Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, beaucoup d'intervenants ont parfaitement évoqué les fractures numériques d'aujourd'hui : la télévision numérique terrestre, le haut débit et la téléphonie mobile. Je voudrais donc concentrer ma courte intervention sur la fracture numérique de demain.
Je n'évoquerai pas l'internet mobile. Nous y avons consacré beaucoup de temps, avec Mme la rapporteure, au sein de la mission parlementaire sur le dividende numérique. Je parlerai donc essentiellement du déploiement des réseaux numériques à très haut débit, et singulièrement de la fibre optique.
Le très haut débit, comme d'ailleurs le haut débit en son temps, est une « cible mouvante » : plus on s'en approche, plus elle s'éloigne !
Le haut débit d'aujourd'hui est le bas débit de demain. C'est pourquoi, dans en ce domaine, le temps perdu ne se rattrape guère. Notre pays, l'Europe en général, s'engage mal et avec retard dans le très haut débit. Trop longtemps, et je crois qu'on en convient sur tous les bancs, on a manqué d'une vision globale de ces questions. Notre rapporteure a d'ailleurs bien observé, dans son rapport, un retard, une absence d'ambition.
Il a fallu des années avant que l'on identifie les trois zones de déploiement, qui sont pourtant, pour le très haut débit et la fibre optique, une évidence. C'était – c'est peut-être encore, nous le verrons dans la suite des débats – la vision néolibérale habituelle : laissons investir les opérateurs privés. À cet égard, je me souviens qu'Éric Besson, avant d'aller se consacrer à l'identité nationale, se réjouissait que le plan numérique 2012 ne coûte pas un euro à l'État !
Or, c'est un domaine où cette idéologie est totalement prise en défaut : le marché ne peut pas tout. L'avenir est donc singulièrement en panne, à cause de contradictions idéologiques. Certes, parmi vous, un certain nombre de collègues ont beaucoup fait pour essayer de les dénouer. Mais, depuis 2002, vous parlez comme Colbert et agissez comme Thatcher. Le très haut débit en est un exemple parmi d'autres.
En effet, c'est une ambition, excusez du peu, à 40 milliards d'euros. Cela signifie dix ans s'il y a une action concertée, vingt ans pour la France seule, et plus si l'on reste au fil de l'eau.
Il faudrait trouver, au moins, une stratégie de rattrapage. Je crains que, pour l'instant, ce qui nous est proposé ne soit très insuffisant.
Oui, certes, il fallait clarifier les conditions de mutualisation. Sur ce point au moins, la loi de modernisation de l'économie n'était pas inutile, et la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui aurait pu apporter la vision globale qui manquait, mais elle n'est pas à la hauteur. Elle ne définit pas l'optimum de déploiement, parce qu'elle ne définit pas qui doit faire quoi. Elle ne mobilise pas non plus les moyens financiers suffisants, c'est peu de le dire.
Au fond, la question que nous nous posons, madame la secrétaire d'État, est la suivante : y a-t-il un plan caché pour le très haut débit en France ? J'en viens à l'espérer, car sinon ce serait le signal d'un déclin numérique assuré et assumé.
Je lis dans les déclarations voilées des uns et des autres, ou dans les recommandations du rapport sur le grand emprunt : « un engagement adapté de la puissance publique ». C'est beau comme à l'ENA ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Si un programme national pour le très haut débit est dans les tiroirs, il faut le mettre sur la table, madame la secrétaire d'État, et nous permettre de le discuter. Il faut en tout cas éviter les pièges et agir positivement.
Car des pièges se dessinent bel et bien. Le premier, madame la secrétaire d'État, est le passage de l'absence de l'État – depuis des années, il ne met plus un euro sur le haut débit, et pas davantage sur le très haut débit – à l'hyperjacobinisme numérique. C'est une tentation qui peut être très contagieuse en ce moment.
Deuxième piège : le risque que les pouvoirs publics se consacrent exclusivement à organiser un Yalta entre les opérateurs privés sur la zone 2.
Troisième piège : le gel, pour des années, de l'initiative des collectivités publiques. Si nous passions encore deux ou trois ans, voire plus, à étudier les conditions de financement et de co-investissement des opérateurs privés – ce qui n'est pas inutile en soi –, il y aurait lieu de craindre, en effet, un retrait et un défaut d'engagement des collectivités locales.
Comme on l'a fait pour le haut débit, on leur demandera, in fine, dans cinq ou dix ans, d'aller sur les zones les moins denses, de jouer en quelque sorte les pompiers. Or, il s'agit bien aussi de l'aménagement de leur territoire.
Quelle pourrait être la bonne vision, celle que nous attendons depuis longtemps ? Avec l'Association des régions de France, présidée par Alain Rousset, et avec beaucoup d'autres associations de collectivités, nous avons débattu il y a un an de ce que nous avions appelé un New Deal numérique. Nous l'attendons mais nous le voyons pas venir.
L'optimum, madame la secrétaire d'État, réside dans un bon co-investissement public-privé, mais à une hauteur et avec une ambition suffisantes.
Les réseaux d'initiative publique sont indispensables : une fois encore, on le constatera trop tard. Notre estimation de la somme nécessaire – en plus de ce que les opérateurs privés investissent sur la zone 1 – tournait il y a un an, mais cela n'a pas dû beaucoup changer depuis, autour de 30 milliards d'euros. C'est cette somme qu'il faut rechercher. Dix milliards, sur dix ans, devraient provenir de l'État et des collectivités locales, sous peine de faire prendre à notre pays un retard considérable. Vingt autres milliards pourraient être récupérés sur des recettes mutualisées. C'est là une esquisse de ce que pourrait être l'ambition de la France dans le domaine du très haut débit.
Bien sûr, vous vous êtes privés d'un certain nombre de ressources possibles, en particulier par un hold-up sur la télévision publique, prélevant là des sommes qui auraient pu alimenter le fond d'aménagement et la péréquation territoriale.
Nous souhaitons, quant à nous, réarmer la puissance publique pour des investissements de long terme. Dans une économie du court terme, c'est un sacré défi !
En tout cas, c'est la première fois qu'un grand réseau stratégique se déploie sans pilote national dans l'avion. La loi qui nous est proposée déborde de bonnes intentions. Elle n'exprime nulle part les moyens de l'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)