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Intervention de Thierry Mariani

Réunion du 8 décembre 2009 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani :

Représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan, j'ai le statut de parlementaire en mission, comme mon prédécesseur Pierre Lellouche. Ma mission ayant débuté mi-juillet, elle s'achèvera en janvier. Une durée de six mois est un peu courte pour une telle mission.

Je suis très heureux de venir vous expliquer le sens de mon action mais, avant d'ouvrir la discussion, je tiens évidemment à saluer la mémoire de nos 36 soldats tombés en Afghanistan depuis le début de notre intervention militaire dans ce pays, en 2001. Je souhaite aussi rendre hommage à tous ceux qui ont été ou sont déployés sur le théâtre afghan, dans des conditions difficiles et éprouvantes. Ils portent haut les couleurs de la France et sont le signe de l'engagement de notre pays aux côtés de ses alliés pour lutter contre l'obscurantisme et donner aux Afghans un avenir meilleur, après 30 années de guerre pratiquement ininterrompue.

Je ne me substituerai pas au ministre de la défense en me lançant dans une explication détaillée de notre intervention militaire en Afghanistan ; ce n'est ni mon rôle ni le sens de ma fonction de représentant spécial. J'insisterai plutôt sur quelques points qui me semblent particulièrement importants et je vous montrerai que notre action en Afghanistan est globale : son but est de donner au plus vite aux Afghans les moyens de prendre leur destin en main.

L'Afghanistan est un théâtre bien particulier, différent de ceux que nos forces ont pu connaître en Afrique ou même dans les Balkans au cours des vingt dernières années. Pourtant, certaines constantes demeurent ; elles ont pour traits principaux la grande qualité des hommes, leur foi réelle dans la mission et un état d'esprit mêlant ouverture aux autres et volonté d'aller au contact des populations.

Vous le savez, notre dispositif militaire a considérablement évolué depuis le 1er novembre. Ce changement répond à une double logique : la recherche d'une meilleure cohérence opérationnelle pour nos forces, ainsi que la création d'une zone d'effort combinée pour notre action civile et notre engagement militaire, point sur lequel je m'étendrai davantage.

L'évolution du dispositif n'a été rendue possible que grâce au succès que nous avons remporté au printemps dernier. Trop souvent occulté, le transfert de responsabilité de la région capitale aux autorités afghanes était en effet une condition préalable à notre redéploiement. Or, ce transfert est effectif : les Afghans assurent la sécurité de Kaboul, ils l'ont montré pendant la période délicate des élections.

Aujourd'hui, notre dispositif est donc intégralement concentré dans la province de Kapisa et le district de Surobi. Il est désormais plus cohérent en termes d'emploi et de soutien. Cette réorganisation est le gage d'une efficacité renouvelée de nos forces dans cette province et ce district, cruciaux pour la sécurité de Kaboul et la circulation entre le Pakistan et la capitale afghane. De surcroît, il s'agit d'une carte de visite pour la France, car nos actions militaires et civiles y sont totalement imbriquées.

Dans un monde idéal, l'action civile suit l'action militaire. Après avoir peu ou prou pacifié une zone, au besoin par la force, et avant une normalisation définitive, l'intervenant cherche à mener une oeuvre de reconstruction et développement. Cette approche correspond à celle de Gallieni, qui la décrit en ces termes dans ses Lettres de Madagascar : « L'action militaire est la chose primordiale mais non la principale. L'affaire importante, c'est l'organisation politique et administrative. On ne doit détruire qu'à la dernière extrémité, et, dans ce cas encore, ne détruire que pour mieux reconstruire. ».

Aujourd'hui, les deux phénomènes sont étroitement imbriqués. Le chef de corps du 3e RIMa me le disait il y a quelques mois, alors que je me rendais pour la première fois en Kapisa : on ne peut imaginer atteindre une sécurité parfaite sans apporter le développement. Ces deux actions vont de pair : l'action de développement, y compris dans des zones qui ne sont pas complètement sécurisées, est un préalable à la stabilisation en complément des actions menées par les forces. C'est bien ainsi que cherchent à travailler nos soldats et nos équipes civiles dans la zone de Kapisa et Surobi.

Vous pouvez imaginer que cela rend les choses bien difficiles et autrement moins confortables que s'il s'agissait de ramener la sécurité en détruisant un ennemi avant de reconstruire. Nous devons agir de concert, reconstruire tout en sécurisant. Notre adversaire inscrit son action dans la durée et s'appuie sur les frustrations de populations pour se régénérer sans cesse. Il faut donc le contenir tout en donnant aux populations des raisons d'espérer. En améliorant les conditions de vie des uns, on peut réduire l'influence des autres. L'interaction est permanente et elle nécessite une coordination exemplaire entre les efforts militaires et de reconstruction-développement.

C'est tout l'enjeu de notre engagement en matière d'aide civile, souhaité par le Président de la République. En 2009, sur 25 millions d'euros d'aide additionnelle, 15,2 millions d'euros ont été ciblés vers les zones de déploiement de nos troupes, le reste étant affecté au Pakistan, à hauteur de 2,3 millions, ou à des projets dans Kaboul, à savoir la réhabilitation des lycées franco-afghans et l'abondement du fonds fiduciaire de reconstruction de l'Afghanistan.

L'objectif premier de notre stratégie était d'améliorer les conditions de vie des populations locales, qui, comparativement à d'autres, n'ont reçu que peu d'aide de la part des acteurs internationaux et n'en perçoivent pas les effets dans leur vie quotidienne.

II fallait agir avec les Afghans – d'où le terme « afghanisation » –, dans le cadre des priorités identifiées lors de la conférence de Paris de juin 2008, à savoir l'agriculture et le développement rural en répondant aux demandes des autorités et des populations, puis en les faisant participer le plus possible.

