Cette convention vise principalement à intensifier les actions de formation des forces de police libyennes que mènent depuis 2007 les autorités françaises. Elle permet aussi de compléter cette coopération technique par une coopération opérationnelle.
Il peut apparaître surprenant que la France ait signé, le 10 décembre 2007, une convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée avec la Libye, un Etat qui était, il y a quelques années encore, accusé d'avoir commandité des attaques terroristes contre des pays occidentaux. Ce paradoxe apparent reflète en fait le changement d'orientation de la politique libyenne. Je ne reviendrai pas ici en détail sur le processus de réintégration progressif de la Libye dans la communauté internationale, qui s'est principalement déroulé entre 2003 et 2007 et s'est achevé avec la libération des infirmières et du médecin bulgares en juillet 2007, puis avec la conclusion d'un accord d'indemnisation des victimes américaines d'actes de terrorisme, le 14 août 2008.
Les choses se sont accélérées depuis : les négociations en vue de la signature d'un accord-cadre entre l'Union et la Libye ont commencé en novembre 2008 ; les Etats-Unis ont envoyé un ambassadeur en Libye ; cette dernière a été élue membre non permanent du Conseil de sécurité pour la période 2008-2009 et c'est l'un de ses ministres qui a présidé la 64ème Assemblée générale des Nations unies, à l'occasion de laquelle le Colonel Kadhafi s'est exprimé le 23 septembre dernier, pour la première fois depuis son accession au pouvoir, en 1969. Pendant l'année 2009, il préside en outre l'Union africaine, dont la Libye a accueilli le sommet en juillet dernier.
La France a fortement contribué à l'accélération de cette évolution. Le jour même de la conclusion de l'accord d'indemnisation des familles des victimes de l'attentat du DC 10 d'UTA, le 9 janvier 2004, a été signée une déclaration conjointe des ministres des affaires étrangères des deux Etats indiquant que la France était prête à accompagner la Libye dans son effort de modernisation et de réforme en profondeur de son système économique, afin de faciliter son insertion dans la communauté internationale.
Depuis lors, les visites ministérielles croisées ont été nombreuses. Les 24 et 25 novembre 2004, le Président Chirac avait effectué une visite officielle en Libye ; le Président Sarkozy a fait de même, les 25 et 26 juillet 2007, au lendemain de la libération des infirmières et du médecin. Une nouvelle déclaration conjointe ministérielle a alors été signée, insistant sur la volonté « de donner un nouvel élan aux relations bilatérales et de bâtir un partenariat stratégique entre les deux pays ».
Le Colonel Kadhafi a lui-même fait une visite officielle en France du 10 au 12 décembre 2007, à l'occasion de laquelle il a été reçu à l'Assemblée nationale. C'est dans le cadre de cette visite qu'a été signée cette convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité.
Le développement de la coopération dans ce domaine est rendu particulièrement nécessaire par la situation géographique de la Libye, qui est une zone d'implantation des filières jihadistes qui rejoignent facilement la zone afghano-pakistanaise, l'Iraq, ou les maquis d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Elle est de plus en plus un pays de transit pour le trafic de stupéfiants, mais aussi pour des centaines de milliers de migrants venus des pays voisins et désireux de rejoindre l'Europe par voie maritime.
La Libye a conclu des accords bilatéraux de coopération en matière de sécurité avec plusieurs pays africains (Egypte, Tunisie, Maroc, Niger, Mali, Algérie, Tchad et Soudan) et quelques pays européens (Royaume-Uni, Espagne, Italie). Depuis 2007, la France participe à la création d'une unité libyenne du même type que le RAID et dispense régulièrement des formations à des policiers libyens, en matière de sûreté aéroportuaire et de lutte contre la cybercriminalité, par exemple.
La convention va donc constituer le cadre normatif dans lequel ces actions de coopération bilatérale pourront se développer. Son champ d'application est vaste. Il inclut la lutte contre les différentes formes de criminalité organisée, mais aussi contre l'immigration irrégulière et la traite des êtres humains, et tout un volet relatif à la protection civile.
Trois articles portent plus particulièrement sur la coopération opérationnelle en matière de lutte contre la criminalité internationale, contre le terrorisme et contre la drogue. Ils prévoient des échanges d'informations sur les réseaux criminels et les méthodes qu'ils utilisent, ainsi que des échanges d'échantillons ou d'objets.
Comme toujours dans ce type d'accords, les échanges se font dans le respect des législations nationales et les Etats peuvent refuser de coopérer dans plusieurs situations : si un Etat estime une demande contraire à sa législation nationale ou attentatoire aux droits fondamentaux de la personne, ou s'il juge que son acceptation porterait atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à l'ordre public, aux règles d'organisation et de fonctionnement de l'autorité judiciaire ou à d'autres intérêts essentiels de son Etat. Ces formulations laissent donc une marge de manoeuvre importante aux Etats pour refuser une demande qui leur semblerait inopportune.
La convention franco-libyenne se distingue en revanche du modèle sur trois points principaux afin de tenir compte des spécificités de la situation libyenne : d'une part, l'accent est mis sur la formation et l'échange d'expériences, afin d'aider les forces de l'ordre libyennes à rattraper leur retard par rapport aux pratiques de notre pays ; d'autre part, la convention ne comporte pas certaines stipulations car la Libye ne remplit pas les conditions nécessaires à leur mise en oeuvre. En particulier, la convention ne comporte aucune stipulation relative à l'échange de données personnelles dans la mesure où la législation libyenne n'offre pas les garanties nécessaires à leur protection. La convention ne prévoit pas non plus la mise en place d'un organe de suivi, mais c'est parce qu'il existe déjà un comité de suivi de la coopération en matière de sécurité intérieure franco-libyenne créé en 2005.
J'ai interrogé le ministère des affaires étrangères et européennes sur la possibilité d'accueillir des élèves libyens dans les écoles françaises de formation des policiers et des gendarmes : il m'a répondu que, si cette éventualité n'était pas mentionnée expressément dans la convention, elle n'en était pas pour autant exclue puisque la coopération technique peut prendre la forme de l'accueil réciproque de fonctionnaires et d'experts : les fonctionnaires stagiaires des écoles de formation libyennes et françaises pourraient bénéficier de tels échanges. C'est même déjà le cas à l'école des officiers de la gendarmerie nationale de Melun.
La France et la Libye ont beaucoup à gagner à intensifier leur coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée. La Libye a besoin de disposer de forces de sécurité mieux formées et organisées et à même d'utiliser des méthodes de travail modernes ; en l'y aidant, notre pays contribue à réduire les flux de migrants clandestins – qui sont traités très durement en Libye –, le trafic de stupéfiants et l'action des mouvements terroristes qui transitent par la Libye.
La partie libyenne a ratifié la convention le 30 juillet 2009.
Le Sénat ayant adopté le présent projet de loi le 15 octobre dernier, le gouvernement français pourra procéder à la ratification dès que notre Assemblée aura fait de même. Je vous recommande donc l'adoption du présent projet de loi.