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Intervention de Guy Carcassonne

Réunion du 25 novembre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'Université Paris Ouest Nanterre la Défense :

Non. Cela peut vous frustrer en tant que membre de l'organe législatif, mais la finalité de ce principe n'a jamais été d'armer le législateur pour l'autoriser à décider de ce qu'il veut. Le législateur cesse d'être démocratique précisément lorsqu'il décide de se superposer à la liberté, afin de dire aux citoyens, sous couvert de dignité, ce qu'ils doivent ou ne doivent pas faire.

Ce principe – faut-il le rappeler ? – a été évoqué lorsque le droit au regroupement familial paraissait mis en cause par le législateur : c'est au nom d'une vie familiale normale, élément de la dignité de la personne humaine, que le juge constitutionnel a exercé son contrôle. Le principe permet donc de cantonner les aptitudes de la loi, certainement pas de les étendre.

D'un point de vue pratique, interdire le voile intégral au nom de la dignité serait adresser un formidable signal aux ligues de vertu, qui se mettraient à exiger que la pornographie, la prostitution ou le piercing soient également prohibés. Voter une telle loi reviendrait à s'aventurer sur un terrain marécageux ; ses auteurs seraient d'ailleurs les premiers à se trouver en difficulté pour distinguer ce qui doit être interdit de ce qui ne doit pas l'être.

Sur le troisième fondement, celui des contraintes faites aux femmes, je suis circonspect, pour ne pas dire réticent. La plus belle loi ne peut offrir que ce qu'elle a… c'est-à-dire la faculté d'établir des normes. Ainsi, la loi réprime sévèrement les violences conjugales, mais celles-ci ont-elles pour autant disparu ? Croire qu'une loi, animée des meilleures intentions, pourrait ne serait-ce que contribuer à régler le problème, me paraît une illusion dangereuse.

Dans la pratique, comment la mettre en oeuvre ? Comment juger de la contrainte ? Si une femme vous affirme qu'il s'agit de son libre choix, comment prouverez-vous le contraire ? C'est une problématique similaire à celle qui se pose lorsque l'on se fonde sur la dignité : le juge, pas plus que le législateur, ne peut se substituer au citoyen pour lui dire comment user de sa liberté.

Ces fondements, aussi bien pour des raisons de principe que pour des raisons pratiques, sont inacceptables. Est-ce à dire que toute autre voie est impossible ? Au contraire, la solution est simple : il suffirait d'adopter une loi fondée sur l'ordre et la sécurité publics.

Une telle législation présenterait l'avantage de ne pas être discriminatoire, puisqu'il ne s'agirait pas d'interdire le port du voile intégral, mais tout ce qui dissimule le visage – hormis quelques cas exceptionnels. Elle serait parfaitement conforme à nos valeurs.

Ma collègue Danièle Lochak a estimé dans Le Monde que cela était à même d'entraîner un changement de société, la vidéosurveillance devenant possible partout et en permanence. Mais ce n'est pas la finalité de cette interdiction que d'étendre la vidéosurveillance et je considère que ce qui nous ferait changer de société, ce serait précisément d'accepter que des fantômes noirs se multiplient dans nos rues.

Pourquoi parler d'ordre public ? Les codes sociaux font qu'il y a des éléments de notre corps que l'on cache, d'autres que l'on montre. Peut-être dans mille ans exposera-t-on son sexe et dissimulera-t-on son visage, pour le moment, c'est l'inverse qui est unanimement admis. Nous sommes en droit de considérer que ce qui nuit à autrui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, est le fait qu'on lui cache son propre visage, lui signifiant ainsi qu'il n'est pas assez digne, pur ou respectable pour pouvoir le regarder.

Prohiber la dissimulation du visage permet de résoudre le problème qui nous est posé tout en demeurant conforme aux valeurs de la république, de la démocratie et de la vie en société. Accessoirement, cette loi viserait les cagoules utilisées – comme la burqa d'ailleurs, un fait divers récent l'a montré – lors des hold-ups.

Le décret « anti-cagoule » du 19 juin 2009 ne peut être utilisé, en l'espèce, puisqu'il ne vise que le port de la cagoule en marge des manifestations, en l'existence d'une menace. De plus, comme il s'agit d'un interdit pesant sur les garanties fondamentales accordées aux citoyens dans l'exercice des libertés publiques, seul le législateur peut l'énoncer.

La solution qui consisterait à laisser les maires prendre des décrets, au cas par cas et sous le contrôle du juge, paraît difficilement acceptable : elle fait peser une responsabilité importante sur les élus, qui seront d'autant plus embarrassés pour mettre en oeuvre l'interdiction.

En revanche, affirmer clairement et simplement le principe selon lequel nul ne peut se présenter dans les lieux publics le visage dissimulé soulagera beaucoup les édiles et les nombreuses autres personnes confrontées à ce problème, personnel médical ou professeurs d'université. Je me demande souvent comment je réagirais si une femme se présentait intégralement voilée dans mon amphithéâtre. Il est certain que je refuserais de faire cours, mais je serais plus à mon aise si j'étais en mesure de lui démontrer qu'elle commet une illégalité.

Il vous sera sans doute délicat de déterminer la sanction attachée à cet interdit. Je ne pense pas qu'elle doive être sévère – une contravention suffirait. Quant à ceux qui seront chargés de faire respecter l'interdit, je ne doute pas que leur bon sens et leur retenue leur permettront de ne pas verbaliser le motard qui aurait omis d'ôter assez rapidement son casque intégral, le skieur qui aurait chaussé un masque anti-brouillard ou un gendarme cagoulé du GIGN.

Cette loi sera d'autant mieux appliquée et comprise qu'elle sera sobre, formulée en des termes simples et fondée sur des principes irréfutables.

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