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Intervention de Corinne Erhel

Réunion du 30 novembre 2009 à 16h00
Lutte contre la fracture numérique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Erhel :

Elle suscite en effet plusieurs interrogations et ne règle pas tous les problèmes. Disposons-nous d'informations assez précises pour identifier le meilleur équilibre entre le nombre d'émetteurs à numériser et les ressources du fonds d'aide à l'équipement ? Autrement dit, l'arbitrage entre les obligations des chaînes de télévision et les voeux de la population est-il conforme à l'intérêt général ?

De plus, la transition vers la télévision numérique terrestre a-t-elle été suffisamment étudiée au niveau local ? Malgré certains efforts de communication, le fait que les dispositions découlent de négociations entre le CSA, qui, à ma connaissance, ne dispose pratiquement pas d'antenne dans nos territoires, et de chaînes pour la plupart parisiennes ne peut que renforcer notre appréhension.

L'ajout de réémetteurs hertziens numérisés serait justifiable si l'on avait pris de temps de procéder à un examen approfondi des situations locales en vue de bénéficier d'un soutien financier de l'État. Cela aurait permis, convenons-en, de limiter les nuisances visuelles, notamment dans l'habitat groupé.

Le sentiment d'impréparation a été conforté par l'intégration de la section relative à la TNT dans un texte initialement prévu pour répondre aux défis du déploiement des réseaux très haut débit. Même si les sujets sont voisins, le déploiement du très haut débit prendra plusieurs années, tandis que la transition vers la TNT sera achevée dès 2011. Le texte mélange donc des objectifs de très court et de moyen terme, sans traiter pleinement aucun d'entre eux.

Le second volet de la proposition de loi concerne le très haut débit, dont elle ne garantit aucunement le déploiement dans les zones les moins denses. Faute de cadre juridique et de financement clairs, le risque d'exclusion numérique subsiste, là encore.

Pourtant, le but de la proposition de loi est louable, reconnaissons-le : qui pourrait se déclarer opposé à la réduction de la fracture numérique, alors même que l'accès aux services distribués par les réseaux numériques bouleverse nos économies en faisant évoluer nos habitudes de consommation, d'investissement, d'information et de divertissement ? Ces réseaux sont un espace d'innovation, un réservoir de croissance non négligeable et un outil d'aménagement du territoire. Sur le principe, les députés ne peuvent donc accueillir que favorablement une proposition de loi visant à réduire la fracture numérique.

Mais que recouvre cette expression ? S'agit-il de supprimer les inégalités de débit liées à la localisation ou d'associer plus largement les populations qui, compte tenu du coût de l'équipement informatique et de l'abonnement, ne peuvent assumer les frais d'une connexion ? N'oublions pas que la moitié des Français gagnent moins de 1 500 euros par mois et qu'internet, commodité devenue essentielle, demeure un luxe pour beaucoup d'entre eux. Un État moderne ne peut se permettre de laisser une grande partie de sa population non connectée ou exclue numériquement pour des raisons sociales ou financières.

Internet devient de plus en plus un outil permettant à chacun de communiquer, de s'informer et de rechercher un emploi. Comme l'a écrit le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009, après avoir examiné et censuré la loi HADOPI, c'est un média essentiel à « la participation à la vie démocratique et à l'expression des idées et des opinions ». Dès lors, est-il envisageable de promouvoir l'économie numérique sans intervenir sur le taux d'équipement des ménages, qui atteint 90 % chez les cadres mais tombe à 30 % chez les non diplômés ?

Si notre ambition est que chaque Français dispose d'un accès, avons-nous réfléchi à la manière de sensibiliser ceux qui n'ont jamais utilisé internet, notamment les plus âgés ? De plus, si les plus jeunes évoluent dans une société où les écrans interactifs sont omniprésents et maîtrisent diverses applications avec un naturel déconcertant, avons-nous pensé aux inégalités réelles qui peuvent trouver leur prolongement sur le réseau ? Il serait illusoire de croire que les digital natives sont tous égaux devant le Net sous prétexte qu'ils sont nés à un moment où la toile avait définitivement bouleversé nos habitudes. Pour réduire la fracture numérique, il faut aussi lutter contre les inégalités numériques qui prolongent et parfois augmentent les inégalités sociales. Or ce thème n'est pas traité dans le texte.

Au-delà de ces observations, des inégalités demeurent entre les internautes du fait de la structure même du réseau. Bon nombre de citadins surfent de manière confortable, téléchargent des fichiers volumineux, envoient sur les réseaux sociaux photos ou vidéos, et consultent régulièrement des sites de partage de vidéos qui diffusent en streaming.

L'ADSL, qui utilise le bon vieux réseau de cuivre par lequel a transité le signal téléphonique pendant de longues années, a permis une grande évolution des usages grâce en améliorant les niveaux de débits. Ainsi la télévision est désormais diffusée par l'ADSL.

Mais ne nous y trompons pas : 55 % de foyers ne peuvent bénéficier des offres haut débit dites triple play. De plus, 550 000 foyers n'ont accès qu'au bas débit, qui permet seulement la lecture et l'envoi de courriels, pour peu que ceux-ci ne contiennent pas de pièce jointe. La fracture numérique est aujourd'hui une réalité et la présente proposition de loi ne permet pas de la résorber.

Le volet du texte qui traite des réseaux n'aborde que la problématique du très haut débit, certes essentielle, compte tenu de la demande croissante et de la nécessité de renouveler les infrastructures afin qu'elles puissent accueillir les services et les usages nouveaux. Mais le déploiement des réseaux prendra de longues années. Les fournisseurs d'accès à internet l'ont souligné.

Par ailleurs, l'inscription de ce chantier dans les priorités du grand emprunt prouve le caractère prospectif du développement des réseaux. Nous ne disons pas qu'il ne faut pas anticiper : la lourdeur des travaux impose de le faire. Mais, si le très haut débit et la fibre optique laissent entrevoir un avenir radieux, avec la transmission des données à des débits de dix à cent fois supérieurs au haut débit actuel, l'éclat de cette promesse ne doit pas faire oublier la réalité du moment.

Favoriser des sauts technologiques de manière précipitée…

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