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Intervention de Tariq Ramadan

Réunion du 2 décembre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Tariq Ramadan :

Emploierais-je un triple discours que votre devoir de responsable politique serait encore de m'entendre !

La pression dans les quartiers existe. Il ne s'agit pas de la nier mais il faut savoir la mesurer à sa juste proportion.

Notre travail pédagogique est un travail à long terme, mais il porte ses fruits. Nous n'avons pas échoué, loin de là. Le discours majoritaire, relayé par les nouveaux leaderships, en particulier féminins, est de dire « nous sommes des Français, nous respectons la loi, nous sommes loyaux ». Votre autorité et votre responsabilité politiques doivent vous porter à distinguer l'arbre de la forêt, à ne pas confondre les comportements visibles et les courants de fond.

Je réponds clairement aux questions que vous m'avez posées, Madame Robin-Rodrigo : oui, ces femmes font l'objet de pressions, de la part des hommes, mais aussi du contexte socio-culturel dans lequel elles vivent, lié à la ghettoïsation sociale. Toute la question est de savoir comment l'on s'en sort. Loin de représenter un facteur d'émancipation pour ces femmes, une loi qui s'ajouterait à ces pressions les conduirait à un double isolement. Cette pratique constitue-t-elle une atteinte au droit des femmes ? Oui. Restreint-elle la liberté des femmes ? Oui. Est-elle contraire à la dignité humaine ? Oui.

Je ne remets pas en cause la mission parlementaire ; je discute les termes du débat. Madame Ameline, je n'ai jamais dit que la loi réprime et interdit. Mais la loi a l'effet objectif de ce qu'elle cadre et l'effet subjectif de ce qu'elle traduit. De ce point de vue, passer par une loi traitant de l'extrême pour s'attaquer aux problèmes rencontrés dans les hôpitaux et dans les cantines sera contre-productif et ne sera pas entendu.

Dans des situations spécifiques, comme lorsqu'une personne va voter ou qu'elle est interpellée par la police, il est évident qu'elle doit montrer son visage. Ce n'est même pas une question. C'est une position que j'ai déjà soutenue au Canada. Cette interpellation ne doit simplement pas être discriminatoire mais doit avoir un sens pour la sécurité publique.

Je ne remets pas en cause la souveraineté de la France. Mais les lois françaises peuvent être discutées au niveau européen. Il est arrivé que la Cour européenne des droits de l'homme prenne des arrêts contre des législations nationales jugées discriminatoires. À cet égard, Monsieur Myard, huit juristes et constitutionnalistes européens ont une opinion contraire à la vôtre.

Madame Pau-Langevin, je n'ai pas dit que la loi ne suffirait pas et devait être accompagnée d'une démarche pédagogique ; j'ai affirmé que la loi était un mauvais moyen de traiter de cette question. Vous me dites qu'il faut agir afin que les Français de confession musulmane ne se sentent pas stigmatisés. Nous nous y employons depuis longtemps : je combats la pensée victimaire, je défends l'idée de post-intégration, une contribution active à l'avenir de ce pays. Mais convenez que tout ce remue-ménage autour de l'intégration et de la burqa peut donner l'impression au citoyen ordinaire que l'islam est un problème et qu'il est stigmatisé.

Nous avons tort de penser que la France serait en train d'échouer. Persévérons, allons de l'avant comme me disent certains maires. De ce point de vue, les dynamiques locales font beaucoup plus que les polémiques nationales. Nous avons déjà fourni des éléments de réponse : sur les hôpitaux, par exemple, notre position est de dire que rien, en islam, n'empêche une femme de consulter un médecin homme. Votre responsabilité est d'entendre nos réponses, de les connaître afin d'interpeller ceux qui s'en tiennent aux interprétations et aux traditions en cours dans leur pays d'origine.

Madame Grosskost, j'ai fait du respect des libertés de conscience et de culte la condition du respect de la loi, tout en précisant clairement que l'ensemble des lois de tous les pays occidentaux garantissaient ces principes. S'agissant des règlements, comme ceux qui prévalent dans l'entreprise, la flexibilité de l'islam permet qu'ils soient respectés : un employé pourra faire sa prière après son temps de travail.

Je ne serais pas venu ce soir si je n'avais entrevu des éléments positifs. Je considère que vous soulevez de bonnes questions, mais que l'approche est contestable. Si vous voulez lutter contre les pressions communautaires dans les cités et contre la nouvelle visibilité réactive, faites en sorte de vous allier avec les leaders musulmans pour une meilleure compréhension de l'islam. Ne culturalisez pas et n'islamisez pas les problèmes sociaux : les jeunes continueront à aller vers un islam de la fermeture tant qu'ils n'auront pas de travail, tant qu'ils n'auront pas accès à l'égalité. Ils sont vos concitoyens, et doivent être respectés en tant que tels. Vos concitoyens français de confession musulmane sont français ; il faut que vous l'entendiez.

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