Je n'ai pas dit que l'on pourrait fonder une telle interdiction sur le concept de dignité, sur lequel il y aurait beaucoup à dire. J'ai simplement précisé que la Cour européenne des droits de l'homme, pour protéger la femme, utilisait quelquefois le concept de dignité, mais que, quelquefois, elle ne le faisait pas.
Est-ce que l'ordre public pourrait constituer un troisième élément ? Du point de vue de la technique du droit de la Convention, la question ne se pose pas exactement de cette manière-là. Pour savoir si un droit reconnu par la Convention, en l'occurrence le droit à la liberté de religion, a été violé ou non, il faut respecter une démarche en trois temps. Premièrement, il faut vérifier si l'ingérence dénoncée était prévue par la loi. Il peut s'agit de la loi votée par le Parlement, ou d'un avis du Conseil d'État renvoyant à un règlement intérieur, comme on l'a vu précédemment. Deuxièmement, il faut vérifier si cette ingérence prévue par la loi poursuivait un but légitime. Parmi les buts légitimes, figure la protection de l'ordre public. Troisièmement, il faut que cette mesure, prévue par la loi, poursuivant un but légitime, soit proportionnée – on parle du contrôle de proportionnalité. Dans ces questions de port du voile et de laïcité, les États disposent d'une marge d'appréciation extrêmement large. Mais, pour que l'on considère que la mesure est proportionnée, il faut qu'elle obéisse à un but social impérieux. Or, et c'est un des reproches formulés par Mme Tulkens, jamais, dans les arrêts que je vous ai cités, la Cour n'a démontré en quoi il y avait une nécessité sociale impérieuse d'interdire telle ou telle pratique. C'est un des éléments de la discussion qui est encore en cours.