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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 8 décembre 2009 à 15h00
Débat sur l'identité nationale — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Je ne vous visais pas, monsieur Luca ; seulement, votre théorie n'est pas la bonne.

Ce sont ces cultures, disais-je, qui font la diversité de notre société, c'est-à-dire son dynamisme et sa richesse. La France telle que vous la concevez, monsieur le ministre, me paraît hors du temps, un peu comme l'homme africain dans l'idéologie coloniale, décrit de manière pour le moins inopportune par le Président de la République à Dakar.

En raison du poids de son héritage colonial et de son statut ancien de pays d'immigration, la France, moins que tout autre pays, ne saurait être réduite à l'identité étriquée que vous tentez de nous imposer. Ce pays correspond bien plus sûrement à un vaste espace d'affiliations multiples, plurielles et en interdépendance constante. La nation n'est donc pas une éternité mais le produit d'un métissage sans cesse renouvelé entre une multitude d'intérêts et d'appartenances sociales, culturelles et politiques qui ne s'excluent pas les unes les autres.

Dans l'espace de liberté qui est le nôtre, espace délimité par le respect de l'intégrité et la liberté de chacun, toutes ces affiliations et ces appartenances subjectives sont également légitimes : il ne vous appartient pas de dire celles qui sont conformes ou non à l'identité nationale, à moins de vous engager dans une voie extrêmement dangereuse, aussi bien pour nos libertés que pour la cohésion sociale.

Je n'ai pas pour référence ceux qui ont fait l'apologie des conquêtes coloniales et du prétendu droit des races supérieures sur les races inférieures – je veux parler de Renan. Parallèlement à la conception élective dont il se réclamait face aux intellectuels prussiens, il affirmait aussi que seuls ceux qui ont des ancêtres communs peuvent être admis au fameux « plébiscite de tous les jours », nous ramenant ainsi à ce grand fantasme de la France éternelle et homogène que je dénonçais plus haut. Aussi, mes chers collègues, Barrès se réclamait-il de Renan : on comprend pourquoi.

Un autre héritage français, également antillais, africain et nord-africain, l'héritage de Césaire et de Fanon, nous invite à nous défaire de ce qu'Achille Mbembe, chercheur sud-africain, présentait comme « un narcissisme politique, culturel et intellectuel dont on pourrait dire que l'impensé procède d'une forme d'ethno-nationalisme racialisant ». Il s'agit bien de nous concentrer sur une approche sociologique pluraliste, cosmopolite et égalitaire, de la société et du « vivre ensemble ».

« Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier, ou par dilution dans l'universel », écrivait Aimé Césaire en 1956.

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