Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Javier Hernández-Ros

Réunion du 25 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Javier Hernández-Ros, chef de l'unité « Accès à l'information » à la Commission européenne :

Je vous remercie d'avoir invité un représentant de la Commission européenne à participer à cette table ronde, afin de vous donner un point de vue européen sur la question. D'ailleurs, l'Europe a déjà été évoquée à de nombreuses reprises ce matin, ce qui témoigne de l'intérêt que vous portez à l'européanisation de vos politiques.

À la Commission européenne, nous travaillons depuis 2005, sous l'impulsion de Mme Viviane Reding, au projet de bibliothèque numérique européenne, dont le but est de numériser, de mettre en ligne et de préserver notre patrimoine culturel. Je crois que nous sommes tous d'accord sur les objectifs ; il reste à définir la méthode et les moyens. La question déborde largement le cadre du livre, car elle concerne également Internet et la presse numérique. Numériser les journaux anciens est une bonne chose, encore faudrait-il ne pas oublier de conserver la presse actuelle !

Le projet comporte des enjeux à la fois juridiques, financiers, organisationnels et technologiques. Je n'évoquerai aujourd'hui que les deux premiers.

En premier lieu, il convient de vérifier que la numérisation ne provoquera pas, dans certains pays, l'apparition de nouveaux droits, surtout pour ce qui concerne les oeuvres appartenant au domaine public. Il serait préoccupant que le numérique permette une privatisation du domaine public.

Ensuite, il existe des oeuvres orphelines – dans le domaine de l'image, notamment, leur nombre est particulièrement important. Actuellement, nous ne disposons d'aucun cadre légal permettant de traiter ce problème. Par ailleurs, la gestion des droits se révèle extrêmement onéreuse ; nous appelons donc tous les ayants droit, les bibliothèques et les pouvoirs publics à travailler ensemble pour élaborer des systèmes de gestion rapides et peu coûteux.

Par exemple, une personne, à l'université d'Innsbruck, a mis en place un système d'édition à la demande. Si l'oeuvre est tombée dans le domaine public, c'est très rapide : il suffit de demander le livre à la bibliothèque de l'université, on l'a le lendemain, grâce à la collaboration d'une entreprise privée ; mais si l'ouvrage n'est pas libre de droits, il faut demander l'autorisation à l'auteur et à l'éditeur, ce qui prend beaucoup de temps et coûte cher, au point que l'opération n'est engagée qu'avec réticence : il arrive en effet qu'une fois les droits négociés, au bout de trois mois, la personne qui avait fait la demande ne soit plus intéressée par le livre !

Les livres épuisés représentent aujourd'hui 90 % de l'ensemble des livres écrits. Nous avons concentré nos efforts sur les oeuvres tombées dans le domaine public, mais nous craignons qu'il n'y ait un trou correspondant au XXe siècle dans les bibliothèques numériques. Pour l'éviter, il faut une collaboration entre les ayants droit, auteurs et éditeurs, et les bibliothèques, afin de pouvoir numériser tous les fonds.

Se pose ensuite la question du financement de ces opérations – mais elle a déjà été abondamment mentionnée.

Il convient par ailleurs de traiter le problème à l'échelle européenne. Dans certains pays, comme la Norvège ou les Pays-Bas, les bibliothèques nationales ont signé avec les ayants droit des accords permettant de numériser et de mettre leurs oeuvres en ligne ; malheureusement, pour que la consultation soit possible, il faut que l'utilisateur dispose d'une adresse IP en Norvège ou aux Pays-Bas. Quelle catastrophe dans la perspective d'un partage de notre culture !

De tels accords, qui portent parfois sur une licence globale, doivent impérativement avoir une dimension européenne – ce qui n'est pas facile, car ils reposent parfois sur des réglementations strictement nationales.

La Commission ne s'est pas opposée par principe aux partenariats public-privé ; tout dépend des termes de l'accord et des bénéfices attendus. En collaboration avec la direction de la British Library, nous avons rédigé un rapport sur ce thème, avec une liste de conditions à respecter, comme le respect des droits d'auteur ou la non-privatisation du domaine public. Par ailleurs, les accords d'exclusivité doivent être limités, notamment dans la durée.

L'accord signé par Google aux États-Unis nous préoccupe. Si la nouvelle version est approuvée par la justice américaine, les Américains auront accès à un volume énorme de livres épuisés – de l'ordre de 5 à 10 millions –, mais pas les Européens. Il y aura donc un « gap » d'information, que nous devrons chercher à combler, si nous ne voulons pas nous trouver en position défavorable par rapport aux États-Unis.

La période qui s'ouvre sera donc extrêmement importante. Une nouvelle Commission européenne se met en place, et nous devrions connaître avant la fin de la semaine le nom du commissaire chargé du dossier. Je suis sûr que l'impulsion donnée par Mme Reding sera prolongée. En tout état de cause, M. Barroso a annoncé un « agenda numérique pour l'Europe », dans lequel notre action sera incluse.

Pour ma part, je distingue quatre pistes pour l'avenir.

Premièrement, il faut poursuivre les efforts de numérisation. Vous estimez que la France n'a pas fait grand-chose, mais elle fait des envieux en Europe : il suffit de comparer avec la situation des pays d'Europe de l'Est ! Il faut donc continuer à numériser, et en particulier les chefs-d'oeuvre : comme vous l'avez souligné, l'oeuvre de Goethe n'est malheureusement pas encore disponible en allemand.

Deuxièmement, il est impératif d'établir un cadre légal pour les oeuvres orphelines, notamment pour tout ce qui concerne les documentaires et l'audiovisuel.

Troisièmement, nous devons nous entendre avec les ayants droit des oeuvres épuisées afin de mettre en place un système de négociation des licences plus économique. Aujourd'hui, retrouver le détenteur des droits revient parfois plus cher que de numériser l'oeuvre ; nous ne pouvons consacrer 70 à 80 % du financement à cette tâche ! Le projet européen Accessible registry of rights and orphan works (Arrow) – auquel plusieurs institutions françaises, dont la BNF, participent – vise à mettre en commun les bases de données existantes sur les ayants droit, et j'invite ceux-ci à se faire connaître pour faciliter la gestion rapide des droits.

Enfin, le programme doit progresser dans un cadre européen. Europeana rencontre un grand succès : après moins d'un an d'existence, elle compte plus de 5 millions de fichiers numériques, et son objectif est d'atteindre les 10 millions à la fin de 2010. Nous devons mettre nos patrimoines en partage, en ayant le souci continuel de l'Europe.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion