Vous semblez donner une valeur très positive à la nudité. Or les pays d'Europe ne partagent pas le même rapport à la nudité. Les Allemands sont très nudistes. En Allemagne, des plages sont consacrées à la nudité. Les Français ne se reconnaissent pas dans cette tradition. Les réflexes des Polonais à l'égard des plages nudistes sont ceux d'une pudeur catholique très poussée. Avec les soldats nus de notre civilisation occidentale, femmes et hommes, l'Europe est en train d'inventer un mythe pour créer une altérité par rapport à l'islam.
J'ai aussi lu que, dans la civilisation islamique, le voile a été prescrit pour distinguer les femmes musulmanes des esclaves. Pour chaque société, la civilisation commence avec l'habillement.
Cela dit, le vêtement, c'est aussi la mode. En France notamment, la mode est l'un des moyens de dédramatiser ce type de conflits. À Dubaï a été créée la marque de lunettes de soleil BQ, comme burqa. Ce n'est pas une plaisanterie. L'esthétisation des formes, qu'il s'agisse des mosquées, des minarets ou du voile, montre une entrée dans les sociétés dites modernes.
Je n'ai pas dit que le voile était la marque de l'irruption du sacré dans l'espace public, sous l'effet d'un prosélytisme gravement dangereux qui nous défierait. Au contraire, mes propos n'épuisent pas le sens de ces conduites très complexes. J'ai simplement voulu tisser, en suivant votre canevas, une argumentation montrant que l'un des enjeux du port du voile était une politique de pudeur. Le débat public dans la société me semble dramatiser et surpolitiser la question du voile : derrière le foulard sont cachés les Frères, derrière la burqa le fondamentalisme wahhabite et l'Arabie saoudite… J'ai, au contraire, appris de mon expérience de la démocratie qu'il fallait dédramatiser, et laisser libre cours à l'expérimentation sociale et à l'innovation. Aujourd'hui en Turquie, le voile, le hijab sont fashion. Cela n'est pas si politique.