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Intervention de Julien Carmona

Réunion du 2 décembre 2009 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Julien Carmona, CGT :

Je remercie la Commission de nous recevoir pour débattre d'un sujet cher à toutes les personnes attachées au pluralisme et à la liberté de l'information. Comme vous pouvez l'entendre à mon accent, je suis journaliste du service en langue espagnole de l'AFP, une agence qui travaille en six langues différentes.

L'AFP est le résultat d'une décision politique. Sans cette décision, elle n'existerait pas, et sans une telle décision, elle risque de ne plus exister à l'avenir. La volonté politique à l'origine de la loi de 1957 sur le statut de l'AFP est tout aussi valable aujourd'hui qu'à l'époque. Contrairement à ce qu'affirme la direction de l'Agence, ce statut n'a jamais empêché celle-ci de se développer. Au contraire : il lui a permis d'étendre son réseau mondial et de s'adapter aux évolutions technologiques et aux nouvelles formes prises par les médias au cours des cinquante dernières années.

Le développement est d'abord géographique : un énorme réseau international fait de l'AFP l'une des trois grandes agences mondiales avec Associated Press et Reuters, et la seule qui ne soit pas anglo-saxonne – AP étant américaine et Reuters britannique.

De même, l'Agence n'a jamais cessé de se développer dans tous les champs du journalisme : photo, vidéo et internet. On nous dit qu'elle doit changer de statut afin de s'adapter aux exigences de la numérisation, mais en réalité, elle a déjà pris ce tournant : il n'y a pas une photo, ni une dépêche de l'Agence qui ne soit numérisée. Quant au service multimédia, il existe déjà – même s'il peut évidemment encore se développer.

Lorsque l'AFP a manqué ou failli manquer de s'adapter, cela n'a jamais été de la faute de son statut, mais des mauvais choix stratégiques pris par ses directions. Ce fut le cas, à un moment donné, pour le service photo : l'intersyndicale a dû monter au créneau pour que l'Agence se dote d'un service digne de ce nom. Il en a été de même plus récemment pour le service vidéo, à la création duquel un de nos anciens PDG était totalement opposé.

À l'international, le statut indépendant de l'AFP a une importance cruciale. Or la proposition de M. Louette tend à changer l'élément essentiel qu'est le régime de propriété. Aujourd'hui, l'AFP n'appartient à personne, sinon au peuple français, dont vous êtes les représentants – et donc les seuls à pouvoir changer son statut. Cette indépendance est ce qui a fait sa crédibilité et lui a permis de devenir une agence internationale considérée, notamment pour son objectivité. Dans le concert de l'information internationale, elle apporte une voix autre que la voix dominante. Ayant longtemps travaillé à l'étranger, notamment en Amérique latine, j'ai pu mesurer la crédibilité et le respect dont bénéficie l'AFP, en particulier en cas de conflit international.

Le changement réclamé aujourd'hui serait fatal pour l'indépendance et la crédibilité de l'AFP, mais il serait aussi un très mauvais choix financier. En effet, la crédibilité, l'image de marque de l'Agence constituent son seul capital. En les perdant, elle perdrait aussi ses clients.

En 1957, les abonnements de l'État représentaient 80 % du chiffre d'affaires de l'AFP. Ce taux est passé à 40 % en une trentaine d'années. Aujourd'hui, 60 % du chiffre d'affaires provient des abonnements privés, notamment à l'étranger. La perte de son indépendance serait donc fatale du point de vue déontologique, mais aussi du point de vue économique : du jour où l'AFP serait estampillée « agence d'État », ou « agence sous influence politique », elle perdrait ses clients.

Il est vrai que l'AFP a la réputation d'être la voix de la France. Mais je dirais plutôt qu'elle est la voix de la culture française, une autre voix dans le concert international, ce qui est essentiel. C'est parce qu'elle n'est pas attachée à un gouvernement, à un État, qu'elle peut continuer à développer cet autre point de vue, cette autre culture qui lui donnent sa crédibilité et son intérêt pour la presse internationale.

Le statut sur lequel on veut revenir n'est pas né en un jour. Des années de travail ont été nécessaires pour l'élaborer – un travail si bien fait qu'en 1957, le Parlement l'a adopté à l'unanimité.

L'AFP est un véritable patrimoine, non seulement pour la France, mais aussi pour le monde. Elle représente un enjeu vital pour le pluralisme de l'information.

On affirme que l'État serait prêt à continuer à apporter sa contribution au développement de l'Agence, afin qu'elle procède aux changements technologiques nécessaires, parce que l'AFP n'a pas de capital. Mais combien coûte-t-elle ? Très peu. En effet, une grosse partie de l'argent que lui attribue l'État correspond aux services qu'elle rend aux ambassades et aux ministères.

Enfin, on prétend que le statut actuel poserait problème au regard de la règle de libre concurrence imposée par Bruxelles, l'État ne pouvant subventionner une agence de presse. Mais de l'aveu même des avocats de M. Louette, il suffirait que l'État rappelle les missions d'intérêt général remplies par l'AFP pour que les dotations ne posent pas de problème aux yeux de Bruxelles.

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