Il me semble que les membres de la mission, quelle que soit leur sensibilité, s'accordent à trouver intolérable le port du voile intégral. Qu'il s'agisse de salafisme tendance wahabite, ou de talibanisme pour ce qui concerne la burqa, cette pratique est la marque d'idéologies barbares. C'est aussi une violence faite aux femmes, ainsi qu'une atteinte au principe de fraternité, qui impose l'échange et la reconnaissance de l'autre. Enfin, et accessoirement, cela pose un problème de sécurité, par le biais de l'identification.
Ne jouons pas avec les mots : si cette pratique est intolérable, il ne faut pas la tolérer. Il faut donc l'empêcher, et probablement l'interdire. La question que nous nous posons depuis le début de nos travaux est de savoir comment l'interdire intelligemment.
Autre point sur lequel nous sommes d'accord : nous parlons bien du port du voile intégral dans l'espace public, et non dans les services publics. J'estime en effet que nous disposons déjà de tous les moyens juridiques pour interdire cette pratique au sein des services publics comme nous l'avons fait au sein de l'école. Je pense notamment aux arrêts du Conseil d'État justifiant le refus la nationalité pour défaut d'assimilation. Peut-être faudrait-il veiller à mieux appliquer le droit en vigueur.
J'exprimerai toutefois des nuances à l'égard des propos tenus par les ministres. Ainsi, je suis réservé à l'égard de l'affirmation obsessionnelle – déjà formulée par le Président de la République à Versailles – selon laquelle cette pratique n'a rien à voir avec la religion. Comme l'a dit devant nous un philosophe, il faudrait arrêter d'exempter les religions de toute responsabilité dans leurs dérives intégristes. C'est comme si l'on disait que le hooliganisme n'a rien à voir avec le football, ou le dopage rien à voir avec le Tour de France. Nous devons mettre les gens devant leurs responsabilités !
En outre, il y a contradiction à affirmer tout à la fois, comme vous le faites, Monsieur le ministre de l'Intérieur, que le port du voile intégral n'est pas un signe religieux, mais que son interdiction pourrait porter atteinte à la liberté d'opinion religieuse, et que la République n'entend pas gouverner la conscience. Dire cela, je le reconnais, ne fait pas beaucoup avancer notre débat, mais la nuance n'est pas négligeable.
De même, vous affirmez ceci : « Les communautés, oui ; le communautarisme, non. » Mais, dans la construction de la philosophie républicaine, les seules communautés qui aient été tolérées et reconnues sont les communautés nationales, et non religieuses. Les deux ne peuvent être confondues. En France, je peux reconnaître les communautés algérienne, marocaine, tunisienne, italienne, espagnole, polonaise, parce que la République s'est historiquement fondée sur la présence, sur notre sol, de communautés nationales venant de l'étranger.
En ce qui concerne le sens donné à cette mission parlementaire, j'ai également des nuances à exprimer, car je suis de ceux qui considèrent que nous avons regardé le problème par le tout petit bout de la lorgnette mais ceci dit, nous avons tiré un fil, découvrant à son bout des questions beaucoup plus vastes ; je le regrette mais c'est comme ça.
Enfin, Monsieur Darcos, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez qu'il s'agit de restreindre une liberté générale. Interdire une pratique qui constitue une violence faite aux femmes, c'est protéger une liberté, celle de ne pas porter ce voile. Des millions de femmes, à travers le monde, attendent d'être libérées de cette contrainte.
J'en viens à mes questions. De nombreuses personnes auditionnées, représentants du monde musulman, philosophes, sociologues, ont soulevé la difficulté à laquelle nous sommes confrontés : nous voulons éviter de montrer du doigt une catégorie de femmes, en l'occurrence les femmes musulmanes qui portent le voile intégral, que ce soit sous l'influence salafiste ou talibane, de leur propre gré ou sous la contrainte – j'avoue que la distinction m'intéresse assez peu. Êtes-vous d'accord avec l'idée selon laquelle une mesure d'interdiction du port du voile intégral dans l'espace public comporterait le risque de stigmatiser une certaine catégorie de personnes ? Et, si c'est le cas, quel véhicule législatif préconisez-vous ? Pour ma part, j'en envisage trois.
Après plusieurs voyages en Afghanistan, j'ai fait diffuser aux membres de la mission le document officiel détaillant les droits et devoirs des femmes sous le régime taliban. Ce document, de même que le port du voile intégral, est l'expression d'une idéologie barbare. La République ne pourrait-elle pas combattre de telles idéologies et les traditions qui leur sont associées comme elle combat le racisme et l'antisémitisme ?
Mais, pour ne pas stigmatiser une certaine catégorie de femmes, le mieux serait de s'adresser à toutes les femmes. Or une mission parlementaire vient justement d'effectuer un travail remarquable sur l'ensemble des violences faites aux femmes dans la société française. Nous souhaiterions que la proposition de loi déposée à partir de ses conclusions vienne en discussion le plus rapidement possible. Et, dans la mesure où l'amputation de l'identité d'une femme est une violence exercée à son égard, une disposition sur le port du voile intégral ne trouverait-elle pas sa place dans ce texte ?
M. Guy Carcassonne et un certain nombre de constitutionnalistes nous disent que le fondement juridique le plus sûr d'une interdiction du voile intégral serait la défense de l'ordre public. Mais le Parlement ferait preuve d'une bien piètre ambition en résumant cette question à un problème de sécurité. Certes, la question de la sécurité se pose – y compris, d'ailleurs, de la sécurité routière, dans la mesure où une conductrice qui porterait un voile intégral aurait un angle de vision restreint –, mais il ne serait pas très glorieux de recourir à cet argument.