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Intervention de Michel Miné

Réunion du 5 mai 2009 à 16h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des Arts et Métiers :

Il faut souligner que des sanctions existent même si elles ne sont pas spécifiques : l'idée selon laquelle il n'y en aurait pas, est fausse. Si une entreprise ne respecte pas l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un travail de valeur égale, le code du travail prévoit des sanctions civiles et pénales. Et, quand les juridictions sont saisies, ces sanctions sont appliquées.

Très récemment, une entreprise a été condamnée pour discrimination sexuelle en raison de la prise en compte des congés de maternité dans le déroulement de carrière. La Cour de cassation a rendu un arrêt très important (chambre sociale, 16 décembre 2008, AFPA) dans cette affaire où la femme s'était vue refuser, à fonction équivalente, la même classification et la même rémunération que les autres salariés au motif qu'elle avait été recrutée comme sténodactylo alors que ses collègues, masculins, avaient des diplômes d'informaticien. L'employeur n'ayant pu apporter la preuve qu'un diplôme obtenu dans le passé suffisait pour apporter au travail effectué une valeur ajoutée supérieure, la Cour en a déduit qu'il n'y avait pas de justification à la différence de rémunération. Elle a donc confirmé le jugement de la cour d'appel qui avait condamné l'entreprise à reclasser la salariée et à effectuer un rappel de salaire de plus de 241 000 euros.

Cette affaire met en lumière des modes de raisonnement qu'il faut mettre en oeuvre. Les sanctions existent et, en outre, les juridictions civiles, en application de la jurisprudence communautaire, octroient non seulement des dommages et intérêts, mais opèrent une « réparation intégrale », c'est-à-dire qu'elles procèdent à des requalifications, des modifications de contrat de travail et de rémunération. Elles replacent la personne dans la position qui aurait dû être la sienne si l'acte discriminatoire n'avait pas eu lieu.

La question est de savoir pourquoi il y a si peu de recours.

Le premier point consiste d'abord à mieux cerner les processus discriminatoires.

Il faut pouvoir identifier les discriminations sexuelles dans l'entreprise et d'abord comprendre que la règle d'égalité des rémunérations vaut pour un travail de valeur égale. C'est ce que prévoient la Constitution de l'OIT de 1919 et sa convention sur l'égalité de rémunération de 1951, l'article 141 du traité d'Amsterdam depuis 1997, la directive communautaire de 1975, la loi française depuis 1972. « À travail de valeur égale, salaire égal ». Ce point est capital et fonde de nombreuses décisions de justice.

Il ne s'agit pas de savoir s'il s'agit du même travail. Bien sûr, les hommes et les femmes ne font pas le même travail car le marché du travail est sexué. Bien sûr, au sein d'une même entreprise, les hommes et les femmes n'ont souvent pas les mêmes tâches, quand bien même ils auraient les mêmes fonctions. La question est de savoir si ces tâches différentes sont de valeur égale. Et en cas de rémunération inégale c'est à l'entreprise de démontrer qu'elles ne le sont pas. Si elle ne le peut pas, cela montre a contrario qu'une disparité de rémunération ne se justifie pas. Qu'il n'y ait pas de malentendu : devant le juge civil, il n'y a pas de recherche d'intention, la discrimination peut ne pas être volontaire, mais simplement le fruit des habitudes.

Deuxième point à prendre en compte, l'appréciation des situations dans le temps. Au lieu de se contenter d'une photographie à un moment donné, il faut faire le film, comme au cinéma, du déroulement des carrières et comparer leurs évolutions. Or on le fait peu. Les indicateurs, tels que la durée moyenne entre deux promotions, qu'il est prévu de suivre dans la nouvelle version des rapports de situations comparées marquent une première étape, mais ne sauraient suffire. Replacer l'évolution des carrières dans le temps, mettra en évidence, un peu partout, des plafonds de verre, dont on ne soupçonne pas toujours l'existence. On connaît celui qui bloque l'accès des femmes aux fonctions de cadre supérieur, de direction et à la gouvernance des entreprises. Mais il en existe aussi dans les filières très féminisées. Au bout d'un certain nombre d'années, des femmes aux compétences reconnues n'ont plus aucune perspective de carrière et elles plafonnent très rapidement. Ces cas de figure sont beaucoup plus rares dans les professions très masculinisées, sans doute à cause du mode d'élaboration des grilles de classification : description de postes et critères des emplois. Cela signifie que le problème de l'égalité salariale ne sera pas réglé tant que ces grilles n'auront pas été retravaillées et que leurs critères n'auront pas été passés au peigne fin.

Troisième point, l'évaluation des professions très féminisées. Très longtemps, on a estimé qu'il ne pouvait pas y avoir de discrimination dans ces professions. Mais le droit communautaire, en s'inspirant de dispositifs en vigueur dans d'autres pays, nous conduit à nous demander comment ces emplois seraient traités s'ils étaient occupés par des hommes. Les cabinets spécialisés dans les bilans de compétence sont en mesure d'identifier les compétences que ces emplois exigent, et de les évaluer de la manière la plus objective possible en cherchant à se débarrasser de tous les stéréotypes sexués. Faute d'avoir accompli ce travail en amont, il ne sera pas possible ensuite de réévaluer les emplois au regard de la grille de classification qui existe dans la branche et ils seront oubliés.

Pour attaquer ces trois chantiers, il faut que ceux qui négocient dans l'entreprise – l'employeur et les délégations syndicales – aient été préalablement formés. Sinon, ils passeront à côté du sujet, même avec la meilleure volonté du monde. Toute une série d'arguments qui sont présentés pour expliquer la différence de traitement– la différence de travail, de diplôme,…– ne résistent pas à l'analyse. Ils continuent pourtant à être utilisés, malgré les quelque 200 décisions rendues par le juge communautaire depuis le début des années soixante-dix. Tout le monde ne peut pas les connaître, évidemment, mais l'enjeu est de taille. La chaire de droit social du CNAM propose un cycle de formation sur ces questions puisque les négociateurs ont besoin d'être formés. À défaut, ils concluront des accords dépourvus de véritable portée.

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