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Intervention de Joseph Maïla

Réunion du 13 janvier 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Joseph Maïla :

En effet, la question du Yémen se pose essentiellement en termes politiques. La rébellion houthiste repose sur le zaydisme. Si cette école a des attaches avec le chiisme, sa pratique et ses dogmes l'ancrent dans le sunnisme. Les houthistes ont eu la haute main sur l'administration du pays pendant des années. L'unité du Yémen est très difficile à réaliser entre les différents groupes, entre le Nord et le Sud. Ce pays, proche des champs pétrolifères saoudiens, connaît une évolution catastrophique. Les plus pessimistes disent qu'il est en voie de « somalisation » et il abrite des groupes importants comme ceux d'Al-Qaïda. Mais, je le répète, le problème est fondamentalement politique.

Sans doute notre attention est-elle un peu trop focalisée sur le religieux, comme le remarque M. Myard. Le phénomène majeur du XXe siècle a été, pour moi, la multiplication des États : 60 à la SDN, 192 à l'ONU ! Or les nouveaux États ne peuvent se construire et acquérir une légitimité du jour au lendemain. La grande question est celle des États fragiles, précaires, potentiellement en faillite, où la culture politique et administrative n'a pas encore pris racine. On assiste alors à une compétition entre la citoyenneté impliquée par l'État et l'appartenance et la fidélité à des tribus, à des ethnies ou à des communautés dont l'existence remonte à des centaines d'années. Dans bon nombre de pays, en Afrique notamment, cela conduit au délitement des États. Nous devons impérativement renforcer leurs capacités institutionnelles si nous souhaitons voir la situation se stabiliser.

Le pôle « religions », créé au sein de la direction de la prospective, a pour mission de traiter du fait religieux dans le monde d'un point de vue positif, c'est-à-dire comme un fait social : nous le considérons comme un paramètre qui a des conséquences sur la diplomatie française. Certains diplomates étrangers accrédités en France se sont inquiétés auprès de moi : y aurait-il un changement dans la philosophie laïque de l'État français ? La « laïcité positive » ne préparerait-elle pas un abandon de la laïcité ? Bien entendu, il ne s'agit nullement de cela. Dans d'autres ministères des affaires étrangères en Europe, il y a souvent un « monsieur ou une madame religions », qui s'occupe notamment de la question de l'islam et de son organisation, la communauté musulmane européenne n'ayant pas la même culture politique que les communautés plus anciennement implantées qui se sont adaptées au fait laïque et à la sécularisation des sociétés.

Le pôle a pour missions de prendre en compte le fait religieux en tant que tel, sans porter d'appréciation sur la religion elle-même, d'apporter un appui aux directions géographiques du ministère des affaires étrangères lorsque des questions de religion se posent – par exemple au Sri Lanka, au Pakistan, en Afghanistan –, enfin d'améliorer la formation et l'information des diplomates sur ces thèmes.

Nous travaillons en association étroite avec le bureau central des cultes du Ministère de l'Intérieur, dont la compétence est hexagonale, ainsi qu'avec le conseiller pour les affaires religieuses – le CAR – du ministre des affaires étrangères, qui s'occupe principalement des relations avec les autorités religieuses. Cette fonction a été créée en 1921, lorsque la France a renoué avec le Vatican ses relations rompues après la loi de 1905.

M. Nesme a raison de souligner l'importance du phénomène qui se déroule en Russie. La mort du patriarche de toutes les Russies, Alexis, auquel a succédé le patriarche Kirill, coïncide avec une montée significative de la visibilité de l'orthodoxie en Russie. Pour la première fois depuis la révolution russe, l'enseignement de la religion orthodoxe est devenu obligatoire dans de nombreuses régions. Tout un courant souhaite que l'identité russe se fonde sur le substrat religieux national représenté par l'orthodoxie.

Nous constatons une tendance similaire en Inde, où l'indianité passe de plus en plus, aux yeux de factions radicales, par l'hindouisme. Cela ne manque pas de provoquer de grands états d'âme au sein de l'islam indien, qui, malgré la partition initiale avec le Pakistan sur une base religieuse, représente 110 à 120 millions de personnes sur 1,2 milliard d'Indiens.

La répercussion internationale du débat sur la burqa n'est pas sans nous poser des problèmes. Nos postes à l'étranger nous alertent sur ce sujet. Les réactions à cette question dans certains pays ne sont pas bonnes. Il est clair que toute loi ou décision aura des implications au plan international. Nous avions préparé à l'intention de nos diplomates un argumentaire, dans lequel nous nous employions à respecter le travail parlementaire et à expliquer de la meilleure façon possible la volonté nationale. Cela ne veut pas dire que nous serons compris dans le monde, et parmi nos amis européens eux-mêmes certains ne nous comprennent pas. Nous n'en défendons pas moins les positions de la représentation nationale et la philosophie d'une démocratie pour qui la laïcité est un important aiguillon institutionnel, y compris pour l'intégration des citoyens.

L'année 1979 est en effet un tournant, monsieur Labaune, avec l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques, la révolution iranienne, et aussi le doublement du prix du pétrole.

Enfin, vous avez raison de distinguer les courants « intégralistes » de certaines religions, qui veulent l'application immédiate de toutes les prescriptions religieuses dans l'État. Cela dit, le seul État qui fasse de la religion son unique point de repère idéologique, aussi bien dans l'organisation de son administration ou de sa justice que dans ses relations internationales, c'est l'Iran. La Constitution de ce pays permet au Guide suprême de discréditer une loi votée par le Parlement : dès lors qu'il lui appartient de la faire appliquer, il peut l'écarter s'il considère qu'elle n'est pas conforme à la charia.

Bref, la religion est souvent un prétexte fallacieux – mais porteur et mobilisateur – pour s'emparer de questions qui ne sont pas religieuses.

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