Nous souhaitions aussi nous engager dans des projets durables afin de renforcer les capacités locales, en veillant à la formation des bénéficiaires de l'aide.

Enfin, une importante coordination civilo-militaire a été amorcée depuis le début de ces opérations : les forces ont été impliquées dans la préparation des activités de développement et des projets de réhabilitation des infrastructures rurales sont entrepris, de concert avec les unités chargée des actions civilo-militaires (CIMIC) des contingents français de la force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS).

Un programme d'actions de développement complet a été mis en oeuvre sur le terrain. Nous contribuons pour huit millions d'euros au programme national de solidarité, qui consiste à faire réaliser par les communautés locales de petits projets d'infrastructure décidés collectivement, sous la supervision d'une organisation non gouvernementale facilitatrice. Nous consacrons quatre millions d'euros à un plan d'action agricole visant à distribuer des semences de blé et d'engrais à 20 000 fermiers, à fournir des ruches et des poulaillers à 4 000 familles pauvres, à construire des fermes piscicoles et à planter 100 000 arbres fruitiers. Nous coopérons à hauteur de deux millions d'euros avec des ONG qui mènent des actions à impact rapide et haute intensité de main-d'oeuvre pour réhabiliter de petites infrastructures rurales comme des terrasses ou des sources obstruées. Nous participons à des actions dans le domaine de la santé, en lien avec l'hôpital Mère-enfant de Kaboul, parmi les meilleurs de la région, et la fondation de l'Agha Khan, pour 0,1 million d'euros, afin de soigner une centaine d'enfants de Kapisa et de Surobi qui souffrent de malformations nécessitant une chirurgie réparatrice lourde. Pour un montant de 120 000 euros, nous cofinançons avec la commission européenne la construction de 19 postes de police.

Notre premier résultat est d'avoir réussi à toucher plus de 24 000 personnes en moins de six mois, ce qui ne s'était jamais produit auparavant. Entre les décisions de financement, en mai 2009, et la mise en oeuvre effective des programmes, en juillet 2009, il s'est écoulé trois mois, record administratif en matière d'aide au développement. La mobilisation des équipes de l'ambassade, du ministère des affaires étrangères, du ministère de la défense et de l'agence française de développement (AFD) a été exemplaire.

Ces premières actions connaissent un succès important et des taux de réalisation très appréciables, supérieurs à 50 % pour la plupart des opérations. Une progression beaucoup plus lente de l'ensemble des projets est cependant observée dans les zones les plus difficiles, notamment les districts de Tagab et d'Alassaï de la province de Kapisa, où la sécurité fait actuellement défaut.

Ces opérations ont permis à nos équipes de s'implanter dans des zones difficiles, à travers des actions à impact rapide, tout en travaillant sur la durée, avec des formations au profit d'agriculteurs, de communautés, de fonctionnaires ou du ministère de l'agriculture. À cet effet, depuis le début de l'été, nos équipes présentes sur place ont été renforcées, à l'ambassade, avec le recrutement du chef de projet en Kapisa et Surobi, comme au ministère afghan de l'agriculture, avec le recrutement d'un chef de projet et l'intégration de 17 personnels techniques dans l'équipe du bureau de la coopération française en place dans ce ministère.

Il convient maintenant d'ancrer notre présence en Kapisa et Surobi en continuant à mener de front actions à impact rapide et travail de fond, afin de stabiliser et de structurer la société locale, c'est-à-dire de poser les bases qui permettront notre retrait militaire à moyen terme.

Aux côtés des forces armées, nos équipes travaillent aujourd'hui sur plusieurs pistes pour 2010 et au-delà pour identifier la manière dont l'aide aux populations peut soutenir la stabilisation de nos zones, quand l'effort militaire de sécurisation permet de maintenir la pression sur les insurgés.

Il s'agit d'abord de pérenniser notre engagement en matière d'agriculture et de développement rural, à travers nos équipes au ministère de l'agriculture afghan, par des partenariats avec des ONG, mais également en accompagnant des programmes nationaux de soutien aux activités économiques, rurales et agricoles.

Nous devons aussi agir en faveur de l'éducation, avec un programme de formation des instituteurs. Si, aujourd'hui, tous ne possèdent pas le niveau d'instruction requis, ils n'en sont pas moins des relais d'opinion incontournables.

Il importe ensuite d'initier les premières actions en faveur de l'électrification rurale, en coopération avec nos partenaires allemands, dont nous avons d'ores et déjà obtenu le soutien pour le lancement d'une étude. L'accès à l'électricité est une demande récurrente des populations locales mais il s'agit de projets complexes et coûteux. D'une façon générale, notre engagement n'est pleinement efficace qu'avec le soutien d'autres bailleurs.

Enfin, nous devons agir dans le domaine de la santé.

Ce travail se conjugue avec une recherche de partenariats, notamment financiers, pour partager le poids de la coopération. De ce point de vue, nous nous situons aux alentours de la quinzième ou de la seizième place mondiale ; nos moyens sont notablement insuffisants. Nous avons donc approché plusieurs partenaires, à commencer par le Japon ainsi que certains pays musulmans notamment, le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan.

Il sera nécessaire de conserver un volume d'aide important si nous voulons continuer à exercer une influence positive dans cette zone, permettant de la stabiliser rapidement. La décision d'octroyer 20 millions d'euros d'aide additionnelle en faveur de l'Afghanistan et du Pakistan dans le projet de loi de finances pour 2010 représente un pas significatif vers un engagement durable de notre pays, qu'il faudra consolider à l'avenir.

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