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Intervention de Marc Tessier

Réunion du 25 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marc Tessier, président de la Commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques :

J'ai parfois l'impression d'être le druide Panoramix cherchant la recette de la potion magique : il n'est pas facile de la concocter en quelques semaines ! Notre commission est au milieu de ses travaux, et certaines questions n'ont pas encore été suffisamment approfondies pour que nous puissions présenter des conclusions. Je me bornerai donc à évoquer quelques points qui me paraissent particulièrement importants.

Tout d'abord, nous devons être conscients de l'urgence de la situation : ce dont nous parlons existe déjà, et à grande échelle. Les écarts se creusent, et si l'accord qui vient d'être proposé à l'approbation de la justice américaine était mis en oeuvre, cela aurait pour conséquence que, dans le monde entier, les lecteurs auraient un accès privilégié à des oeuvres de langue anglo-saxonne. Lorsque l'on fera une recherche sur Albert Camus, on consultera les traductions et les commentaires en anglais !

La proposition de la société Google ne répond qu'à une infime partie du problème posé aux Européens : même si la totalité de ses objectifs étaient atteints, il resterait un travail immense à faire. Dans l'état actuel des choses, une société privée n'est pas en mesure de s'approprier la totalité du domaine public. Nous avons donc non seulement le devoir de mener nos propres opérations, mais aussi de nous interroger, lorsque nous discutons avec cette société ou avec d'autres, sur les conditions d'accès du grand public aux oeuvres que nous numérisons. Or, quand on fait une recherche sur Internet, on tombe très souvent sur des ouvrages répertoriés sous l'en-tête Google Book Search. Si l'on doit aboutir à un partenariat, il faut qu'il soit complet et réciproque, c'est-à-dire que nous disposions d'assurances concernant les facilités de consultation des oeuvres numérisées par nos soins.

Jusqu'à présent, on a évoqué la possibilité d'un accord concernant les oeuvres tombées dans le domaine public, sans faire référence à l'ensemble du secteur du livre. Or je retire de cette table ronde qu'il est impensable d'arrêter une politique nationale ou européenne en la matière si le partenaire privé n'a pas rempli les conditions d'un bon accord avec l'ensemble du monde de l'édition. S'il existe, du point de vue juridique, différentes catégories de livres, celles-ci n'ont aucune influence sur l'intérêt que le lecteur porte à une oeuvre.

Il faut donc, Monsieur Hernández-Ros, engager une réflexion, non sur les abus de position dominante dans tel ou tel secteur, mais sur nos possibilités d'encadrement du champ de la diffusion des biens culturels, en général. C'est une vertu française que de traiter ces problèmes ex ante et non ex post : nous disposons, dans le domaine culturel, de systèmes de régulation qui ont précisément pour objet de contrarier l'apparition de positions dominantes ou, tout au moins, de les réguler en négociant des accords collectifs. Il serait difficile, pour notre commission, d'apprécier un accord particulier détaché du cadre global, car cela risquerait d'affaiblir notre position sur un autre terrain. N'y voyez pas une marque d'hostilité à la société Google, partenaire potentiel : il s'agit d'une prise de position logique, que nous essaierons de maintenir, dans la mesure où tout accord aurait une portée symbolique, quel que soit son contenu.

Enfin, les accords prévoient des modalités particulières, parfois couvertes par des clauses de confidentialité – qui, selon l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), ne sont pas toujours conformes à la loi française. Nous considérons que ces dispositions seront à l'avenir très largement connues, et les responsables de la société Google le savent pertinemment. Elles portent sur le bénéfice, l'étendue, mais surtout la durée de l'accord. Il serait regrettable que celle-ci soit trop longue, non seulement parce que la technique évolue et qu'il faut pouvoir s'adapter, mais surtout parce qu'il s'agit du domaine public et que le montant des investissements proposés ne justifierait pas l'immobilisation prolongée de notre capacité d'action.

À l'aune de l'ensemble de ces enjeux, les Européens ont peut-être tendance à sous-estimer leur capacité d'action dans la négociation – et je crains que ce n'ait été le cas des responsables des bibliothèques européennes qui ont déjà signé un accord.

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