrine étrangère au chiisme, religion quiétiste, c'est-à-dire séparant le religieux et le politique. Le chiisme attend le retour du douzième imam disparu, le « maître du temps », retour qui inaugurera une période de mille ans de paix avant la fin du monde. La réflexion de Khomeini était la suivante : si les réformes du Shah se poursuivent, le Mahdi ne trouvera pas, à son retour, de musulmans chiites tant l'occidentalisation progresse ; il faut donc préserver le caractère musulman de la société, moyennant la tutelle provisoire du jurisconsulte, garant de l'identité religieuse. C'est une doctrine de salut public religieux.

Mais le velayet-e faqih n'a pas été accrédité par la majorité des ayatollahs et des oulémas. Ce n'est pas une doctrine reconnue étudiée à Qom ou à Nadjaf par la plupart des grands ayatollahs. C'est ainsi que l'autorité politique et, du même coup, la légitimité religieuse de l'ayatollah Khamenei ont pu se trouver contestées.

Aujourd'hui, certains ayatollahs – Saanei, Ardebili –,critiquent l'institution du velayet-e faqih, d'autres considèrent que l'erreur a été de confier la tutelle à un seul homme et non à un collège de guides. Le décès de l'ayatollah Montazeri est un coup porté au mouvement du 12 juin mené par Mir-Hossein Moussavi, mais aussi à la cléricature éclairée du chiisme, qui préférerait que la hiérarchie revienne à sa vocation essentielle – le gouvernement des âmes, et non celui du peuple.

La répression de la contestation a sans nul doute porté atteinte à l'image de l'institution religieuse. Contrairement aux sunnites, dont l'institution est hiérarchisée et gouvernée par l'État, les mollahs chiites sont très libres et très proches du peuple, un peu à l'instar des pasteurs protestants. Ce lien a été rompu. Les plus lucides des clercs chiites, craignant que le bébé ne soit jeté avec l'eau du bain et que la contestation du pouvoir politique n'entraîne la contestation du religieux, sont en train de prendre les devants.

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