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Intervention de Arnaud Nourry

Réunion du 25 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Arnaud Nourry, président-directeur général de Hachette Livres :

Hachette Livres est aujourd'hui le deuxième éditeur mondial. En France, nous éditons sous les marques Hachette, mais également Grasset, Fayard, Stock, Lattès et d'autres encore, notamment dans le secteur de l'éducation. Nous sommes le premier éditeur de Grande-Bretagne et d'Australie, le deuxième d'Espagne et le cinquième des États-Unis, sans doute le pays où les débats d'aujourd'hui prennent le plus corps. Hachette Livres publie 17 000 titres chaque année dans 25 pays, pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros. Cette dimension très internationale est une particularité dans l'édition française ; elle me permet de partager avec vous quelques observations sur les évolutions à l'étranger.

Si un grand éditeur privé est parmi vous ce matin, ce n'est pas pour tendre la main et demander des subventions. Notre politique de numérisation est ancienne : une dizaine de milliers de nos titres ont déjà été numérisés. Publier sous forme numérique fait désormais partie de notre métier.

Le patrimoine de demain est la création d'aujourd'hui. Pour en garantir l'existence, toute action qui pourrait bouleverser dans ses fondements l'écosystème actuel de l'édition doit être évitée. La création en serait affaiblie. En France, un auteur nouveau peut se présenter auprès de dix éditeurs différents. Celui qu'il aura choisi le diffusera ensuite dans un réseau de vente de grande qualité. Cet écosystème, qui a pour origine la loi de 1981 dite « loi Lang » – que défend Hervé Gaymard dans son rapport – doit être préservé.

Aujourd'hui, certes, le livre numérique n'a pas de marché en France, mais rien ne permet de penser que cette situation va durer. La loi sur le prix du livre, pas plus que la TVA à taux réduit, ne s'appliquent au livre numérique. Il n'est du reste pas certain qu'elles pourront s'y appliquer un jour : la vente de livres numériques est aujourd'hui fiscalement considérée comme de la prestation de service.

Aux États-Unis, le marché du livre numérique est en pleine croissance. Il représente déjà 3 % du marché du livre, contre 0,5 % l'an dernier. Quatre-vingt-cinq pour cent des ventes sont l'oeuvre d'un seul acteur, Amazon. De façon tout à fait unilatérale, Amazon a décidé de vendre ces livres au prix de 9,90 dollars, au lieu de 25 dollars chez l'éditeur et de – au plus bas – 17 ou 18 dollars en grande surface. On le voit : si, par les économies qu'elle engendre, l'économie numérique est un facteur de baisses de prix pour le consommateur, elle est aussi radicalement différente de l'écosystème que j'ai évoqué.

Le secteur de la musique n'a pas su se protéger contre ce nouveau modèle. La conséquence en est qu'il ne subsiste plus dans le monde que cinq ou six éditeurs de musique, dont deux ou trois en très mauvaise santé financière. Un nouvel écosystème est apparu, entièrement dominé par Apple, avec I-Tunes. La création y est, à mon avis et surtout si on la compare avec celle, très vivante, de l'édition, d'une affligeante pauvreté. L'écosystème de l'édition en France est la condition de sa créativité. Pour le sauvegarder, il ne faut surtout pas armer les géants du Net.

Google a proposé à tous les grands éditeurs français un partenariat pour la numérisation des oeuvres de leur catalogue. Tous – sauf peut-être quelques petits éditeurs – ont refusé, pour ne pas armer un géant dont le modèle économique, qui consiste à offrir des produits gratuits pour attirer la publicité, est aujourd'hui en train d'épuiser la presse, en attendant le tour du secteur du livre si celui-ci n'y prend garde.

Après ce refus, les éditeurs français – les autres aussi – ont pu voir avec surprise ce partenaire potentiel trouver des accords avec les bibliothèques américaines, et, excipant d'une clause du droit américain, celle de « l'usage honnête », se mettre à numériser systématiquement, hors de tout accord, les livres dont ils ne détiennent pas les droits. Les bibliothèques américaines disposent en effet de fonds en français très fournis – la moitié de leurs collections ne sont pas en langue anglaise. Chaque jour voit une nouvelle entreprise de pillage et la seule possibilité qui nous soit ouverte est de demander à Google de supprimer l'accès livre par livre. Encore faut-il savoir quels ouvrages ont été numérisés. Or Google refuse d'en fournir la liste. Est-il bien raisonnable d'aider cette entreprise qui tourne le dos à l'écosystème du livre en lui accordant un quasi-monopole sur le patrimoine national, et, alors que déjà 85 % des internautes accèdent à Internet via Google, en faisant d'elle la quasi-unique librairie mondiale ? Après Amazon, qui vend les livres au prix de 9,90 euros, qu'est-ce qui empêchera demain Google de les vendre 4 ou 5 euros, ou même de les mettre gratuitement à disposition, comme il le fait pour la presse ? Pour moi, les conditions d'un accord équilibré avec Google ne seront réunies que lorsque cette société acceptera de respecter le droit d'auteur français. Tant que tel n'est pas le cas, il faut se garder de tout accord avec elle.

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