La coexistence des secteurs public et privé est une chance pour la France. Elle est enviée par tous et reste inégalable : nous sommes le seul pays de l'OCDE qui arrive à conjuguer la solidarité à l'extrême – avec l'aide médicale d'État – et la liberté de choix du patient.
Cette coexistence a été rendue possible par le grand dynamisme du secteur privé depuis quarante ans, d'abord à l'initiative des praticiens libéraux. Tout le problème de ce secteur, qui a connu une mutation considérable depuis les années 1980, est de rationaliser l'offre de soins pour la mettre en adéquation avec la demande de soins. À l'inverse de l'hôpital public, qui a toujours fonctionné comme un centre de coûts – au temps de la dotation globale du moins –, il ne peut investir que sur ses propres moyens de financement, en quête d'une efficience optimale.
Le rôle des pouvoirs publics, en l'espèce, est d'organiser la production de soins de qualité au meilleur coût possible. Il est établi que le secteur privé a montré la voie depuis une vingtaine d'années en se distinguant du secteur public par sa faculté d'anticipation et par sa réactivité. La base de son fonctionnement est le projet médical, dont chaque clinique est dotée et qui fixe des objectifs à cinq ou dix ans. Lors du débat sur la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, on a essayé d'étendre ce principe à l'hôpital public, malheureusement sans grand succès. Pourtant, toute l'organisation sanitaire des régions et des territoires dépend du projet médical, qui est d'abord construit par le corps médical.
Il faut désormais organiser l'ensemble des ressources, publiques ou privées, de façon à utiliser le mieux possible l'environnement de travail mis à la disposition des médecins. À partir du projet médical, on construit un projet d'entreprise qui nécessite une stabilité dans le temps. La force actuelle du privé est de disposer de ces projets à moyen terme, mais il nous manque la visibilité nécessaire.
Lorsque votre mission a demandé à M. Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France, ce qu'il fallait faire pour améliorer la gestion de l'hôpital, il a estimé que la seule variable d'ajustement était la masse salariale mais que, par définition, on ne pouvait y toucher, en raison des garanties statutaires. La réponse n'est donc pas là. Alors que tous les rapports – Cour des comptes, inspection générale des affaires sociales, directions régionales des affaires sanitaires et sociales… – établissent clairement que le secteur privé est le bon élève, qu'il montre la voie et est capable d'arriver au meilleur coût de production, le problème est maintenant de faire correspondre un tarif à ce coût. Or on sait que le coût de production est difficilement contrôlable dans le public. Si certains hôpitaux, en appliquant des méthodes du privé, réalisent un effort de gestion considérable et arrivent à dégager un excédent, les autres restent en déficit.
En l'état, la T2A ne correspond pas véritablement à la recherche du meilleur tarif adapté au véritable coût : c'est seulement un moyen de forcer l'hôpital public à s'améliorer. Repousser la convergence de 2012 à 2018 revient à donner du temps au temps mais sans visibilité sur un projet, faute de coercition ou de sanction. Le directeur d'hôpital pourra toujours répondre qu'il ne peut faire mieux, à moins de mettre des centaines de salariés dans la rue.
Le privé est accoutumé à optimiser l'utilisation de ses ressources, mais il est ici confronté au caractère arbitraire des tarifs fixés. La ministre de la santé a beau jeu de faire valoir un objectif national des dépenses de l'assurance maladie en progression de 3 % alors que tous les autres secteurs d'activité sont en crise, et de constater que nous arrivons à survivre. C'est prendre des risques. Le bon élève va se retrouver la tête sous l'eau, et cela à cause d'une marge de manoeuvre – la progression de l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie – qui n'est absolument pas significative pour ce qui est des tarifs. Pendant ce temps, les dotations au titre des missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation continuent de croître et protègent l'hôpital public au prétexte d'une différenciation des activités qui n'a plus aucune réalité.
Si, dans les années 1970 et 1980, les cliniques disposaient de l'atout du libre choix des pathologies, ce n'est plus le cas. Certaines sont devenues de petits CHU. Il faut qu'elles puissent continuer à montrer la voie pour rendre le meilleur service possible à la population. Or ce n'est pas le cas. On nous a indiqué il y a quelques jours que la loi permet certes de passer des appels d'offres, mais seulement « en cas de carence de l'hôpital public ». À chaque fois, on place un écran destiné à cantonner les cliniques dans un certain rôle, pour mieux affirmer par la suite qu'elles ne font pas la même chose que l'hôpital public !