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Intervention de Suzanne Mathieu

Réunion du 25 novembre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Suzanne Mathieu, professeur de droit public à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne :

J'en viens aux questions sur le rôle du juge, la liberté du législateur et la dignité.

Je ne suis pas venu devant votre mission en tant qu'intellectuel ; il reste que je milite – et je pourrais vous communiquer mes écrits à ce sujet – pour une conception objective de la dignité, qui peut limiter la liberté. Mais je constate que ma position n'est pas partagée par tous et que ce n'est pas celle de la Cour européenne des droits de l'homme. M. Denys de Béchillon vous a exposé une autre conception, aussi cohérente. Ces deux conceptions s'opposant, il est extrêmement difficile de trouver là un appui solide.

Je suis venu devant vous comme un « mécanicien du droit ». J'observe, que vous le vouliez ou non, qu'aujourd'hui le législateur est contrôlé par le juge. Je regrette moi-même le déséquilibre qui s'installe en faveur du juge, mais c'est une réalité. On ne peut pas ignorer l'éventualité d'une censure de la loi, par le Conseil constitutionnel d'une part et par la Cour européenne des droits de l'homme d'autre part.

Pour éviter la censure du Conseil constitutionnel, vous avez la possibilité d'adopter une disposition de nature constitutionnelle : en matière de révision de la Constitution, vous êtes souverains, alors que vous ne l'êtes plus dans l'activité législative. Mais cela n'irait pas sans certaines difficultés.

Au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, vous pouvez invoquer l'existence d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, et donc ne pas tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Personnellement, cela ne me choquerait pas beaucoup mais il en résulterait une série de difficultés juridiques qui ne sont pas à négliger. On peut imaginer l'appui qu'apporterait une décision de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant le législateur français aux partisans du port du voile intégral. Il me paraît préférable de ne pas risquer de leur donner des armes.

Je ne pensais pas être invité devant votre mission pour faire oeuvre d'imagination, mais pour donner un point de vue juridique. C'est ce que je me suis employé à faire. Si vous m'aviez demandé ce que je trouverais bon en soi, j'aurais tenu un autre propos.

Quant à l'interdiction de manifester ses convictions religieuses dans la sphère publique, elle créerait aussi des difficultés. Que déciderait-on pour la soutane, notamment portée par les prêtres orthodoxes, ou pour la tenue des religieuses orthodoxes, partiellement voilées ? Comme vous l'avez vous-mêmes souligné en évoquant la longueur du voile, nous serions obligés de fixer des seuils déterminant le caractère ostentatoire. Certes on a pu le faire à l'école, mais toute la jurisprudence, y compris celle de la Cour européenne des droits de l'homme, dit bien que c'est dans ce cadre et ce contexte particuliers.

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