…pourrait, si l'on n'y prend garde, aggraver la fracture. Certaines dispositions nous le font craindre.
Le texte entérine le partage du territoire en trois zones et prévoit pour chacune un mode de déploiement sur mesure.
La première, correspondant aux territoires très densément peuplés, principalement aux grandes villes, sera le terrain des opérateurs. Chacun installera son réseau, la concurrence fera rage et chacun partira à la conquête de ses abonnés, potentiellement assez nombreux pour assurer un retour sur investissements rapide.
Dans la seconde zone moyennement dense, donc moins attrayante pour les opérateurs, vous prévoyez une mutualisation des investissements tant privés que publics. On parle d'opérateur mutualisé ou d'appel à projets. Quelle solution sera finalement retenue ? Je n'ai toujours pas eu la réponse. La participation des collectivités est, une nouvelle fois, attendue.
Pour la troisième zone, enfin, qui regroupe les zones rurales et peu denses, un financement public est très attendu.
À chaque zone ses règles et ses lenteurs. Nous émettons des réserves sur les choix arrêtés par la proposition de loi.
Celle-ci favorise des choix technologiques augurant une concurrence extrême entre les opérateurs pour capter les parts de marché dans les zones très denses, où ils ont d'ores et déjà commencé à installer des réseaux de fibre optique. Cette concurrence acharnée risque fort d'accélérer l'apparition d'une fracture numérique territoriale, puisque les installations en zones 2 et 3 dépendent de mécanismes qui exigeront plus de temps avant que leur déploiement soit opérationnel. Si le cadre juridique semble stabilisé pour la zone 1, nous sommes dans le flou le plus total pour les conditions de déploiement dans les zones 2 et 3.
Par ailleurs, sommes-nous assurés que tous les opérateurs seront prêts à co-investir dans en zone 2 ? Il ne serait pas moral d'offrir du très haut débit aux alentours de trente euros par mois dans les villes une fois que les opérateurs auront finalisé leurs infrastructures, c'est-à-dire très vite, puisqu'il est prévu que la fibre soit rentable, mais seulement du haut débit – et encore... – dans les zones rurales. Une telle inégalité entraînerait un déficit d'attractivité pour ces territoires et renforcerait l'exclusion d'une partie de la population. Pour ma part, je préférerais, comme certains de mes collègues, une montée en débit dans les territoires, laquelle doit néanmoins être conçue de manière à préparer progressivement, à terme, le câblage en fibre optique le plus large possible.
Enfin, la proposition de loi prévoit la création d'un fonds de soutien à l'aménagement numérique du territoire, afin de financer le déploiement dans les zones peu et très peu denses. Malheureusement, le fonds est dépourvu de financements pérennes. Heureusement, me direz-vous, le grand emprunt est passé par là. Vous avez annoncé, madame la secrétaire d'État, que 2 milliards d'euros seraient engagés pour le déploiement du réseau de fibre optique en zone 2 et 3. Cependant, la somme, importante en elle-même, reste faible eu égard à l'ampleur du chantier, puisqu'on évalue à plus de 40 milliards le montant du fibrage sur le territoire français. En outre, quelles sont les autres sources de financement, que vous n'avez toujours pas détaillées ? Nous vous avons interrogée à ce sujet lors de la réunion de la commission. J'espère que vous allez enfin nous répondre.
Afin de ne pas ouvrir de polémique stérile quant au coût du déploiement de la fibre optique sur le territoire français, je m'en tiendrai à une seule information. Le département des Hauts-de-Seine, le plus densément peuplé après Paris, va subventionner en partie un réseau très haut débit. Le coût global de l'opération est estimé à 422 millions d'euros, alors que ce département arrive en avant-dernière position pour la taille de son territoire. De ce fait, il y a fort à parier que les départements français – nécessairement moins denses, plus vastes et moins riches – devront, s'ils comptent sur les dispositions gouvernementales, se satisfaire d'enveloppes bien maigres comparées à l'ampleur des dépenses nécessaires.
Compte tenu des incertitudes financières liées aux réformes en cours – taxe professionnelle, réforme des collectivités territoriales –, il me semble difficile de s'en remettre à un système qui place les collectivités au pied du mur en ne leur laissant le choix que de participer au financement du réseau ou de n'être pas connectées. Vous prenez ainsi le risque de creuser le fossé entre les collectivités riches, comme les Hauts-de-Seine, et d'autres, moins bien dotées et soumises aux pertes de recettes découlant des lois de recentralisation. Il y a fort à parier que ces lourdes dépenses d'investissement seront reportées sine die.
En somme, bien qu'il poursuive un but louable, le texte appelle des réserves de notre part. Parce qu'il se concentre exclusivement sur le déploiement de la fibre optique, il néglige les conséquences de certaines dispositions. On ne doit encourager le déploiement de réseaux très haut débit qu'à condition de ne pas amplifier la fracture numérique existante.
La vision doit également être prospective – les délais de déploiement l'imposent. Mais je déplore que les discussions sur les réseaux et les services de demain se limitent toujours au trio que forment opérateurs, fournisseurs de services et usagers.
Certes, les premiers fournissent l'accès, les seconds les contenus et services, et les derniers les rétributions nécessaires à la viabilité économique des réseaux, mais on oublie trop souvent que la révolution numérique est aussi une révolution industrielle due initialement aux innovations technologiques dans le secteur des télécommunications. Les équipementiers, qui fournissent aux opérateurs les matériels nécessaires au fonctionnement des réseaux, ont eux aussi un rôle essentiel à jouer dans le développement de l'économie numérique. Étant à la base de la dimension physique des réseaux, ils garantissent leur fiabilité et leur sécurité. Cette dimension doit être prise en compte. Vous n'êtes pas sans savoir que les équipementiers connaissent actuellement de graves difficultés économiques, qui se traduisent par des fermetures de site et des délocalisations qui plongent les salariés dans une profonde détresse – je l'ai mesuré dans ma circonscription.
Le risque est de voir ces industries de pointe disparaître de notre territoire au bénéfice de concurrents qui ne se battent pas avec les mêmes armes et recourent au dumping social. L'État a donc le devoir de s'engager aux côtés de cette filière stratégique, car il est nécessaire de disposer de réseaux fiables et sécurisés et faire jouer une concurrence équitable.
Au-delà de ces aspects économiques importants, une chose m'a frappée au fil des débats : trop souvent, on a le sentiment que tout est déjà joué – le CSA ou l'ARCEP avaient déjà procédé à des arbitrages sur le mode de déploiement vertical de la fibre ou le nombre d'antennes relais à numériser, avant que le texte n'arrive à l'Assemblée. Les décisions des régulateurs se retrouvent dans certains articles. Or nous devons évidemment conserver notre pouvoir d'orientation et de décision dès lors qu'il s'agit d'aménagement du territoire et d'égalité des citoyens dans l'accès aux moyens de communication. Tel est le sens de la motion que nous vous présentons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)