L'offensive relancée par l'équipe gouvernementale sur l'identité nationale s'inscrit dans une logique politique dont la ficelle est un peu grosse. Il s'agit évidemment de maintenir l'épicentre du débat électoral sur des perspectives nationales sécuritaires, au détriment d'une autre question bien plus structurante, mais qui vous est beaucoup moins favorable électoralement : celle de savoir si la richesse nationale est équitablement partagée. (Approbations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Cette stratégie n'est pourtant pas sans produire des effets dont, semble-t-il, vous ne mesurez pas la gravité ; car, en somme, que faites-vous ? Sous prétexte de renforcer la cohésion nationale et sociale, vous ne faites que la fragiliser en opposant les « bons Français » aux « mauvais » ; ou, plus exactement, les « vrais Français » aux « vrais étrangers », ceux qui, étant désignés comme « étranges », deviennent les figures contemporaines de l'altérité.
Or, l'identité nationale n'est-elle pas un produit historique diffus et contradictoire ? N'est-elle pas ce que chacun y met, selon son identité propre, ses espoirs et ses souffrances ? Seuls ceux qui ont le pouvoir comme vous, monsieur le ministre, et surtout ceux qui en abusent, peuvent prétendre la définir une fois pour toutes, parce qu'ils pensent en posséder la seule définition légitime ; seuls ceux qui ont le pouvoir et en abusent peuvent opérer la sélection et la hiérarchisation des êtres qu'une telle ambition suppose, quand bien même cet arbitraire se dissimule derrière une consultation qui ne peut être autre chose que la farce qu'elle est en train de devenir.
En ce domaine, définir, c'est choisir, sélectionner et hiérarchiser ; c'est par conséquent exclure : exclure symboliquement et souvent physiquement ceux qui auront l'insigne déshonneur de ne pas correspondre aux définitions que vous aurez vous-mêmes imposées.
Il ne suffit pas, dans ce schéma, d'avoir la nationalité française pour échapper à l'extrême violence symbolique que vous mettez en oeuvre ; il suffit de correspondre, dans l'imaginaire collectif que vous aurez contribué à formaliser, au portrait forcément caricatural de l'anti-France. Dès lors considérés comme autres, non Français, étrangers, ceux-là, quel que soit le nom qu'on leur donne, n'auront plus qu'à se taire s'ils veulent être tolérés, et à se convertir à l'image que vous aurez imposée ; ils n'auront plus qu'à céder, si tant est qu'ils le puissent, à cette injonction d'assimilation, de conformité, de mimétisme. Faute de quoi il n'auraient plus qu'à partir : « La France, on l'aime ou on la quitte », selon les mots mêmes du Président de la République.
Et moi, dont les miens ont contribué dans le sang et la sueur à la construction de la France ? Moi dont l'art culinaire et la langue sont différents ; moi dont l'histoire, pour citer Camille Darsières, « enseigne que maintes fois [j'ai été] à l'envers de la médaille française » ; moi, nègre, indien, français mais profondément martiniquais, devrais-je donc aussi me soumettre à cette injonction ? On voit bien que le respect du droit à la différence culturelle, laquelle ne nie pas l'égalité des droits, est au coeur de l'évolution des sociétés et des peuples d'outre-mer. Mais je doute que vous soyez sensibles à de tels défis.
On voit aussi la logique de domination que votre posture entretient. Ceux que vous aurez exclus par le fait même de votre définition, qu'ils soient nationaux ou pas, seront comme déchus de quelque chose d'essentiel : leur culture et leur identité, parce que la France a du mal à se reconnaître société multiculturelle. On connaît ceux que vous montrez du doigt depuis plusieurs années : ils sont les exutoires des frustrations que votre politique socio-économique ne fait qu'aggraver.