Monsieur le ministre, mes chers collègues, « plus que toute autre création humaine, le livre est le fléau des dictatures. » Cette phrase du romancier Alberto Manguel prouve bien que le livre est à distinguer, comme le monde de la culture et de la création en général, dans nos démocraties.
Le livre suit notre histoire ; l'instruction et la lecture ont écrit l'histoire, permettant aux peuples de s'émanciper et d'acquérir les droits d'aujourd'hui. Est-ce alors à la culture et à la création de s'adapter à l'économie ? Non, bien sûr, mais c'est malgré tout ce qu'a créé la loi de modernisation de l'économie, en plaçant le livre sous le joug économique, en faisant l'amalgame avec la grande distribution. La loi de modernisation de l'économie, adoptée le 23 juillet 2008, protège les fournisseurs des grandes surfaces, mais les distributeurs de livres sont des PME qui n'ont pas les mêmes méthodes.
Cet amalgame se retrouve d'ailleurs pour les détaillants en musique, instruments et partitions. Ce délai de paiement imposé est alors accentué par le caractère transfrontalier, moins fréquent pour le livre, un livre français étant évidemment peu distribué à l'étranger. Un tel délai de paiement pour les fournisseurs de matériels de musique pénalise donc le détaillant, le fournisseur et le client.
Le détaillant n'ayant plus la possibilité de négocier ces délais de paiement, il travaille avec un minimum de stocks, et doit négocier avec les banques au niveau de la trésorerie, ce qui peut poser problème. Ou alors il se tourne vers des fournisseurs étrangers.
Le fournisseur vend moins, le détaillant étant plus frileux à l'achat de stocks. Aussi, notamment dans les territoires transfrontaliers, comme la Lorraine, où l'élu que je suis est interpellé sur cet aspect de la question, les détaillants se tournent vers des fournisseurs étrangers – en Belgique, en Suisse, au Luxembourg – avec lesquels la négociation des délais de paiement est possible, au détriment des fournisseurs français, de l'économie de notre pays et de sa fiscalité.
Pour le consommateur, enfin, la baisse des stocks et le choix de fournisseurs étrangers limitent le choix en magasin, et l'économie nationale en pâtit.
Je souhaite appeler votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que la loi de modernisation de l'économie, aux nombreux dégâts collatéraux, n'a pas été dommageable qu'au livre. Parfois, à la spécificité culturelle peuvent s'ajouter d'autres spécificités, comme la situation transfrontalière, que je viens d'évoquer, qui méritent toute l'attention du législateur pour ce que vous appelez « l'exception qui confirme la règle ». Je pense qu'il y a aussi en ce domaine matière à modifier la loi.
Voter cette loi, c'est adapter l'économie au secteur du livre, disais-je. On parle souvent de spécificité culturelle française, mais il s'agit de bien plus que d'une spécificité. La culture, la création sont le socle de notre identité commune.