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Intervention de Bertrand Eveno

Réunion du 9 décembre 2009 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bertrand Eveno, ancien PDG de l'Agence France Presse de 2000 à 2005 :

Claude Moisy a tout à fait raison de poser le problème ainsi, mais je pense qu'il faut aussi s'intéresser aux mécanismes de détail. Mes cinq années dans la maison m'ont donné beaucoup de bonheur, mais ont aussi fait porter un poids considérable sur mes épaules et je pense que certains aspects du fonctionnement concret de l'Agence se dégradent.

Il est à mon sens clairement nécessaire de lui donner un statut moderne. Le statut de 1957 avait un sens à l'époque. Il n'est pas idiot – seulement dépassé – et était même spécialement subtil, avec des mécanismes internes très intéressants. Il correspondait parfaitement à un monopole national monoproduit – le service à la presse écrite. Mais aujourd'hui, la société de l'information a un tout autre visage. Elle est internationale et comprend bien d'autres médias que la presse écrite, sans même parler du développement de l'information sur les téléphones mobiles par exemple. La modification de son statut doit donner à l'Agence une chance de se développer sur ces nouveaux marchés.

Mais il ne s'agit pas de couper le cordon avec la nation française et l'État. L'idée de privatiser l'entreprise n'a aucun sens, puisqu'elle n'est pas rentable. Aucun actionnaire n'y gagnera d'argent – mais une entreprise peut se développer avec un déficit chronique. L'agence est une mosaïque des contraires, il suffit de trouver son point d'équilibre. Il faut la développer dans le sens des nouveaux marchés : à l'international, avec des investissements en technologie et en hommes – rappelons que la masse salariale représente 70 % de son budget – et en concluant des partenariats équilibrés, dans les produits et les services. Mais il faut lui en donner les moyens.

Pour cela, il lui faut un conseil d'administration qui soutienne ce développement. A mon époque, et quelle que soit leur valeur par ailleurs, les membres du conseil n'étaient pas orientés vers cette question. Il y avait très peu de journalistes de rédaction et de représentants des nouveaux médias, et aucun représentant de l'international – pourquoi pas un Belge, un Canadien ou un Japonais dans le conseil d'administration ? Le PDG s'appuyait donc sur un conseil à la vision très étroite.

Je pense donc qu'il faut réformer le statut de l'AFP. Ce sera très difficile : il faut une loi pour cela, dont certaines dispositions seront soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Un principe fondamental me semble être que le projet de réforme ne soit pas partisan. C'est le seul moyen de respecter l'équilibre de l'Agence, qui tient notamment à son indépendance – et à celle de son président qui doit lui aussi être nommé de façon non partisane. Le statut de 1957 résultait d'un compromis historique entre les forces de l'époque : SFIO, MRP, indépendants, radicaux, UDSR et sans doute gaullistes. Il organisait un équilibre assez subtil, garanti par plusieurs éléments : l'article 2, le conseil supérieur, le PDG élu au premier tour avec beaucoup de voix, des représentants de l'État qui ne sont pas seulement des fonctionnaires, mais aussi des politiques… et enfin la présence de Jean Marin.

La bonne réforme ne sera donc pas le projet « Louette », même s'il fait un travail remarquable, ni celui du Président de la République, mais le projet de la nation. Dans un pays où l'on est capable de faire fonctionner une commission Juppé-Rocard ou Balladur-Lang, ce projet doit être un compromis entre toutes les forces politiques de la nation. C'est essentiel. L'Agence France Presse est une entreprise spéciale d'intérêt national – un peu comme la Comédie française, ou le Collège de France par exemple. Pour en traiter, il faut faire preuve d'un peu d'imagination. Ainsi que l'avait dit le professeur Rivero, le conseil supérieur de l'Agence devrait être une conjonction de professionnels et de sages – le tout béni par l'État et la représentation nationale. C'est cela qui permettra de faire du bon travail.

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