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Intervention de Jean-Noël Jeanneney

Réunion du 25 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la Bibliothèque nationale de France :

L'interrogation de Mme de Panafieu sur l'organisation des relations entre le privé et le public mérite une réflexion d'ensemble. Nous ne devons pas porter sur ces questions un regard doctrinaire ou passionnel, mais affirmer tranquillement qu'il revient à l'État de réguler le marché tout en préservant son dynamisme, ce qui est vrai dans beaucoup de domaines. Il faut, en particulier, préserver les entreprises de numérisation françaises car elles ont beaucoup investi. Si nous diminuions considérablement notre appel à elles, de graves problèmes sociaux apparaîtraient.

Mon successeur a évoqué les conversations que nous avons eues avec Microsoft. Dans un premier temps, les représentants de Microsoft nous ont laissé penser qu'ils pouvaient intervenir sous forme de mécénat, sans rien demander en échange en matière de propriété des fichiers et sans exiger le moindre monopole de diffusion. Mais la vérité est bien vite apparue et nous avons donc rompu toute relation.

Les éditeurs sont certes des partenaires privés, mais qui assurent des fonctions publiques. La réflexion sur leurs rapports avec la Bibliothèque nationale de France est donc fondamentale. L'intervention de cette dernière pour soutenir le portail CAIRN est à cet égard exemplaire – comme vous le savez, la plupart des revues anglo-saxonnes sont disponibles sur le portail JSTOR. Nous avons réussi à persuader Bercy d'investir dans ce portail, qui fonctionne très bien.

S'agissant de la question de la présentation de l'offre, que les Américains appellent le page ranking, nous avons, Bruno Racine et moi-même, quelques légères divergences. Le vrac exige précisément l'intervention des pouvoirs publics pour organiser l'offre, car tout connaître, c'est ne rien connaître, et accéder à tout, c'est n'avoir accès à rien. Pour les journalistes et les enseignants, qui font plus que d'autres appel aux moteurs de recherche, une telle intervention est indispensable.

Dans un aparté, Bernard Debré a évoqué Gutenberg. L'invention de l'imprimerie fut un magnifique progrès, qui a engendré de considérables phénomènes de civilisation comme le protestantisme, et l'on peut éprouver à son égard ce « bonheur extravagant » dont parle Borges à propos d'une bibliothèque universelle. Mais les civilisations qui n'ont pas su se protéger, les langues qui n'ont pas su se transposer dans des ouvrages imprimés ont disparu. La même problématique existe entre les initiatives des uns et des autres et la nécessité pour les pouvoirs publics d'intervenir.

Les nouvelles technologies, si elles suscitent notre allégresse, doivent mobiliser notre vigilance. Leur génie vient de ce qu'elles sont réticulaires, mais face à elles, les institutions doivent s'affirmer, ce qui nécessite de déterminer la latitude d'action des pouvoirs publics et de la représentation nationale.

Il n'y a en tout cas aucune attaque personnelle vis-à-vis de Bruno Racine, même si notre désaccord est flagrant quant à la politique qu'une grande bibliothèque nationale doit mener. Je le félicite d'incarner la BNF, et je n'ai simplement fait qu'exprimer un point de vue différent du sien.

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